Quand tu écouteras cette chanson

Une nuit chez Anne Frank. “ Que faire de ce qui nous a été légué ? “. Lola Lafon n’esquisse en fait aucune proposition de réponse
Stock, Collection Ma nuit au musée.
Parution : Août 2022
250 pages
19,50 €
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2/5

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Thème

 Sollicitée par Alina Gurdiel qui dirige l’étonnante collection « Ma nuit au musée » chez Stock, Lola Lafon décide d’affronter une séquence de son histoire familiale dont elle reconnaît avoir volontairement détourné les yeux : la Shoah. Sa nuit au musée, elle la passera donc à Amsterdam, avec un crayon, un cahier et un lit de camp, dans la Maison où Anne Frank et ses proches se cachèrent vingt-cinq mois avant d’être dénoncés et arrêtés. Anne Frank, à la fois si connue et si fantasmée, adolescente irrévérencieuse à l’image des jeunes filles que chérit Lola Lafon dans ses romans… Cette « rencontre » ressemblera-t-elle à l’une de celles que pourrait imaginer l’auteure ? Ou bien va-t-elle éclairer des facettes insoupçonnables d’Anne mais aussi révéler - devrait-on dire « réveiller » -  des émotions chez Lola, confrontée à sa judéité ?

Points forts

- L’expérience et la démarche insolites et courageuses de s’enfermer, seule, pour une nuit, dans un musée -  en l’occurrence le lieu très « habité » de l’Annexe, où se cachaient les Frank.

- Le sujet :  la jeune Anne, son destin terrible, l’aperçu tangible que son Journal donne du sort de tous ceux qui, comme elle, ont cru à un « après » avant d’être avalés par la Bête immonde.

- Le portrait d’Anne en écrivaine, à la recherche de sa voix et d’un style, dont on découvre que le Journal a été aussi vénéré que censuré. 

- La délicatesse de l’écriture et sa richesse qui séduiront certains lecteurs.

- La construction du livre qui semble d’abord partir dans trop de directions mais tisse en fait une toile assez subtile entre l’histoire d’Anne Frank, celle de Lola Lafon et d’Ida, sa grand-mère juive polonaise, pour, à la toute fin, relier tous les fils à un souvenir d’enfance qui résume à lui seul l’horreur de tous les génocides.

Quelques réserves

 Lola Lafon n’en finit pas de se retenir de dire ce qui est au cœur de son propos. De cette très forte réticence, il ressort une impression générale de mollesse d’écriture plus que de délicatesse des sentiments, à laquelle seules échappent les dernières pages du livre, bouleversantes.

Encore un mot...

Sauf à passer pour un critique au cœur de pierre, pas facile d’assumer qu’on est resté à distance d’un texte qui aborde le sujet tragique de la Shoah, qui ne fait pas mystère de sa motivation autobiographique et qui ajoute à sa charge émotive l’histoire d’une toute jeune fille dont le Journal a bouleversé le monde entier.  

Et pourtant… 

J’avoue m’être vite lassée de regarder Lola Lafon tourner autour de son sujet, ne pas ouvrir - au sens propre comme au sens figuré - la porte de la chambre d’Anne. Sans la gravité du propos, j’oserais me demander si cette frilosité ne trahit pas tout bonnement une posture littéraire, un manque de simplicité et même de sincérité. Au fond, une phrase résume ce sur quoi bute l’auteure : “ Que faire de ce qui nous a été légué ? “ s’interroge-t-elle à juste titre en se frottant à l’expérience de cette nuit blanche et à l’écriture de son récit. Bientôt, les rescapés de la Shoah seront tous morts, il n’y aura plus de transmission vivante de la tragédie. L’expression artistique restera le seul relai possible des voix éteintes. Quels chemins artistiques emprunter ? La Chanson de Lola Lafon pose la question mais n’esquisse aucune proposition.

 

Une phrase

 “Assise sur le lit de camp, je relis mes notes (…) Je ne sais pas ce que ça me fait d’être là. Pour le savoir, il faudrait que je me le raconte, que je l’écrive. Le présent que je n’écris pas flotte, un brouillon sans contour. C’est en écrivant ce que je vis que je comprends ce que je vis.”(p101)

L'auteur

Lola Lafon est née en 1974 d’un père français et d’une mère roumaine, tous deux professeurs de littérature. Elle a grandi en Roumanie sous Ceausescu puis en Bulgarie avant de rentrer en France avec ses parents en 1980. Outre ses autres activités artistiques (chanson, musique, comédie), elle est l’auteure de plusieurs récits - dont le formidable portrait de sa compatriote roumaine Nadia Comaneci, l’inoubliable petite fée de la gymnastique féminine (La Petite Communiste qui ne souriait jamais, Acte Sud 2014) et Chavirer (Acte Sud, 2020 – voir la chronique de Claire Français sur Culture Tops).

 Quand tu écouteras cette chanson a reçu le Prix Décembre 2022 et le Prix Les Inrockuptibles 2022.

Commentaires

Millé Jarra
sam 19/11/2022 - 15:47

Sauf á passer pour un critique de critique au coeur tendre, ce que j'assume … Il me semble que l’ inflexion de ton qu’on devinait poindre dans vos critiques récentes - á certaines retenues subtiles de moins en moins retenues - s affirme.
On peut être critique et apprécier sans n’user que de la rigueur du poignard, en laissant s’ entrouvrir la fenêtre de sa propre intériorité —
Ça fait du bien de le lire, ça soulage ! C'est humain .
milė Jarra

Anonyme
mar 22/11/2022 - 15:10

Merci
Milé Jarra

Veronique ROLAND
mer 23/11/2022 - 23:02

" retenues subtiles de moins en moins retenues", "rigueur du poignard". Comme vous y allez.
Il y a bien assez de critiques complaisant.e.s sur le marché.

Anonyme
sam 26/11/2022 - 17:43

Un chant monte de vos critiques récentes . Il fait trembler le poignard de cristal que vous teniez d’ une main de pierre " pour faire le métier sans complaisance ".
C est tant mieux si votre coeur est vivant , il nous met dans l impatience de vos phrases á venir .
Vous n avez plus á appartenir a une " école "  .
Milé Jarra .

.

Veronique ROLAND
sam 03/12/2022 - 04:01

Milé Jarra, vos images sont violentes et passent les limites du commentaire.
"Poignard", "main de pierre", "coeur encore vivant".
Je vous signale au modérateur.

Nadine38
mer 07/12/2022 - 19:08

Je ne vais pas compter les points, vous avez trouvé un contradicteur de talent, Véronique, avec une jolie plume.
Je dirais que Lola Lafon n'est pas toujours constante, j'ai adoré certains livres, d'autres, non. Je l'ai rencontrée au salon du livre de Voiron, en Isère et elle est intéressante.
Mais, aussi, les éditeurs passent leur commande et les auteurs n'ont pas la même inspiration, si "deadline" à tenir.
Je viens de relire "le journal d'Anne Franck", que j'avais lu à 13 ans, je ne m'en lasse pas.
Mais je ne suis pas attirée par le livre en question.
J'opte plutôt pour "la carte postale, d'Anne Berest, un petit bijou.

Veronique ROLAND
dim 11/12/2022 - 23:32

Chère Nadine38,
On peut tout à fait compter les points... si le contradicteur use d'arguments strictement littéraires. Là où ça ne va plus, c'est quand le commentaire ne porte pas sur le texte mais sur la manière d'être (imaginaire) du chroniqueur, et devient agressif.
Pour vous répondre, ayant été éditrice je sais bien que parfois les auteurs ne sont pas aussi accompagnés qu'il le faudrait _ mais le chroniqueur n'a pas à tenir compte de ce genre de contingences ; lorsqu'il donne son avis, il le donne sur un livre, pas sur un contexte de production.

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