Ma vie avec Virginia

Un témoignage élégant, précieux, sincère, et passionnant
De
Léonard Woolf
Editions Les Belles Lettres
Notre recommandation
4/5

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Thème

Ce livre est le récit de la vie partagée avec Virginia Stephen, soeur de son ami Thoby, qu'il épouse en 1912. Il permet, à travers ce journal élégant, de savoir comment Virginia, qu'il considérait comme un génie, écrivait . Au delà de cet aspect du livre, Léonard relate les événements politiques, sociaux, culturels, qui se rattachent à cette vie menée pendant près de trente ans, couvrant une période particulièrement secouée tant au plan historique qu'au plan des  idées nouvelles qui viennent bouleverser l'ordre ancien, en Angleterre et en Europe.

Points forts

Ce livre répond à plusieurs questions:

- Qui était Virginia Woolf? Née d'un père auteur de "l'histoire de la pensée anglaise au 18e siècle", critique littéraire, Virginia est une jeune femme  élégante, à la pensée distinguée. Issue d'un milieu où les jeunes femmes sont essentiellement éduquées à tenir un rang social, elle échappe par son intelligence à ce schéma.  Elle a une conversation très brillante, un esprit vif, intelligent, de l'humour sérieux ou frivole selon les circonstances, mais parfois elle "décolle" au cours d'une conversation. Léonard  perçoit très vite l'aura de Virginia, sa fragilité psychologique. Il rapporte que les gens se moquaient d'elle dans la rue en raison de sa façon de marcher car elle se déplaçait  lentement pensant toujours à quelque chose, rêvant. Léonard la décrit cependant comme étant sensible aux activités les plus basiques, mais note que son anxiété et sa souffrance rendaient sa beauté "douloureuse à observer". 

- Comment Léonard a-t-il géré les dépressions nerveuses de Virginia? Il sait, quand il l' épouse, qu'elle a fait une grave dépression à la mort de sa mère en 1895 et il perçoit sa fragilité psychologique. Dès qu'il voit un signal d'alerte il l'incite à se reposer. Cependant, esprit tourmenté, elle ne peut éviter de terribles dépressions entre 1913 et décembre 1915. Leonard note qu' en 1913 elle a écrit "croisière" et que ceci l'a mise dans un état de tension extrême débouchant sur une grave dépression et même au delà. Lors de la crise de 1941 qui a conduit Virginia au suicide, elle laisse un message à son mari dans lequel elle dit ne pas supporter de revivre une autre dépression nerveuse; il écrit ne pas avoir évalué à temps la gravité de son état.

- Comment a-t-elle écrit ses livres? Léonard est un témoin privilégié qui cite Virginia: "je cours après ma propre voix, les voix qui volent au devant de moi" et il pense que  cette évasion des modes ordinaires de pensée est ce qui définit l'inspiration et le génie. Virginia, en raison de sa santé, ne pouvait écrire que quelques heures par jour, s' arrêtant des semaines, travaillant lentement. Virginia a écrit 17 livres, et rien avant trente ans. Ell souhaitait que ses livres soient parfaits pour eux mêmes et elle éprouvait un sentiment maternel pour eux. L intéret du journal de Léonard est le rappel au fil du texte des livres écrits par Virginia dont il raconte la genèse.

- Qui étaient leurs amis? Certains sont liés à Cambridge ( Kaynes, E.M Forster, Roger Fry, Duncan et Vanessa Bell (soeur de Virginia, peintre). Ils forment le cercle de Bloomsbury; ils sont  hostiles au capitalisme et aux guerres impérialistes. D'autres le deviennent au fil du temps,  Katherine Mansfield, Dora Carrington, Vita Sackville -West. 

- Pourquoi la Hogarth Press? Léonard et Virginia créent de manière très artisanale cette maison d'édition tout d'abord pour éditer les livres de Virginia, puis ceux de T.S Elliot qui n'étaient pas appréciés des libraires et bien sûr, ensuite, d'autres auteurs comme Katherine Mansfield et Freud, en 1924, qui n'a pu arriver en Angleterre qu'en 1938, "après avoir mis 3 mois à sortir des griffes des nazis". Le récit des rencontres à Londres avec le Dr Freud est très intéressant.

Quelques réserves

Pour un lecteur intéressé par le groupe de Bloomsbury,  au delà de découvrir le mode de fonctionnement et le nom des membres de ce cercle, il aurait été passionnant de connaître davantage leurs engagements. 

Encore un mot...

 Ce livre est un précieux témoignage de la créativité littéraire de Virginia Woolf, toute de sensibilité exacerbée. On mesure combien l'écriture de ses romans et nouvelles  était le fruit d'une souffrance, d'une vision; que  le choix de mots ajustés pour mieux capturer la pensée, était un moyen d'accéder à une forme de libération pour transférer dans ses livres sa souffrance psychologique et sa perception intériorisée de son environnement, qu'il s'agisse des personnes ou des lieux. Léonard Woolf était aussi un éditeur et son avis sur les livres de son épouse estt particulièrement intéressant.

L'auteur

Leonard Woolf  est né en 1880 à Londres.  L'aisance de sa famille -son père était avocat-l'a conduit à intégrer les meilleures écoles anglaises dont Trinity College et Cambridge où il s'est préparé au concours d'administrateur civil de l'empire colonial. C'est là qu'il se lie avec Thoby Stephen et ses soeurs Virginia et Vanessa. Puis il part en poste à Ceylan en 1905; en 1911, alors que la date de sa permission approche, il décide de démissionner pour rester en Angleterre et surtout près de Virginia. A partir de son expérience coloniale, Leonard Woolf, attentif aux conditions de vie des populations administrées, écrira "Le village dans la jungle" et un journal en 5 volumes à partir duquel Micha Venaille a constitué "ma vie avec Virginia." 

Leonard Woolf a été très impliqué dans les  cercles de pensée politique et intellectuelle, notamment au sein du groupe de Bloomsbury; il a été secrétaire du parti travailliste, corédacteur du traité de Versailles qui donnera naissance à la SDN, future ONU. Il créera aussi avec Virginia la Hogarth Press qui publiera outre les écrits de Virginia, ceux de E.M Forster, de Katherine Mansfield et de Freud...

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