L'Histoire d'une Mère

Ambitieux, authentique, envoûtant mais pêchant par l'interprétation
De
Sandrine Veysset
Avec
Lou Lesage, Catherine Ferran, Albert Geffrier, Ivan Franck, Dominique Reymond, Lucie Régnier, Alain Rigout, Catherine Depont
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Fille-mère, Neige vit dans une ferme bordant une forêt et un lac, avec sa mère Héloïse, une femme bourrue, et Louis, son jeune fils mutique. Quand elle ne livre pas les broderies faites main d’Héloïse ou les produits de leur petite ferme, Neige joue avec Louis et lui raconte Histoire d’une mère d’Andersen, la quête d’Angèle pour retrouver son fils mort. 

Bientôt, elle se sent attirée par Piotr, un jeune Polonais qu’Héloïse a guéri d’une grave brûlure grâce à ses dons de magnétiseuse et qui, en guise de paiement, lui répare une vieille voiture. 

Cette attirance agace Héloïse qui craint que Neige finisse de nouveau enceinte et seule. Cette lourde atmosphère jointe au mariage du fils de riches bourgeois vivant dans un château proche amènent Neige à rêver d’Angèle et à s’y identifier…

Points forts

D’entrée, on est frappé et charmé par l’authenticité et la justesse de ton se dégageant de l’univers rural dans lequel se déroule l’histoire. Pas un meuble, pas un ustensile, pas un arbre, pas un mur ne sent le faux. Les phrases sont brèves, les gestes utiles. Plus fruste que méchante, Héloïse est la face sombre de la joie solaire qui émane de Neige et de son fils, à l’instar de la maison, obscure, comparée à la forêt, luxuriante.

Et puis, par un léger décalage comme les grands chef op’ et éclairagistes en ont le secret, on réalise que ce réel est un leurre, que nous sommes dans un conte, sans que ce soit explicitement ni dit ni montré. Magie du cinéma, magie de la narration et plus que tout : magie des symboles aussi maîtrisés qu’intelligemment utilisés.

En effet, tout ici fait sens, incitant le spectateur à décrypter – comme nous le faisions enfant - une histoire entremêlant mythes grecs (on pense à Orphée et Eurydice avec la quête de l’enfant mort), égyptiens (Louis jouant avec scarabée symbole du soleil renaissant de lui-même et Neige se faisant tatouer sur le nombril un soleil dont le scarabée est précisément le représentant), psychanalytiques (le rêve exprimant l’angoisse de la mère et sa psychose né du conflit légitimité et illégitimité) et du conte traditionnel : la Mort, la Sorcière, la mère absente, la villa qui fait office de château, le bal du mariage, le nom même de Neige, le fils mutique…

Le jeu tranché des ombres et les lumières est, quant à lui, plus explicite et nous confirme ce que nous percevions : nous sommes dans la lutte entre le Bien et le Mal, la Mort et la Vie, l’onirisme et le réel.

Quelques réserves

Inutile de le nier, le jeu de certains comédiens ne sonne pas vraiment juste et quelques séquences (comme celle du mariage) ressortent indubitablement des téléfims d’avant les années 2000 : personnages statiques, farandole sans réelle mise en scène, etc. Mais si on observe l’ensemble du film, on comprend vite qu’il s’agit non d’un manque de talent ou d’un quelconque laxisme mais de la conséquence d’un budget réduit à sa portion congrue et d’un temps de tournage effectué à l’arraché.

Encore un mot...

“Nous avons presque tourné en huit clos au milieu de magnifiques décors naturels, utilisant la beauté ou la rudesse du pay­sage, tout ce que nous offrait la Nature, sa poésie, et je me suis accommodée des éléments qu’elle mettait à disposition. (…)Nous avons eu la chance d’avoir à portée de main, enfoui dans la forêt profonde, un marais d’eaux noires, dont la surface et les alentours étaient recouverts de pollen, ce qui donnait à l’ensemble la magie d’une fausse neige. .. Des lacs recouverts de nénuphars évoquant les tableaux de Monet.” Sandrine Veysset.

Nous avons choisi d’illustrer notre propos avec cette confidence de la réalisatrice. En effet, pour une fois qu’un “petit” film français (par le budget, donc) se montre original, simple à suivre et néanmoins profond dans ce qu’il propose, il faut savoir pardonner les points faibles mentionnés ci-dessus et saluer l’intelligence avec laquelle la réalisatrice a su combler les contraintes qui étaient les siennes en les transposant dans des images d’une beauté parfois envoûtante via une approche de l’univers des contes d’une pertinence qu’un Bettelheim n’aurait pas désavouée.

Une phrase

- “J’ai pris dix ans en cinq minutes et c’est tout ce que tu lui dis ?”. La grand-mère Héloïse à Neige après que Louis s’était caché.

- “Ce n’est pas bien. Tu as fait peur à grand-mère. Tu sais, c’est beaucoup dix ans à son âge”. Neige à son fils Louis pour satisfaire Héloïse à sa façon.

L'auteur

Née en 1967 en Avignon, Sandrine Veysset suit des études de Lettres modernes et d’Art plastique. En travaillant sur les décors du film de Leos Carax Les Amants du pont neuf (1991), elle découvre le milieu du cinéma. Carax l’incite à écrire le scénario (en partie autobiographique) de son premier long métrage : Y aura t’il de la neige à Noël ? Elle suit son conseil tout en continuant de travailler sur les décors de différents films. Elle rencontre ainsi le producteur Humbert Balsan. Moment déterminant qui va sceller une collaboration sans faille : Y’aura t’il de la neige à Noël ? (1996), Victor…pendant qu’il est trop tard (1998), Martha…Martha (2001), Il sera une fois (2006). 

Après le décès d'Humbert Balsan, Sandrine Veysset se replie sur la peinture et les collages. Mais l’appel des salles obscures est le plus fort. Elle en reprend le chemin et réalise une série de courts métrages pour Jeanne Moreau : Le tourbillon de Jeanne (2011). 

L’Histoire d’une mère (2016) signe son grand retour au long qui devrait être suivi deLa joie de vivre, avec Audrey Tautou et Roschdy Zem.

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