La Bretagne, une aventure mondiale

Attention: livre essentiel sur la Bretagne.
De
Joel Cornette
Editions Tallandier
Notre recommandation
5/5

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Thème

Tout au long de cet ouvrage collectif, dense, documenté, passionné (l'auteur-animateur est un breton bretonnant), nous découvrons (ou redécouvrons) une Bretagne de chair et de sang, depuis la fondation par les Romains à la fin du 3e siècle du Tractus Armoricus (l'Armorique de l'époque face à l'Ile de Bretagne d'alors) qui prendra son nom de baptême, Britannia, ainsi nommée par Grégoire de Tours et les chroniqueurs de l'époque, au 6è siècle, tel Procope de Césarée, jusqu'à nos bonnets rouges contemporains, résurgence des révoltés de la gabelle sous Louis XIV. Nous croisons le roi Arthur, Surcouf, le plus célèbre de nos corsaires, à St Servan, retrouvons Jacques Cartier à la conquête de l'Arcadie, nous traversons l'époque sanglante de la révolution jusqu'à l'épopée de Cadoudal, dont les prémisses voient le jour au Parlement de Bretagne (le club des Jacobins est né "club breton"), nous saluons ces "Messieurs de St Malo", qui récupérèrent en 1708 le monopole de la Compagnie des Indes et suivons les aventures du citoyen Jean Conan de Guingamp..."chasseur de chouans".

C'est donc une Bretagne bouleversante et bouleversée, tour à tour fracturée et amputée, royaliste et républicaine, catholique au cœur des campagnes puis virant à gauche dans ses villes, que nous propose Joël Cornette et ses chercheurs. Au delà des évènements historiques parfaitement restitués sur près de 15 siècles, c'est une fresque sociologique, presque ethnologique, qui  nous est proposée, esquissant à grands traits une identité forte, riche et complexe et surtout ouverte sur le monde depuis des générations puisque aujourd'hui  on parle de la Bretagne comme du "Finistère de L'Europe".                                                                                                    

La Bretagne des menhirs et des calvaires, des grands ports et des petits champs, Bretagne de l'Armor et de L'Argoat, Bretagne des dieux et des hommes, terre de légendes, gardienne des traditions et creuset de la modernité à la fois, est sondée, radiographiée, révélée dans ses moindres détails par des spécialistes aussi compétents et impliqués que Olivier Chaline ("la Bretagne sur toutes les mers du monde"), Jean Kerhervé, Didier Le Fur ou....Mona Ozouf.

Points forts

a) Sur le fond

A la fois claire et documentée, La Bretagne "Epique" est captivante, vivante, émouvante ; la Bretagne des racines est admirablement restituée notamment grâce aux travaux de Georges Minois;  la Bretagne historique et culturelle, cette "singulière Armorique" selon le sous titre de l'auteur, est rendue palpable, concrète, accessible, notamment tout au long du prologue (une centaine de pages quand même) de l'ouvrage écrit par Joël Cornette lui même, l'historien spécialiste de l'identité bretonne, et traitée avec objectivité toujours et humour souvent.

Exemple : la juxtaposition, peut-être involontaire, de la Duchesse en sabots, Anne de Bretagne, deux fois Reine de France, et d'une Bécassine "rouge" illustrée, ne manque pas de cocasserie.

Autres exemples, d'érudition cette fois : les chansons et complaintes mises en lumière par Théodore de la Villemarqué au 19e ( précision de la tradition orale bretonne, unique en France) , la seconde vie du marquis de Pontcallec, la Bretagne avant qu'elle ne devint Française, la chouannerie et son "Mon pays et mon Dieu" !.. et peut être surtout " l'exemple le plus extraordinaire de fluidité sociale bretonne" permise par la monarchie, celui de Gilles Ruellan (sorte de Jacques Cœur du Coglès, près de Saint Malo et de  Combourg) qui commença comme colporteur et devint argentier du bon roi Henri IV puis gendre du duc de Brissac et seigneur du Rocher Portail qu'il fit construire (magnifique château à la Mansart) et du Tiercent  (ou l'auteur de ces lignes passait des vacances familiales...dans les années 60 !) puis conseiller au Parlement de Bretagne.

b) Sur la forme

1/ Le concept même de la construction de l'essai, enchainement de thèmes forts et de chapitres différents et complémentaires confère à l'ouvrage un confort de lecture rare et appréciable

2/ Un exercice pédagogique réussi  grâce à des annexes forts instructives et claires avec : un lexique, sorte de dictionnaire étymologique du bas breton (on apprend ainsi que Baragouin (-age) vient de Bara (pain) et de gwin (vin) = Baragouinage, langage incompréhensible  quand on a un peu "abusé"... ; une histoire de la Bretagne en 100 dates ; un index des noms de lieux et de personnes

Quelques réserves

La Bretagne "politique et sociologique" du monde moderne traitée à la fin de l'ouvrage - notamment par Mona Ozouf parlant de bigarrure politique et invoquant le "Dieu change en Bretagne" (d'Yves Lambert) - est moins convaincante et prête à polémique. On veut sans doute nous démontrer que la Bretagne bouge en soulignant les orientations politiques nouvelles (monde étudiant très "actif", population ouvrière du secteur automobile, émergence des JAC  (Jeunesse agricoles Chrétiennes) et son basculement vers la tentation laïque ... Par ailleurs, sur le plan de l'entreprenariat et de l'ouverture sur le monde, des Bretons authentiques d'envergure internationale et "polyphoniques", comme l'écrirait Joël Cornette, tels François Pinault et  les Bolloré, ont quelque chose à dire d'au moins aussi probant que M.E. Leclerc.  A ce champion du grand commerce, descendant du  petit épicier de Landerneau, novateur certes, mais breton un peu par hasard, revient pourtant l'honneur d'un témoignage final.

Sans parler des familles Desgrées du Lou et Hutin qui ont su créer et développer le quotidien le plus imprimé et lu en France ou de la famille Oberthur, le fameux imprimeur des postes et des calendriers, à l'origine de la carte à puces ; ce que l'on sait moins. Oui, la mondialisation est en marche en Bretagne, suivant le sillon creusé dans les années 70 par un agriculteur de génie, Alexis Gourvennec, le Prince des Artichauts et...fondateur à Roscoff des Brittany Ferries pour la bonne cause de l'export, sorte de Merlin l'enchanteur à l'envers, parti à la conquête de la "Grande" Bretagne.

Si la Bretagne en est arrivée là, forte et unie, c'est parce qu'elle est mise en musique par un peuple soudé partageant les même valeurs et animé par une fierté inébranlable. 

Encore un mot...

Comment l'Armorique Gallo-Romaine est-elle devenue la région de France la plus compétitive, la plus "indépendante" de la France et en même temps la plus loyale et la plus intégrée à l'Europe: un livre majeur qui se lit comme un roman...d'aventures ! Une histoire raisonnée, qui répond, tel un  écho, au manifeste passionné de l'excellent Gilles Martin Chauffier , "Du bonheur d'être Breton" (ed. Equateurs, nov.2017).

Une phrase

Mieux qu'un extrait-il en faudrait autant que d'intervenants-, une synthèse :

"BLANCS, BLEUS, ROUGES", titre du chapitre écrit par Christian Bougeard, 3 mots en guise de clin d'oeil,  qui résume bien les avatars subis par le royaume d'Erispoé, fils de Nominoé, depuis les 6e et 8e siècles jusqu'au "oui" franc et massif des Bretons à l'Europe, à l'opposé du non majoritaire des Français (2005,traité constitutionnel)".

L'auteur

Joël Cornette, principal contributeur de cette "Bretagne mondiale", a assuré la direction éditoriale de l'ouvrage. Né le 14 octobre 1949 à Brest, normalien (St Cloud), agrégé d'histoire, il est professeur émérite à l'université PARIS VIII (Vincennes). Auteur de nombreux ouvrages ("Le siècle de Louis XIV" sous la direction de Jean Christophe Petitfils, "Histoire de la Bretagne et des Bretons"...), il a obtenu, pour l'ensemble de son oeuvre , le Grand Prix d'histoire de l'Académie Française.

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François Cheng, de l’Académie française postface de Daniel-Henri Pageaux