Les ennemis jurés, juges et politiques

De trop vagues réponses à de bonnes questions sur les deux mondes, le judiciaire et le politique. Dommage !
De
Pierre Rancé
Robert Laffont - 330 pages - 21€
Notre recommandation
2/5

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Thème

Un journaliste revient sur les affaires politico-judiciaires des trente dernières années. S’agit-il d’une véritable guerre de pouvoir entre les juges et les hommes politiques ? Sont-ils des ennemis ? D’après l’auteur une telle guerre n’existerait pas, les magistrats ne songeant qu’à la stricte application de la loi pour tous, et les politiques, après avoir usé de tous les moyens pour instrumentaliser à leur profit la justice, cherchant aujourd’hui différentes pistes pour s’en désintéresser totalement.

Points forts

La manière efficace de faire revivre les affaires qui ont défrayé la chronique. Avec un tel retour en arrière, comme toujours à la lecture de ce type de livres, on se demande pourquoi, alors que tout semble aujourd’hui si clair et limpide, nous avions, lorsque c’était l’actualité, l’impression d’une telle complexité ?

Les bonnes questions sont posées : 

  • qu’est-ce qui anime les juges lorsqu’ils ont dans leurs griffes un homme politique ou ses proches ? Est-ce une volonté de vengeance contre le monde politique qui les méprise ? Sont -ils scandalisés par les comportements malhonnêtes de ceux qui devraient être irréprochables ?

  • Et, de leur côté, les hommes politiques ont-ils raison de penser que certains magistrats, dont les engagements politiques sont systématiquement à gauche, se servent des moyens exorbitants qui leur sont donnés par leur fonction pour peser sur des élections dont ils veulent des résultats à leur mesure ?

Quelques réserves

Malheureusement ce ne sont pas toujours les bonnes réponses qui sont apportées à ces questions. Certes l’auteur prend le soin d’équilibrer, au moins dans l’apparence, entre la droite et la gauche, les affaires retenues.

Mais la plus emblématique, à gauche, est quasiment passée sous silence ; à qui fera-t-on croire encore, alors que Messieurs Balkany et Sarkozy viennent de subir des condamnations d’une brutalité inouïe, que Monsieur Cahuzac ne doit l’incroyable bienveillance dont il a bénéficié qu’à son talent pour baisser la tête et demander pardon ce que, certes, les juges goûtent particulièrement ?

Et pourquoi la mise en examen de Monsieur Fillon est-elle intervenue, avec une rapidité inconnue du monde judiciaire, en pleine campagne électorale ? Et pour des faits qui pourraient être reprochés, de notoriété publique, à la moitié des députés de cette époque.

Et pourquoi les multiples ennuis judiciaires de Monsieur Sarkozy semblent-ils retrouver, dès qu’une campagne présidentielle se dessine, une vie médiatique frénétique, allègrement nourrie par de subis sursauts de procédure ?

Malgré ces questions sans réponse, ou aux réponses trop lourdes, l’auteur prétend apporter la démonstration que les juges n’auraient aucune volonté de vengeance — oublié le " mur des cons " — et qu’ils ne seraient animés que par la nécessité d’appliquer la loi pour tout le monde, fût-il politique.

Et ce serait normal qu’un procès-verbal d’interrogatoire soit, dans ces affaires comme dans d’autres, systématiquement et immédiatement transmis au journal et au site d’investigation qui sont maintenant perçus comme les bras armés de la justice ?

L’auteur, dont on appréciera l’impartialité dans l’extrait ci-dessous, se trahit quand il vient reprocher à la Commission d’enquête parlementaire sur Outreau de refaire l’enquête. Le seul privilège en reviendrait donc aux juges, et sans doute aussi à Mediapart, sans préciser que, de leur côté, les juges passent leur temps à refaire les lois en en faisant une application biaisée qui leur ôte leur sens, et parfois même le contredisent totalement.

Non, Monsieur Rancé ne nous convainc pas : le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique sont bien en guerre. Il s’agit pour les uns de peser sur la démocratie et pour les autres de s’exonérer de leurs pratiques contestables, certaines graves, en interférant dans les procédures.

Quant aux solutions proposées, pour mettre fin à cette guerre, encore faudrait-il qu’elles agissent sur les deux camps : l’indépendance des parquets d’accord mais avec son corollaire : la responsabilité de ses membres et la fin de la proximité scandaleuse avec les juges du siège. Ainsi que, pourquoi pas, une trêve judiciaire pour les campagnes électorales ou, à tout le moins, une procédure spécifique sous contrôle pendant ces périodes.

Encore un mot...

Revenant sur les affaires qui ont défrayé la chronique, une vision très partiale de l’opposition entre pouvoir politique et pouvoir judiciaire.

Une phrase

" Désormais, la justice est priée de s’occuper des pauvres, des « gens d’en bas », ceux qui n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers le juge et à qui l’État doit garantir l’accès à la justice. Des pauvres qui ne peuvent pas faire autrement que de subir les aléas de l’institution judiciaire. Ceux-là ne peuvent pas choisir leur juge comme Carlos Ghosn ou Bernard Tapie. Ils se heurtent à une justice délocalisée, dématérialisée et, quand elle existe, à des tribunaux surchargés qui rendent des décisions à la chaîne."

L'auteur

Ancien journaliste de télévision, Monsieur Pierre Rancé s’intéresse aux questions judiciaires et a animé sur Europe 1 l’émission " Paroles d’accusés ". Il a déjà publié  L’Europe judiciaire ( Dalloz, 2001 ), écrit en collaboration avec le magistrat Olivier de Baynats. Il a été porte-parole du ministère de la justice de 2012 à 2015, sous Christiane Taubira, puis en charge des relations de presse du Conseil National des Barreaux.

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