Edmond

Dans les premiers de la classe, au cinéma comme au théâtre
De
Alexis Michalik
Avec
Thomas Solivérès, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner, Tom Leeb…
Notre recommandation
4/5

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Thème

Paris, décembre 1897. Edmond Rostand, poète et dramaturge de son état (Thomas Solivérès), n’a pas encore trente ans, mais déjà deux enfants et beaucoup d’angoisses. N’ayant rien écrit depuis deux ans faute d’inspiration, il tire le diable par la queue. Au pied du mur, il se résout à proposer à l’acteur le plus en vue du moment, le fantasque et généreux Constant Coquelin (Olivier Gourmet), une pièce nouvelle, en vers, conçue comme une comédie héroïque.

Désireux de terminer l’année avec une création, Coquelin dit banco. Seul hic : Rostand n’a  pas la moindre idée de ce qu’il va écrire. Pressé par le temps, il va se jeter à plume rageuse sur sa feuille blanche et faire fi des caprices des actrices, des désidérata des acteurs, des exigences des producteurs (de drôles de cocos corses !), des peines de cœur de son meilleur ami (Tom Leeb) et de l’incrédulité décourageante de son entourage. Pour le guider et l’inspirer dans son marathon littéraire, il ne dispose que d’un indice, le titre de sa pièce : Cyrano de Bergerac, qui est le nom d’un écrivain du XVII° siècle.

Moultes nuits blanches fiévreuses et journées agitées plus tard, le 28 décembre 1897, Cyrano fera un triomphe unique dans les annales de l’histoire du théâtre français.

Points forts

- Et d’abord, le culot du projet. Il en fallait beaucoup pour penser que la « relation » de la naissance d’une pièce (de son écriture à sa première représentation) pouvait donner lieu à une comédie  du tonnerre! Certes, il s’agissait ici  de l’une des pièces française  les plus célèbres de l’Hexagone, et de la seule qui ait valu à son auteur de décrocher la Légion d’Honneur dès le lendemain de sa première, mais quand même !

- Affres de l’écriture, humeurs des interprètes, pépins techniques, drames de la jalousie, coups de foudre, coups de théâtre, coups du sort… On  pourra toujours dire aujourd’hui, au vu du résultat, qu’entrelacés et mis bout à bout, les aléas, heureux et dramatiques  qui ont accompagné la création de Cyrano de Bergerac avaient tout pour composer un spectacle à la fois grandiose, potache, joyeux et bon enfant. Encore fallait-il les mitonner avec un vrai sens de la dramaturgie. Alexis Michalik confirme une fois encore qu’il est un maitre en la matière. Sur le plateau du  théâtre du Palais Royal son Edmond avait fait et fait encore un tabac. Adapté pour le cinéma, il donne lieu à un film magnifique, chatoyant, gourmand, sans temps mort, mené, comme la pièce dont il est inspiré, à un rythme d’enfer.

- Visuellement, le film est très beau, sa mise en scène ambitieuse. Michalik débute au ciné, mais il a une patte, et un sens incroyable du cadre. On sent que cet amoureux des planches est aussi un fondu du 7eme art.

- Les acteurs (très bien dirigés) sont pour beaucoup dans le plaisir que procure le film. Thomas Solivérès donne à  son Rostand un charme à la fois gauche, juvénile et enflammé. Il a complètement investi son personnage. On ne l’a jamais vu comme cela, drôle, têtu, retors, brillant, inspiré, naïf, et  amoureux. Olivier Gourmet  compose avec sa verve habituelle un Coquelin inspiré,  truculent, généreux et malicieux. Tom Leeb, qui joue ce  benêt de Christian, a une séduction irrésistible. Les comédiennes sont formidables elles aussi, à commencer par Mathilde Seigner qui s’amuse visiblement beaucoup à composer une Roxane aussi enquiquineuse que talentueuse. Quant à Clémentine Célarié, elle est une Sarah Bernhardt aussi magnétique qu’extravagante.

Quelques réserves

Par ci, par là, quelques séquences (comme celle de la rencontre, orageuse et vacharde, entre Feydeau et Rostand) sont cousues de fil blanc. D’autres sont un peu trop elliptiques. Mais ce n’est jamais gênant. Embarquées par le tourbillon du film, ces séquences  participent de sa joyeuse fantaisie.

Encore un mot...

Porter à l’écran sa pièce fétiche, aux cinq Molières, était un rêve pour le chouchou du théâtre français. Un rêve et un défi. Le premier est réalisé et le second, gagné. Conçu comme le making-of de la création, en 1897, du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, Edmond est une comédie drôle, élégante, enlevée, et évidemment, pleine de ce panache qui a fait de Cyrano l’un des héros préférés des Français. C’est aussi une formidable déclaration d’amour au théâtre, à ses interprètes, à son artisanat et à ses illusions. Projeté en ouverture du dernier Festival d’Angoulême, il avait enthousiasmé les spectateurs. Ce qui, généralement, augure bien d’une jolie carrière. Elle serait amplement méritée !

Une phrase

« Je voulais qu’on se rende compte qu’au XIX° siècle, on accueillait les nouvelles pièces comme aujourd’hui les superproductions. Quand Cyrano déboula sur scène en 1897, il provoqua le même genre d’excitation que Game of Thrones en 2011… Il faut continuer à montrer que les planches peuvent être source de rêve et d’ « extraordinaire ». Ce n’est pas un art antinomique ou incompatible avec le cinéma. On peut exercer les deux, aimer les deux, et même, mêler les deux. » (Alexis Michalik, réalisateur)

L'auteur

Alexis Michalik est né en 1982 d’un père artiste peintre et d’une mère traductrice de livres d’art. Après avoir été un enfant turbulent à l’imagination débordante, il décide, adolescent, de se tourner vers le théâtre. Ce sera : « Les planches et rien d’autre ». Il n’a pas vingt ans quand il étrenne la scène dans le rôle–titre de Roméo et Juliette mis en scène par Irina Brook. Dans la foulée, il est reçu au Conservatoire de Paris, mais il le quitte pour réaliser ses rêves de création scénique. Dès 2005, il s’essaie à l’écriture en adaptant librement des classiques : Le Mariage de Figaro de Beaumarchais devient Une Folle journée et La Mégère apprivoisée

de Shakespeare, Une Mégère à peu près apprivoisée. Le franc succès obtenu par ces adaptions scéniques déjantées le pousse à écrire des créations originales. Ce sera d’abord, en 2013, Le Porteur d’histoire, en 2014, leCercle des illusionnistes, puis en 2016, Edmond, une comédie dramatique ébouriffante dans laquelle il retrace, avec un panache fou et une inventivité galopante, la genèse de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Non seulement  Edmond, comme les deux pièces qui l’ont précédé, conquiert le public ( Il se joue, encore aujourd’hui à guichets fermés), mais il rafle cinq Molières. Alexis Michalik qui l’avait d’abord écrit pour le cinéma, mais sans trouver preneur, en retravaille une nouvelle adaptation. Cette fois,  des producteurs décident de suivre celui dont le nom sur une affiche  est désormais synonyme de triomphe.

Et aussi

- « Les Invisibles » de Louis-Julien Petit - Avec Corinne Masiero, Audrey Lamy, Noémie Lvovsky, Deborah Lukumuena…

Audrey, Manu, Hélène et Angélique travaillent toutes les quatre à l’Envol, un centre d’accueil pour femmes SDF. Lorsqu’elles apprennent que la mairie a décidé de fermer ce centre, elles décident de prendre les choses en main. Avant de mettre la clef sous la porte,  elles disposent de trois mois pour réinsérer les femmes dont elles s’occupent. Cela ne va pas aller sans quelques magouilles, pieux mensonges, et irrégularités. Mais à la guerre comme à la guerre ! Et, d’une certaine façon, celle qui consiste à réinsérer les femmes de la rue en est une.

Après le gaspillage des grandes surfaces dans Discount (2015) et le burn-out des salariés dans Carole Mathieu (2016), Louis-Julien Petit se penche  aujourd’hui sur le problème (grandissant) des femmes dans la rue, qui représentent aujourd’hui 40% des précaires. Et il le fait  en leur redonnant visage et personnalité, avec ce ton qui n’appartient qu’à lui, entre humour, cocasserie, réalisme, énergie, rire, larmes, douceur et pugnacité. A mi chemin entre fiction et documentaire (les femmes de la rue de ce film sont toutes d’anciennes S.D.F), Les Invisibles est un film d’une force renversante. Dedans, il y a à la fois du Ken Loach, du Stephen Frears, mais aussi de l’Alberto Sordi. Ce qui n’est pas peu dire. On sort de ce feel-good movie sur les femmes de la rue -et celles qui, « invisibles » elles aussi, s’en occupent- secoué, comme après un tour en grand Huit. Bon sang, que ce film fait du bien et remet les pendules à l’heure !

Recommandation : EXCELLENT

 

- « Border » de Ali Abbasi - Avec Eva Melander, Eero Milonoff, Jörgen Thorsson

Il ne faut jamais se fier aux apparences. Prenez Tina, par exemple. Sous son physique pour le moins ingrat et sa façon de s’exprimer souvent par des grognements et des reniflements évoquant ceux des animaux, cette femme encore jeune cache une  aptitude sans pareille pour détecter un suspect rien qu’à l’odorat. Personne n’y échappe. C’est pour cela qu’elle est une douanière (suédoise) très appréciée. Mais un jour, Tina croise Vore, un drôle d’humain aussi disgracieux qu’elle et d’apparence suspecte. Pour la première fois, son flair n’opère pas. Pourtant elle pressent que Vore cache quelque chose, mais elle n’arrive pas à identifier quoi. Plus grave encore, elle éprouve une étrange attirance pour lui  Au cours de son enquête, elle va suivre Vore, l’aimer (?) tout en le craignant, et quand même finir par   basculer dans un monde qui n’est plus tout à fait humain…

Adapté d’une nouvelle de l’écrivain John Ajvide Lindqvist  (l’auteur de Laisse-moi entrer), Prix Un Certain Regard à Cannes en mai dernier, Border est une œuvre inclassable. Ni vraiment film d’horreur, ni thriller, ni drame, ni bien sûr comédie sociale et encore moins comédie romantique, c’est une sorte d’Ovni cinématographique  qui happe le regard dès le premier plan et subjugue  jusqu’au dernier. On est dans une histoire où, sous ce qu’il faut bien appeler la monstruosité de ses  deux protagonistes, leur étrangeté, aussi ( qu’on devine dangereuse), courent ce sentiment si bouleversant qu’on appelle l’amour, et cette vertu, si humaine, qu’on nomme la tolérance. Au fond ce Border qui sidère, attire et révulse en même temps, et nous mène aux confins d’un monde inconnu, n’est peut-être, à sa manière si poétique et si fantastique, qu’un appel à la reconnaissance de l’altérité. On adorera ou détestera.

Recommandation : EXCELLENT

 

- « L’Ange » de Luis Ortega- Avec Ricardo Darin, Lorenzo Ferro, Mercedes Morán, Cecilia Roth…

Buenos Aires, 1971. Carlitos est un jeune homme de dix-sept ans à qui personne ne résiste. Son charme, sa désinvolture et son insolence sont tels qu’il est impossible de deviner que sous son visage d’ange, se dissimule un démon. Au lycée, sa route croise celle de Ramon. Ensemble, ils vont s’engager sur un chemin semé de vols, de mensonges et de violences. Tuer va vite devenir pour eux une façon -comme une autre- de s’exprimer...

Inspiré par l’histoire du plus célèbre tueur en série de l’Argentine des années 70, celle de Carlos Robledo Puch, plus connu sous le nom de « l’Ange noir » qui, quarante-six ans après son arrestation à l’âge de 20 ans, croupit encore en prison pour avoir assassiné onze personnes et en avoir agressé, séquestré et cambriolé des centaines d’autres, l’Ange est une sorte de road movie à travers le pays du mal. Mais - et c’est cela qui fascine - sans aucune complaisance ni noirceur. Au contraire. C’est du cinéma, mais léger et coloré comme une BD. Le burlesque parvient même à se glisser dans certaines séquences. On comprend que ce film très singulier, très bien mis en scène par Luis Ortega et impeccablement interprété par Lorenzo Ferro et Chino Darin (le fils de Ricardo) ait été sélectionné en mai dernier à Cannes dans la section Un Certain Regard.  

Recommandation : EXCELLENT

 

- « Forgiven » de Roland Joffé - Avec Eric Bana, Forest Whitaker, Jeff Gum, Terry Norton…

En 1994, dans une Afrique du Sud post-Apartheid, l’archevêque Desmond  Tutu est nommé par Nelson Mandela président de la Commission Vérité et Réconciliation. Moyennant des aveux, cette dernière s’engage à accorder le pardon aux auteurs des crimes de l’Apartheid. Un jour, l’Archevêque est confronté à un assassin particulièrement retors, qui va lui laisser croire, au fil de terribles et captivants affrontements verbaux, qu’il serait prêt à témoigner en échange d’un pardon. La foi de l’homme d’Eglise va être mise à rude épreuve…

Adapté de la pièce l’Archevêque et l’Antéchrist,  écrite par Michaël Ashton à partir des échanges verbaux que Desmond Tutu eut avec un meurtrier condamné à perpétuité, Forgiven est un film intense qui  tente d’expliquer de quelle manière l’aveu d’un crime  intervient dans le processus de rédemption de celui qui l’a commis. Et cela, dans un contexte historique exceptionnel.

Même si  sa mise en scène souffre par moments de grandiloquence, on sent  que Roland Joffé , connu pour sa passion des films historiques (notamment La Déchirure en 1985 ou Mission qui obtint la Palme d’Or à Cannes en 1986) est à son affaire. Il faut dire qu’il a disposé d’une distribution haut de gamme, avec Forest Whitaker et Eric Bana.  

Recommandation : EXCELLENT

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