Festival de Cannes: Le redoutable

Jean-Luc Godard à la dérive
De
Michel Hazanavicius
Avec
Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Béjo, Micha Lescot, Grégory Gadebois
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

En 1967, le cinéaste le plus doué de sa génération, flambeau de la Nouvelle Vague, rencontre une jeune femme tout juste sortie du lycée. Elle a 19 ans, elle s’appelle Anne Wiazemsky et, détail piquant, elle est la petite fille adorée du grand écrivain catholique François Mauriac.
 
Jean-Luc Godard, 37 ans, c’est de lui qu’il s’agit, en tombe fou amoureux, la fait tourner dans « La Chinoise » (1967) et se marie avec cette très jeune et très jolie femme, flattée de se trouver au côté de ce grand homme – qui est allé demander sa main auprès du grand-père écrivain, le papa d’Anne étant décédé (cette visite n’est pas dans « Le redoutable » mais dans le livre dont le film est adapté, nous en parlons plus bas).
 
Leur union dure un peu plus d’un an, jusqu’à la révolution de Mai 68 comprise et ne résiste pas aux ennuis du célèbre cinéaste. « La Chinoise » est un échec commercial. Mai 68 passionne Godard qui participe aux manifestations et aux meetings mais se sent incompris. « Je hais les vieux, je suis vieux, donc je me hais » dit-il à sa jeune épouse parmi les nombreux aphorismes qui parcourent le film irrévérencieux de Michel Hazanavicius.
 
Bientôt, notre révolutionnaire en chambre s’enfonce dans une légère dépression, devient insupportable à son entourage et Anne, sollicitée par d’autres cinéastes pour faire l’actrice, le quitte sans regret ni remord. « Je ne t’aime plus » lui dit-elle un matin.

Points forts

Tout d’abord, hommage à Louis Garrel qui campe un Godard plus vrai que nature. Il a même pris le phrasé si particulier du franco-suisse le plus célèbre du monde ainsi que ses lunettes de myope qui sont un objet essentiel de cette comédie. Godard, qui ne voit rien sans elles, les brise méthodiquement en se faisant courser par les CRS dans les rues du Paris révolutionnaire. Tel est l’atout - l'anecdote, le dérisoire - de ce film qui aurait pu être profondément ennuyeux comme les œuvres de Godard dernière génération et qui est au contraire léger et joyeux.
 
Parmi les mille moments plaisants, on retiendra celui où il se dispute tendrement avec Anne dans une salle de cinéma tandis que défile à l’écran  « La passion de Jeanne d’Arc », film muet de Carl Dreyer. Anne parle sur le visage de Jeanne et Godard sur celui de son tortionnaire, l'évêque Cauchon. Effet tordant et scène déjà culte comme disent bêtement ceux qui ne sont jamais entrés dans un lieu de culte et ne savent pas ce que le sacré signifie.
 
En fait, le film capte, et c’est passionnant, le moment où Godard bascule et renie tout son cinéma pour se lancer dans ce qu’il appelle la révolution culturelle à la Mao, gourou des intellectuels parisien à l'époque. Il tourne le dos aux films qu’il nomme « bourgeois », se fâche avec son ami François Truffaut dont il vomit les histoires d’amour et finit par se brouiller avec tout le monde, à commencer par sa productrice Michèle Rosier (Berenice Bejo) et au final avec sa jeune femme (interprétée par Stacy Martin) qui ne reconnaît plus son Godard Nouvelle Vague.

Quelques réserves

Pas sûr que cette aventure godardienne haute en couleurs et en péripéties diverses, qui intéresse tant les vieux cinéphiles, conquière le jeune public qui biberonne à You Tube: Godard, connaît pas ? La dernière partie du film s’enlise avec un Godard qui n’est plus lui-même mais « le plus con de tous les franco-suisses », comme il le voit écrit, dépité, défait, dépassé, sur un mur de la Sorbonne. Rideau.

Encore un mot...

Écrivaine aujourd’hui âgée de 70 ans - « que le temps passe vite, hier, j’avais encore vingt ans » chantait Mouloudji - Anne Wiazemsky a raconté sa vie dans trois livres délicieux (disponibles en Folio) : « Mon enfant de Berlin » qui est l’histoire de sa mère, « Une année studieuse », sa rencontre avec le cinéaste Robert Bresson qui l’a fait tourner à l’âge de 16 ans dans le merveilleux « Au hasard Balthazar » et  « Une année studieuse », l’histoire de son mariage avec JLG dont le film de Hazanavicius est adapté. Belle adaptation car le cinéaste de « The artist » est allé encore plus loin que le livre, comme l'a reconnu récemment l'écrivaine après la vision du film, en radiographiant minutieusement la crise godardienne qui ronge encore aujourd’hui l’ermite de Rolle (Canton de Vaud en Suisse). Ajoutons, pour les lecteurs de la presse people, qu'Anne Wiazemsky n'a plus revu son ex-mari.

L'auteur

Michel Hazanavicius, 50 ans, a connu le meilleur et le pire à Cannes. Le meilleur : « The artist » (2011) qui frôla la palme d’or et décrocha après Cannes l’oscar du meilleur réalisateur et celui du meilleur film. Le pire, « The Search » (2014), une superproduction bouleversante sur la guerre en Tchétchénie qui ne bouleversa ni les festivaliers, ni une grande partie de la critique, ni plus tard le public.
 
Issu de la grande époque de Canal +, Hazanavicius a travaillé avec Les Nuls à l’écriture de textes et au tournage de sketches, exercice salutaire qui lui a mis le pied à l’étrier pour deux parodies inénarrables avec Jean Dujardin, « OSS 117 : Le Caire, nid d’espions » et « OSS 117 : Rio ne répond plus ». On retrouve ce ton farfelu dans « Le redoutable » qui ne plaira sans doute pas à JLG et à ses thuriféraires.  

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