Mémoires d’un juge trop indépendant. Boulin, Urba, Elf, Clearstream, Kerviel...40 ans d’affaires

Un livre et une expérience très intéressants
De
Renaud Van Ruymbeke
Tallandier, 7 janvier 2021 -
304 pages -
20,90 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Monsieur Van Ruymbeke rend compte dans Mémoires d’un juge trop indépendant, livre écrit en collaboration avec Jean-Marie Pontaut, de son parcours professionnel, de ses réflexions sur la justice et des difficultés qu’il a rencontrées tout au long de sa carrière. Un juge d’instruction très indépendant, à la fois du pouvoir politique, de sa hiérarchie et des médias, raconte les affaires qu’il a traitées, la plupart du temps ayant défrayé la chronique ; c’est souvent passionnant et toujours très intéressant.

Points forts

Monsieur Van Ruymbeke apparaît, dans le paysage judiciaire d’aujourd’hui, comme une merveilleuse exception, lui qui n’a jamais cherché à jouer les shérifs et surtout n’a jamais servi des intérêts politiques avec les moyens souvent exorbitants qui lui étaient donnés.

Il les utilise avec conscience de leur caractère destructeur des droits individuels et de leur brutalité, notamment les écoutes téléphoniques et les perquisitions.

C’est ainsi qu’il condamne avec courage les écoutes téléphoniques des avocats quand ils ne sont pas soupçonnés d’avoir commis eux-mêmes une infraction grave, et particulièrement celles faites dans l’affaire Sarkozy dite " affaire des fadettes ".

Tout en nous informant de son engagement politique personnel au parti socialiste, l’auteur semble avoir abordé les affaires avec enjeu politique qui lui ont été confiées, et qu’il n’a pas recherchées, dans une neutralité exemplaire que ce soit au profit de la droite — affaires Boulin, les frégates de Taiwan, Clearstream, Sarkozy— ou de la gauche — affaires Urba, Emmanuelli, Elf.

Mais il a aussi consacré beaucoup de son temps et de son énergie à des affaires qui ne mettaient pas en jeu le pouvoir politique comme l’affaire Caroline Dickinson où il montre une grande humanité pour les parents de la victime (on est bien loin du " mur des cons " ! ). Ou encore l’affaire Kerviel où il s’attache à démontrer — c’est l’illustration qu’une instruction doit et peut être à charge et à décharge — que ce " trader " fou ne s’était pas enrichi personnellement d’un seul centime...

Monsieur Van Ruymbeke défend enfin le dialogue à l’instruction avec tous les intervenants, ce qui devrait être une évidence pour beaucoup d’autres qui pratiquent le secret et la dissimulation derrière une porte fermée...

Ses propositions de réforme sont justes dans la mesure où, s’il préconise l’indépendance du Parquet, il l’associe à une réforme de la nomination de ses membres pour qu’ils soient réellement indépendants de la hiérarchie mais aussi des juges du siège avec lesquels les liens sont aujourd’hui beaucoup trop étroits.

Quelques réserves

Il est regrettable que, tout en affirmant son indépendance face aux médias, l’auteur ne cite, pour justifier de faits présentés comme avérés, que les organes de Presse les plus engagés à gauche, comme le Monde et Mediapart, qui sont, tout au long du livre, ses seules références.

Tout en dénonçant justement les pressions exercées sur le juge d’instruction par les pouvoirs politiques, la hiérarchie (agissant pour les premiers), Monsieur Van Ruymbeke ne dénonce pas celles des journalistes beaucoup trop proches des juges, ni les scandaleuses violations renouvelées du secret de l’instruction ni, non plus, l’influence de leur milieu social, de leurs opinions personnelles et de leur sentiment de toute puissance.

Il ne s’interroge pas non plus sur l’opportunité des poursuites lorsqu’elles sont sans intérêt ou superfétatoires.

Et ce, alors que le manque de moyens de la justice, toujours avancé, n’empêche pas le juge de voyager dans le monde entier et d’être à l’origine de procédures à rallonges, avec des procédures d’appel, longues et coûteuses, quasi systématiques.

On le voit, par exemple, dans l’affaire du casino de Trouville regretter de ne pouvoir instruire sur le caractère de faux de l’acte de vente alors que la dissimulation partielle du prix a déjà été lourdement sanctionnée par une amende fiscale et douanière.

De la même manière, l’auteur qui dénonce justement les pressions du pouvoir politique sur la justice ne s’interroge pas sur les pressions, les exagérations et les abus que celle-ci se permet contre certains acteurs politiques, allant jusqu’à mettre en péril l’équilibre des pouvoirs dont il défend pourtant le principe, dans le premier cas.

Et dans les affaires de commissions occultes dans les contrats internationaux, pourquoi le juge d’instruction français ne s’interrogerait- il pas sur l’opportunité de poursuites contre des entreprises françaises alors qu’elles vont à l’encontre des intérêts du pays, ce que tous les autres défendent avant tout ?

Encore un mot...

Juge trop indépendant pour le pouvoir politique et pour sa hiérarchie qui en subit les pressions, Renaud van Ruymbeke n’est qu’un honnête homme qui instruit pour servir la justice mais pas son image personnelle ni son engagement politique.

Une phrase

" Guidé par une volonté d’indépendance, j’ai pu mesurer l’ampleur de la soumission de la justice, qui s’est exprimée dans l’action – ou l’inaction – des procureurs. J’ai dû franchir des obstacles et subir des blocages. Mais j’ai aussi constaté, ces dernières années, peu à peu, une certaine émancipation des parquets et un infléchissement du lien de dépendance avec le pouvoir politique. J’ai aussi découvert l’univers des paradis fiscaux et les limites parfois insurmontables auxquelles se sont heurtées mes investigations. La dimension internationale de ces enquêtes m’a convaincu de la nécessité d’adopter des règles pour éradiquer ces flux d’argent opaques. "

L'auteur

Né en 1952, Renaud van Ruymbeke a été nommé comme juge d’instruction dans l’affaire Boulin, mettant en cause un cacique respecté du gaullisme, à 27 ans. Il a ensuite poursuivi une carrière de juge principalement à l’instruction, mais aussi au Parquet et au Siège. Il est l’auteur en 1988 d’un Que sais-je ? Le juge d’instruction.

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