Les Étincelles de l’enclume

« Je portais en moi la beauté que rien ne saurait humilier » (G. d’Annunzio)
De
Gabriele d’Annunzio
Cahiers de l’Hôtel de Galliffet, paru le 28 avril 2021 -
200 pages (notes comprises) - 16 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

Gabriele d’Annunzio avait une confiance en lui-même aussi vaste que son enthousiasme pour ses écrits : « de quoi est faite cette prose pour moi et moi seul, avec ce style secret …dans je ne sais quel éclair lumineux jailli de deux rimes que, bien des siècles après le Siennois, je retrouve, j’apprends et je pratique à la perfection…De quoi est faite cette construction de paroles ? D’art spontané, d’une nonchalance quasi divine ? Bien. Telle est ma plume. »

Quelques années plus tard, toujours en adoration devant ses œuvres, il s’interroge : « Mais qui écrira un livre qui ressemble à une journée et à une nuit du solstice ? Qui écrira un livre qui ressemble à l’équinoxe de septembre ? C’est à moi de l’écrire …Je suis un artiste double : j’ai un art exotérique, celui d’hier ; et un art ésotérique, celui d’aujourd’hui, celui de demain. »

Les quelques épreuves qu’il traversera, le manque d’argent durant ses cinq ans passés en France (1910-1915), son retrait tardif de la vie publique après des années enchanteresses sur tous les plans, le feront toucher du doigt une image plus saine et plus intéressante de lui-même. Les Étincelles de l’enclume vous en livrent le fruit mûr à souhait pour être enfin dégusté en France : les trois âges de l’homme que, célèbres ou pas, nous traversons tous. 

Points forts

Une présentation double : le texte est en italien sur la page de gauche du livre, en français de l’autre. Des 650 pages des trois tomes de l’auteur, ont été retenues dans cette traduction les étapes majeures de la vie de Gabriele d’Annunzio (1863-1938), soit une centaine de pages scindant sa vie en trois : sa jeunesse, dont sept ans passés chez les jésuites, sa passion pour l’actrice Eleonora Duse et enfin la dernière partie de son existence. Le tout en fait un roman autobiographique dont la qualité d’écriture et la justesse de ton comme de pensée font renaître un texte d’une extraordinaire présence.

Quelques réserves

Pas le moindre à l’horizon.

Encore un mot...

La découpe posthume des deux volumes initiaux de cette autobiographie de Gabriele d’Annunzio n’était pas une entreprise facile ni gagnée d’avance. Avant leur parution, l’écrivain avait adressé au Corriere della Sera durant son séjour en France de 1910 à 1915 une multitude de textes à publier qu’il rassemblera dix ans plus tard pour en faire, en 1928, Le faville del maglio (Les Étincelles du maillet devenues Les  Étincelles de l’enclume). Loin d’affaiblir le récit initial, cette scission volontaire donne à la destinée de l’écrivain une force gommant l’image du poète pour ne garder de lui que celle d’un créateur face à son destin :

« Ce moment où ma vie commença à se confondre avec mon art, et mon art avec ma vie. Dans tous mes sens déjà la réalité s’imprimait avec une puissante empreinte ; car mon esprit tirait d’ardents symboles de tout ce que mon regard pouvait voir, de tout ce que ma main pouvait toucher. » 

Une phrase

- Première expérience amoureuse de d’Annunzio dans un musée : 

« Elle était méconnaissable. Elle m’apparaissait toute nue et brûlante…Quand je vis ses yeux se tourner vers l’une et l’autre comme pour s’assurer que le gardien n’allait pas surgir, je la saisis sans retenue avec une violence que le monstre dévorant semblait m’avoir communiqué…Et je sus que l’on pouvait mordre une bouche de femme telle une gourmandise, quand la faim vous prend comme une gourmandise…je compris aussi, dans une sorte d’ivresse terrifiante, de perdition obscène, je compris qu’il y avait une autre bouche secrète et déjà pubère à violenter. »

- Le second extrait est lié à sa première rencontre en 1895 avec Eleonora Duse, la Sarah Bernhardt italienne célébrissime qui incarne les héroïnes de Shakespeare, Goldoni et Ibsen avant celles de Gabriele d’Annunzio. Il a 32 ans quand il la rencontre. Naissance d’une passion : 

« J’étais possédé par le mal des femmes … j’en ai presque peur comme d’une force extérieure ; mais si je regarde mieux en moi-même, je reconnais que cette force m’appartient, plus encore que la plus neuve de mes pensées… plus que mon espoir, cette force logée au sein de ma fertilité, d’un lieu d’où demain va surgir ma puissance, d’un lieu qui prépare toute la richesse de mon destin…Mon intuition m’assure qu’aujourd’hui et demain jusqu’au trépas, l’œuvre de chair sera pour moi une œuvre de l’esprit …la sensualité me rapproche des choses que je regarde, me rend semblable aux choses que je touche, me rend voyant »

- Dernier extrait tiré du dernier volume de l’œuvre initiale, Il compagno dagli occhi senza cigli : 

« Bien sûr, il y a des jours où l’on meurt plus que d’autres. Depuis que je lutte et que je souffre, je ne me suis jamais senti mourir comme aujourd’hui. Tout, pensée, rêves souvenirs regrets projet désirs passions gloires misères, tout y passe et c’est le néant…Je ne pense qu’à mon corps et pensant à mon corps, c’est à la mort que je pense…Mais, ce matin, tout courage m’a abandonné. Rien de plus triste pour un guerrier…et si la prière avait une utilité, si j’étais sur le point de prier mon Dieu, je lui demanderais une unique chose : épargne moi cela. »

L'auteur

Gabriele d’Annunzio (1863-1938) est fait prince de Montenevoso en 1924, nommé président de l’Académie royale d'Italie en 1937, député, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, il aura la vie dont il avait rêvé. Devenu l’un des auteurs les plus célèbres du monde, deux de ses sept romans auront un énorme succès : L’enfant de volupté (1889) et L’innocent (1891). Il sera aussi l’auteur de huit pièces de théâtre dont la plus célèbre est Francesca de Rimini (1901) jouée par Eleonora Duse. Deux de ses pièces seront écrites en français Le martyre de Saint Sébastien (1911), La Pisanelle (1913). Huit œuvres politiques suivront, 12 recueils de poésies dont le Cante nuovo (1882) Elettra (1903), le Canti della guerra latina (1918). Sur les douze adaptations cinématographiques de ses œuvres, trois seront tirées de Francesca de Rimini, une de L’innocent sera réalisée en 1976 par Luchino Visconti, suivie par Voyage au jardin des morts de Philippe Garrel (1978). Le dernier film fait sur lui sortira sur les écrans en 1987 : le D’Annunzio de Sergio Nasca. Un écrivain qui retrouve avec Les Étincelles de l'enclume la place qui fut la sienne.  

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