LE FAISEUR DE THÉÂTRE

Plus sombre, tu meurs, mais quel talent !
De
Thomas Bernhard
Mise en scène
Christophe Perton
Avec
André Marcon, Agathe L'Huillier, Eric Caruso, Jules Pelissier, Barbara Creutz, Manuela Beltran
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre Dejazet
41 Boulevard du Temple
75003
Paris
01.48 87 52 55
Tous les soirs sauf dimanche à 20 h 30 jusqu'au 9 mars
Tarifs
27 à 42 €

Thème

Bruscon, le Faiseur de Théâtre (André Marcon) n'est pas un simple comédien en tournée, il se veut " le plus grand de tous les temps" et l' auteur d'une comédie historique qui, à l'en croire, est un chef d'oeuvre.  Madame Bruscon (Barbara Creutz), elle, est poitrinaire, tousse à fendre l'âme et subit sans mot dire les sarcasmes de son mari. Quant aux enfants, Sarah (Agathe L'Huillier) et Ferruccio (Jules Pelissier), ils ont depuis toujours appris à se soumettre à ce père tyrannique et exaspérant. Tous s'apprêtent à jouer selon ses directives, dans un "trou" lugubre de la campagne autrichienne (Utzbach). Ils attendent dans une auberge humide aménagée en théâtre "qui sent la porcherie", qui affiche aux murs un portrait moisi de Hitler et sur scène, des rideaux déchirés. Rien ni personne ne trouve grâce aux yeux de ce génie furieux, jamais satisfait, entêté, atrabilaire mais émouvant dans sa visée de la perfection "la plus haute".

Points forts

Avant tout : le texte (4 scènes) qui alterne les insultes de ce coléreux contre des détails anecdotiques (le bouillon à l'omelette, l'éclairage de secours, l'épingle à chapeau, l'eau minérale...) et les tirades cinglantes contre ceux qui détiennent un pouvoir : les journaux "gribouilleurs incompétents" et leurs critiques qui "n'entendent rien", les femmes "mortelles pour le théâtre", les catholiques, les campagnards, et même les pompiers, mais surtout contre l'Autriche, pays honni par Thomas Bernard, "grotesque, retardée, irresponsable...  fosse d'aisance dans la poche purulente de l'Europe".  Le spectateur oscille ainsi entre tirades légères et réflexions profondes.
Et derrière tout cela, l'interrogation fondamentale de  l'auteur : le théâtre "perversité dont on raffole, mensonge fascinant" vaut-il qu'on lui consacre sa vie, surtout pour devenir "comédien d'Etat"? Ne ferait-on pas mieux d'être  tenancier et servir la bière ? Jusqu'à la question centrale : "Nous sommes assujettis la vie durant à l'absurdité d'être nés...". 
Si vous n'avez jamais entendu les formules choc de Thomas Bernhard, l'occasion vous en est ici fournie : inoubliable, sublime, jubilatoire ! Ces adjectifs ne sont pas trop forts, on peut, sans se tromper, les leur appliquer. Un texte admirablement servi par les 6 comédiens parmi lesquels André Marcon : magistral, dans l'un des plus beaux et des plus anciens théâtres de Paris. 

 

Quelques réserves

·        Léger essoufflement à partir de la troisième scène, heureusement compensé par la scène finale.

 

Encore un mot...

Un conseil si vous le permettez : lisez la biographie de Thomas Bernhard avant d'aller au théâtre, car nombre des thèmes abordés sont directement liés à ses expériences (enfance très perturbée, maladie pulmonaire, détestation des Autrichiens malgré son immense notoriété, etc), comme si cette pièce était un condensé de sa propre histoire.

 

Une phrase

Ou plutôt six:

- "Quand nous écrivons une comédie nous devons nous préparer à ce qu'elle soit interprétée par des amateurs, par des anti-talents, c'est notre destin"...

- "L'écrivain est mensonge, les interprètes sont mensonges et les spectateurs aussi sont mensonges et le tout rassemblé est une absurdité unique, sans même parler du fait qu'il s'agit d'une perversité qui a déjà des milliers d'années...  Aujourd'hui dans les comédies et même dans les grands théâtres on ne fait que piailler."..

- "Mozart Schubert prépotence répugnante... De toutes façons je déteste la musique au théâtre mais les gens il faut qu'ils aient de la musique entre les actes autrement ça ne va pas...Verdi fait l'affaire... (que l'excellente mise en scène due à Christophe Perton nous fait évidemment entendre!)"

- "Depuis que les prolétaires sont maîtres du monde le monde est sur son déclin. Ils avaient promis l'essor mais en vérité c'est le déclin... Maintenant le socialisme comme on l'appelle nous présente l'addition, les caisses sont vides, l'Europe est fichue... Ce qui me navre le plus c'est le fait que les prolétaires ont détruit aussi le théâtre"

- "Il faut décrocher ces tableaux. Avec des tableaux hideux, je ne peux pas jouer... N'est-ce pas un portrait de Hitler... Il faut regarder bien attentivement pour voir que c'est Hitler tant il est couvert de poussière... Ici tous les portraits d'hommes représentent Hitler"

- "Résister pour exister, c'est irriter qui compte"

L'auteur

Bien que né aux Pays Bas en 1931, Thomas Bernhard est l'un des auteurs de théâtre autrichiens parmi les plus fameux. Durant l'enfance il a souffert à la fois d'être placé dans un centre d'éducation à la discipline très stricte puis, en 1943, dans un internat nazi à Salzbourg,  et d'être atteint d'une maladie pulmonaire dont il a souffert toute sa vie. Sa scolarité a toujours été catastrophique. Fréquemment hospitalisé, il rédige des poèmes ; il étudie la musique au conservatoire ainsi que le théâtre. Il rencontre sa femme dans un sanatorium. A Vienne, il dresse un portrait féroce des intellectuels, traitant le Burgtheater de repère de mensonges.  En 1965, il achète une ferme en Haute Autriche et s'y réfugie. Il est hué, insulté, boycotté, et lui-même interdit que ses pièces soient jouées à Vienne, et pourtant il en devient, avec une trentaine d'oeuvres, l'un des maîtres, notamment avecPlace des Héros (1988). La Comédie française l'inscrit à son répertoire en 2004. Il meurt en 1989.

Le texte en français est publié par les Editions l'Arche et la majorité de ses ouvrages sont disponibles en folio. 

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