Face au Styx

Bortnikov, c'est Céline revu et corrigé par Frédéric Dard
De
Dimitri Bortnikov
Editions Rivages - 750 pages
Notre recommandation
4/5

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Lu
par Culture-Tops

Thème

Dans un texte-fleuve aussi enveloppant que furieux et qui originellement courait sur 3 000 pages, il y a Dimitrius, surnommé Dimitri, jeune homme « mi-russe, mi-maboule », tronche « à faire pleurer Virgile d’un œil et rire de l’autre ». Il est « écrivaillon », vit à Paris, s’y promène, y déambule. Un texte sur Soutine l’a fait remarquer par quelques personnes mais ne lui a valu rien d’autre qu’un job d’assistant de vie auprès de personnes âgées. 

Dans la capitale française, il y rencontre des personnes « hallucinées » après avoir fait le tri- il a écarté les Scandinaves, « bio à mort », et les Anglais, « les meilleurs sont en Russie », pour ne garder au final que la « vieille France ». Tout cela déclenche chez lui une remontée de souvenirs de son enfance russe, ce qui l’aide également à supporter (un peu mieux) les affres de l’exil. Ce sont des allers-retours entre les deux rives du Styx, entre une ville natale près des steppes de l’Asie centrale et ce Paris où il a choisi de vivre. Ce sont aujourd’hui à Paris quelques vieilles marquises parmi lesquelles une dont « les grands ancêtres grattaient le dos à Pierre le Grand et qui prétend avoir eu une histoire avec Winston Churchill », un écrivain réputé, un clochard chanteur des rues à la voix de basse, un apparatchik millionnaire; hier, dans la ville natale, pépé Jo le grand-père qui a fait trois guerres, Babanya la trisaïeule aveugle qui l’a élevé, son ami « le gibbeux » qui s’est suicidé par amour…

Points forts

-Entre rire et pitié, jouissance et anéantissement, vie et mort dans des pages hallucinées, une plongée urbaine dans une forêt profonde semblable à celle qui mena Dante aux Enfers.

-Un voyage dans le monde interlope où le verbe torrentiel fait loi.

-Une langue bousculée, débridée, où les points d’exclamation jaillissent par milliers et les majuscules se font rares parce que « la langue russe, c'est un fouet, explique Dimitri Bortnikov. La langue française, un fleuret ». Un fleuret certes mais sûrement pas moucheté !

-Avec Dimitri Bortnikov, c’est drôle, c’est tragique; avec cette écriture folle et galopante tel un ouragan « à déraciner, comme disent les Russes, les dents du dragon »; du Louis-Ferdinand Céline revu et corrigé par Frédéric Dard !

Quelques réserves

Dans un texte au flux d’un torrent en furie, le risque pour le lecteur « classique » d’être ballotté, bousculé, emporté sans pouvoir se retenir aux branches...

Encore un mot...

Entre rage et lyrisme, ce deuxième roman de Dimitri Bortnikov écrit directement en français, est une fresque hallucinée, et plus qu’un roman-fleuve, c’est un texte-torrent. Bortnikov, c’est Pantagruel aux enfers !

Une phrase

« Mais vraiment, c’est plus facile de trouver un pantalon dans lequel on n’a jamais pété que de découvrir le vrai visage d’une femme. rien à faire : ni à l’œil nu ni en braille ! faut la surprendre quand elle s’ennuie ! c’est le matin d’un visage, matin ultime ! ni colère ni haine ni passion, ni utérus rival, rien de tout ça ! juste l’ennui, ah oui, et par petites vagues ! l’ennui froid ! dimanche et puis campagne et puis pluie ! voilà la soupe magique ! ça mettra à genoux la fée la plus rieuse ! l’ennui c’est le meilleur démaquillant ! à décaper trente déesses ! grande marée du visage ! houououou, ça donne froid aux yeux ! »

L'auteur

Né en 1968 à Samara (au bord de la Volga, à 860 kms au sud-est de Moscou et à proximité de la frontière avec le Kazakhstan), installé à Paris depuis 1999, Dimitri Bortnikov est tenu pour l’un des meilleurs auteurs russes contemporains. 

Jeune homme, il s’imaginait médecin, il sera cuisinier, professeur de danse, soldat… 

Devenu écrivain, il publie une dizaine de romans dans sa langue (dont « Le Syndrome de Fritz »).

Parisien, il décide d’écrire directement en français, ça donne « Repas de mort » (2011) et « Face au Styx » (2017). Dimitri Bortnikov a acquis la nationalité française en 2012, lui qui dit : « Mon ego, j’essaie de le tenir en laisse pour qu’il ne dépasse pas mes babouches » ou encore « Je n’écris pas pour devenir écrivain »…

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