CAVALIER NOIR

L’amour d’une femme et de la langue française. Une prose, parfois, à la limite de l’abscons
De
Philippe Bordas
Gallimard, février 2021 -
333 pages -
21 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Tout en haut du chemin des Philosophes dominant le Neckar et la ville basse d’Heidelberg s’accrochent les pilotis d’une cabane de bois, « ponton céleste sur le Palatinat », où se sont réfugiés Mémos et sa jeune amante Mylena. Lui, n’a emporté que son vélo, un micro- dictionnaire et de multiples notes sur sa recherche d’une langue parfaite ; elle, a oublié le temps passé à soigner les aveugles et les lépreux en Inde et en Afrique. Leur amour dépasse les réminiscences qui hantent les nuits du narrateur alors qu’il était encore soumis à la laideur des choses.

Points forts

-La poursuite d’une « langue d’éminence » au contraire de la basse langue, du « mauvais parler » pratiqué aujourd’hui, écriture appauvrie de scenario (romans imités de l’anglais et des dialogues de télévision), nouveau moyen français inférieur au jargon des gueux ; à travers les versions successives de ce Cavalier Noir extraordinairement travaillé, l’auteur s’efforce d’approcher les Rabelais, Montaigne ou Saint-Simon désormais oubliés.

-Les désillusions du jeune évadé des cités espérant troquer son verlan et son vocabulaire primaire contre une littérature de qualité enseignée -croit-il- dans les prépas comme khâgne et hypokhâgne, ici dénommées « Fondation Parménide ». Il n’y découvre que vacuité et nihilisme (des propos d’outre-tombe et de crépuscule) sous l’égide de professeurs adeptes, entre autres, d’un certain « Hyposthène » surnom transparent de Maurice Blanchot compagnon de route des Derrida, Barthes et autres Cioran.
A noter le jugement de deux profs de philo dans un ouvrage intitulé Blanchot l’obscur  : « Par ses outrances et ses contradictions, Blanchot aura révélé tout ce qu'il y avait d'illusoire dans l'avant-gardisme français. C'était une révolution en chambre qui préparait un conformisme de la transgression qui nous étouffe aujourd'hui. ».

-La personnalité d’Ylias, pauvre « relégué du Maghreb domestiqué », qui, malgré le portrait de Nietzsche punaisé dans sa cellule « comme vaccin de survie », est resté sous l’emprise malsaine de son professeur, Ménadier, pythonisse perverse abusant de sa position de savante du Vrai, à seule fin de ne pas sacrifier le prestige de devenir un mandarin.
Mémos renoncera d’ailleurs à revoir ce camarade de prépa dont il était proche, installé lui aussi dans une cabane près de Tübingen, prenant pour un signe du destin le fait que, par deux fois, ses folles courses à vélo se sont mal terminées.

-Le joli portrait de Mylena, jeune fée haute et blonde, charmant bouclier pour les obsessions morbides de son amant, attentive à son bien-être comme elle le fut à celui des malheureux qu’elle soignait à l’autre bout du monde, inutilement lorgnée par les « dandies du Petit Thouars » (éditeurs de revues porno chics ?) et jalousée par « de vieilles grues à lunettes siglées atteintes par le gonflage des lippes et la remonte des seins ».

Quelques réserves

Le manque de consistance des personnages auxquels il est difficile de s’attacher dans la mesure où ils paraissent trop étrangers. L’histoire d’amour, belle en soi (trop belle ?), est desservie par la lecture difficile d’une prose à la limite de l’abscons.

Encore un mot...

On ne peut que saluer cette volonté d’approcher au plus près la « langue de haut lignage » telle que la rêve l’auteur mais il faut reconnaître que le bonheur de lecture n’est pas toujours au rendez-vous.

Une phrase

“A mi-vie, presque sorti de la dèche, j’avais décidé de relancer les chantiers primitifs, ceux que je n’avais pu mener à bien à vingt et trente ans : construire le vélo le plus léger du monde et donner enfin le récit du mendieur de mots, migré des cités vers Paris et les mirages du Verbe français.” (p.107)

L'auteur

Philippe Bordas, né en 1961, est journaliste sportif amateur de cyclisme, photographe et écrivain. Il est notamment connu pour L’Afrique à poings nus, récompensé par le prix Nadar (2004), pour Solaar, Quinze ans de ma vie dans les banlieues du monde (2006), et pour Chant furieux, son premier roman, consacré à Zinedine Zidane (2014).

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