LE ROMAN DE LONDRES

Le long roman d’un exilé...
De
Milos Tsernianski
Editions L’âge d’Homme (1992) -
551 pages -
21.50 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

 Le prince Nicolaï Rodionovitch Repnine, officier tsariste qui a combattu dans les armées blanches de Denikine, est contraint, après la défaite, de fuir la Russie avec sa femme Nadia. Après une longue errance (Turquie, Algérie, Portugal, Prague, Paris et, enfin Londres) ils échouent, à l’issue des quatre hivers de la Seconde Guerre Mondiale, dans une triste maison de la banlieue londonienne où la misère les guette. Nicolaï enchaîne les petits boulots minables et Nadia fabrique des poupées qu’elle tente de vendre.

Hanté par l’idée que sa femme finisse « comme une clocharde dans un caniveau », le prince persuade Nadia de partir rejoindre sa tante aux Etats Unis et reste seul à Londres pour affronter l’inéluctable.

Points forts

-L’amour que se portent Nicolaï et Nadia après 26 ans de mariage qui n’exclut pas la dissimulation, seule façon de combattre le désespoir et de contrer la fatalité.

-L’extrême complexité du personnage de Repnine à la fois pathétique et exaspérant, qui se refuse au moindre compromis. Guerrier avili d’une armée blanche vaincue, il reste un soldat, enivré par une armée rouge victorieuse, une Grande Armée qui « marche au même pas » et a gagné la Seconde Guerre Mondiale. La Russie, blanche ou rouge, reste sa seule patrie (Le sigle URSS lui est d’ailleurs étranger) ce qui vaut parfois à cet incompris le surnom de « Tovaritch » (camarade) de la part de compatriotes restés tsaristes à tout jamais.

Pour ce dépressif suicidaire, hanté par la peur de vieillir, Saint-Pétersbourg est la jeunesse, et l’exil le déclin vers la mort.

Quant à ceux qui désirent l’aider (Comité de soutien aux « personnes déplacées » et autres organisations de bienfaisance) il les fuit comme la peste et se conduit en mufle avec certains de ces philanthropes qu’il qualifie systématiquement de « classe moyenne ».

Dans la ville tentaculaire qu’est le Londres de l’après-guerre, ce prince russe personnifie l’humilié hautain contraint de côtoyer la multitude des anglais aimables et indifférents qui ont trahi sa patrie et continuent de la trahir…

-La lumineuse figure de Nadia, belle de corps et d’esprit, courageuse et enjouée, aimée de tous ; plus jeune que son mari, elle est attentive à son bien mais consciente de ses hantises et de sa prégnante tentation de suicide. Si Nicolaï croit justifier leur séparation par la sécurité de son épouse, Nadia, beaucoup plus forte, se tait sur la vraie cause de son départ -l’enfant qu’elle porte et dont le père ne saura rien- car elle sait que c’est la seule façon de préserver l’avenir des Repnine.

-Toute une série de personnages annexes -exilés russes et polonais, petits employés londoniens- gravitent autour du couple central et mettent un peu d’animation dans le récit.

Quelques réserves

Long, très long, très, très long…

Repnine ressasse énormément et, donc, Tsernianski avec lui : toujours les mêmes pensées, les mêmes souvenirs, les mêmes descriptions, encore et encore, avec les mêmes mots identiques.

Les angoisses de l’exilé résonnent en boucle dans ses oreilles telles des acouphènes qui auraient nom Jim et John, ses deux Moi parallèles, ou Barloov, l’ami suicidé qui ricane de ses atermoiements. A ne surtout pas lire en cas de déprime !

Encore un mot...

L’étonnante construction de ce roman a de quoi dérouter le lecteur : la minutie des descriptions, constamment reprises, cache les tournants importants de la vie des deux héros, juste signalés en une phrase rapide ou même seulement suggérés.

Ainsi, la longue lettre qu’écrit Repnine à Ordinsky, l’ami qui l’héberge après le départ de Nadia, n’est-elle qu’une série de considérations sur l’empereur Napoléon – dit le grand N. qu’il déteste- et sur ses maréchaux qui sont les vrais gagnants des victoires qu’on lui attribue.

Ce sera sa dernière lettre…

Une phrase

« Pourquoi ne lui as-tu pas dit qu’ils devraient avoir honte de mentir de la sorte, que même en Crimée ils nous ont menti, que nous sommes arrivés à Londres quand ça brûlait, que nous étions leurs alliés pendant la guerre et que nous avons payé de notre sang, que nous ne sommes pas venus ici pour laver leur vaisselle ni vendre leurs journaux sur les trottoirs de Piccadilly ? » (p.63)

L'auteur

Miloš Tsernianski (1883-1977) considéré comme le chef de file de l’avant-garde yougoslave, fut l’un des plus importants poètes et romanciers serbes. Diplomate au début de la Seconde Guerre mondiale, il émigre à Londres où il réside pendant plus de vingt ans. Il y écrit ses œuvres les plus marquantes, Migrations (1929), Lamento pour Belgrade (un recueil de poésie, 1965) et, surtout, Le Roman de Londres (1971) qui est le reflet de son propre exil.

A noter que le grand éditeur Dimitrijevic avait écrit une postface dans la réédition Noir sur Blanc de ce roman. Postface qui, malheureusement, n’a pas été reprise dans l’édition qui m’a été adressée.

Commentaires

Hilaire soete
lun 14/06/2021 - 18:48

Long, très long ,écrivez-vous, peut être, mais impossible de le lâcher des maintenant il nous prend au rythme de ses
pensées qu'il ressasse à profusion; le style est direct vous prend à la gorge.
400 pages pour deux ans ou les quelques péripéties de la vie sont à peine suggérées mais qu'on ne peut lâcher ;
Marcel POUST et A RECHERCHE DU TEMPS PERDU n'est pas loin CHEF D'OEUVRE

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