Jeanne d’Arc à travers l’histoire

Jeanne d'Arc: une remarquable mise en perspective historique
De
Gerd Krumeich
Editions Belin - 408 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

Jeanne d’Arc est l’une des figures emblématiques de la France et pourtant, que de querelles à propos de cette jeune fille courageuse, inspirée par ses voix, qui partit retrouver le roi de France, alors modeste petit Roi de Bourges, pour le convaincre de sa légitimité puis le faire sacrer à Reims, avant une épopée glorieuse qui s’achève tragiquement sur un bûcher de Rouen.

Entre la sorcière condamnée en 1431 et le procès en réhabilitation ordonné, en 1456,  par ce même Charles VII devenu entre temps « le victorieux », l’histoire allait s’emparer de Jeanne d’Arc et lui en faire voir, si j’ose dire, de toutes les couleurs. C’est ici le propos passionnant et remarquablement documenté que démontre Gerd Krumeich, historien allemand particulièrement francophile, qui, après lui avoir déjà consacré un livre sur la vérité de son histoire, s’intéresse ici à son historiographie.

Points forts

1 - Gerd Krumeich se plonge avec enthousiasme et science dans les différentes versions et approches successives de l'histoire de Jeanne  jusqu’à nos jours. On y découvre de multiples divergences. Au moment de son procès en réhabilitation en 1456, les textes trouvent  une justification à sa mort ; selon les contemporains, Jeanne aurait été bien au-delà de sa mission primitive, en un mot, elle en « aurait fait trop » et c'était peut-être pour cela que "Dieu l’aurait abandonnée". De plus,  Charles VII souhaitait alors que le bénéfice de sa victoire contre les anglais ne fût point partagé.

2 - Il est intéressant de savoir qu’on attendit longtemps pour retranscrire les documents originaux, comme les minutes de son procès. Ce fut le manuscrit de Saint Victor, rédigé entre 1488 et 1514, qui devint la source la plus accessible et fut repris par Belleforest qui la mentionne dans des Grandes Annales Officielles des rois de France, puis notamment Etienne Pasquier, l’un des premiers juristes humaniste qui se pencha véritablement sur les sources réelles de Jeanne et démontra que « toute sa vie et Histoire fut un vray mystère de Dieu. ». Ces notions furent enseignées jusqu’au 17ème siècle.

3 - Passionnant aussi de découvrir l’apport de l’historien Mézeray, lequel publia, entre 1643 et 1651, son « Histoire de France depuis Pharamond jusqu’à maintenant » en trois volumes, qui furent réimprimés et diffusés durant tout le 18ème siècle. C’est lui qui confirme la théorie du procès en réhabilitation en considérant Jeanne comme un signe de Dieu, manifestant ainsi le summum d’une tradition royaliste d’Etat, qui allait bientôt être contestée par l’époque des Lumières.

4 - Une pièce plutôt cruelle écrite par Voltaire, choque même ses admirateurs. Plus tard, les révolutionnaires s’emparent de Jeanne, détruisent les monuments qui célèbrent son association à la royauté, puis découvrent en elle  une fille du peuple qui combat pour la liberté du peuple. On oublie alors ses tribulations pour faire sacrer un roi. On honore cette libératrice de la France qui aurait mérité de combattre à Valmy. En célébrant la toute jeune République, on enrôle Jeanne pour toute fête patriotique et réconciliatrice, sur le modèle de celle du Champs de Mars, le 14 juillet 1790.

5 - L’auteur rappelle avec intérêt l’impact du « Génie du Christianisme » de Chateaubriand qui apporte son souffle romantique, tant sur la littérature romantico-historique, comme « Quo Vadis », que sur les futurs historiens. Notons que l’on passe alors à une histoire qui devient une réelle discipline à organiser sérieusement. L’aspect libéral et romantique d’Henri Martin et la ferveur de Michelet, qui célèbre avec ardeur l’héroïne spirituelle du Peuple éternel : « la Patrie chez nous est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous », apportent, dès lors des visions plus élaborées, créant ainsi la base de nos histoires contemporaines.

6 - A la fin du 19ème siècle, « deux France » s’opposent. La tradition monarchiste et cléricale, et l’anti-cléricalisme radical. Sur ce dernier aspect, Gerd Krumeich révèle, entre autres, l’action de Joseph Fabre, un philosophe radical élu de l’Aveyron qui traduisit le Procès de réhabilitation et lança en 1882 l’idée d’une fête républicaine et laïque de la patriote. L’Eglise, longtemps monarchiste, qui, en dépit du Concordat, va combattre, dès 1849, sous l’égide de Monseigneur Dupanloup, évêque d’Orléans, pour en faire une sainte et devenir l’emblême de la France de toujours. Dès lors, jusqu’à sa canonisation tardive en 1920, Jeanne redevient le drapeau d’un pays « catholique et français toujours » ;  ce qui épaula, via Déroulède ou Barrès, les nationalistes et les conservateurs, mais qui l’inscrivit peu à peu dans le culte de la Nation.  De nombreux « Poilus » de 14-18 portaient sous leur capote l’image de la sainte protectrice. Depuis, de tous les côtés, on la célèbre chacun à sa manière.

Quelques réserves

Je n'en vois pas.

Encore un mot...

Ce qui est surtout  tout à fait passionnant, c’est que l’auteur, par le prétexte de Jeanne d’Arc, nous démontre combien l’histoire est fluctuante, mystérieuse et contradictoire, selon les époques et les intérêts politiques du temps. On apprend clairement dans ce livre toute l’évolution d’une sorte d’emblème, dont la motivation profonde demeure mystérieuse, mais qui s’inscrit résolument dans le paysage français.

Une phrase

 «  Alors que les anticléricaux vont de plus en plus loin dans leurs analyses, les catholiques ne gardent au début qu’un vague souvenir de la Pucelle. Mais, vers la fin des années 1860, la situation évoluera considérablement dans le camp de ces derniers. Et l »impact de l’œuvre d’Henri Martin – paroxysme de l’appropriation républicaine – n’est pas étranger au fait que l’année même de sa parution intégrale (1868), l’évèque d’Orléans proposa officiellement, pour la première fois, la canonisation de Jeanne d’Arc. » (page 146)

L'auteur

Gerd Krumeich, né en Allemagne en 1945, est un historien allemand, spécialiste de la Première Guerre mondiale, professeur émérite de l’université Heinrich-Heine de Düsseldorf, vice-président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme). Il est particulièrement francophile et, outre de multiples ouvrages sur la grande guerre, il a publié récemment « Jeanne d’Arc en vérité » (Tallandier 2012)

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