24h de la vie d’une femme

Pas facile d'adapter Stefan Sweig en BD
De
Otéro
Editions Glénat - 120 pages
Notre recommandation
2/5

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Thème

« 24h de la vie d’une femme » est la version BD de la nouvelle du même nom, de Stefan Zweig.

A l’origine, l’histoire est celle d’une femme âgée, confrontée à un souvenir de jeunesse obsédant, dont elle va se libérer par la grâce d’une confession au narrateur : il va être question d’une passion éphémère avec un jeune joueur de casino gravement addictif.

Si l’histoire originale se déroulait à Monte-Carlo au début du XXème siècle, Otéro la transpose dans l’univers moderne de Las Vegas. Cela n’empêche pas l’auteur d’être fidèle au récit de l’écrivain autrichien, se permettant tout de même quelques originalités sur lesquelles je reviendrai.

Points forts

Avec également une belle gestion des cadrages et des décors, l’originalité du traitement de l’histoire est un des rares points forts que je garderai de cette lecture. Moderniser ainsi le contexte est une bonne idée, qui peut donner l’envie à de jeunes lecteurs de découvrir l’œuvre de Zweig. 

La couverture de l’album est aussi une belle réussite, elle donne envie d’aller plus loin, avec sa composition graphique qui transmet beaucoup d’émotion, comme une belle promesse de lecture.

Quelques réserves

Mais hélas, cette belle promesse ne m’a pas semblée tenue. Peut-être avez-vous déjà éprouvé cette sensation : une couverture d’album attire votre regard au rayon BD de votre libraire, et vous êtes tout de suite déçu lorsque vous l’ouvrez et découvrez un contenu au style très différent.

Il faut dire que le graphisme d’Otéro est très particulier. Si vous connaissez sa série la plus connue, Amerikkka, sur la lutte contre le Ku Klux Klan dans l’Amérique contemporaine (10 volumes en collaboration avec Roger Martin, chez Emmanuel Proust Editions), vous comprendrez ce que j’essaye de dire : c’est un peu le style d’un comics américain pour enfants, utilisé pour des récits adultes. S’il convient à Amerikkka, il n’en n’est pas de même pour ces "24 heures de la vie d’une femme". Le dessin manque totalement de subtilité, ce qui pose forcément un problème quand on veut adapter du Stephan Zweig.

A la décharge d’Otéro, l’exercice n’est pas aisé pour cette nouvelle qui se prête peu à la Bande Dessinée. L’intrigue originale met en valeur l’intensité émotionnelle de ce couple dissonant, la bourgeoise amoureuse et le jeune joueur addictif, et donc, l’image doit traduire cette intensité.

Otero ne pouvait clairement pas relever ce challenge. Alors, il compense maladroitement en rajoutant des effets de style à l’histoire originale. Le mariage à la mode « Vegas », qui casse le fil narratif de Zweig ; les « love » et « hate » tatoués sur les mains du jeune joueur, hommage saugrenu à Robert Mitchum dans "La nuit du chasseur" ; mise en abyme finale un peu dérisoire.

Encore un mot...

Zweig a déjà intéressé les auteurs de BD. En témoignent « Le joueur d’échec » de Sala, paru l’an dernier chez Casterman, ou le plus ancien « Les derniers jours de Stefan Zweig » de Sorel et Seksik, encore chez Casterman. Dans les deux cas, plutôt des réussites, contrairement à ce qui se passe ici.

Au cinéma, on appellerait cela une erreur de casting : Otéro a du talent, Zweig est un écrivain merveilleux, il ne fallait juste pas associer les deux. Et pas à cause de la modernisation du récit, mais vraiment parce qu’Otéro n’a pas, de mon point de vue, le graphisme émotionnel qui aurait pu convenir.

Une phrase

(Pour le plaisir de relire du Zweig):

« Eloignée pendant vingt ans, comme je l’avais été, de toutes les puissances démoniaques de l’existence, je n’aurais jamais compris la manière grandiose et fantastique dont la nature concentre dans quelques souffles rapides tout ce qu’il y a en elle de chaleur et de glace, de vie et de mort, de ravissement et de désespérance. Cette nuit fut tellement remplie de luttes et de paroles, de passion, de colère et de haine, de larmes de supplication, d’ivresse, qu’elle me parut durer mille ans et que nous, ces deux êtres humains qui chancelaient enlacés vers le fond de l’abîme, l’un enragé de mourir, l’autre en toute innocence, nous sortîmes complètement transformés de ce tumulte mortel, différents, entièrement changés, avec un autre esprit, une autre sensibilité »

L'auteur

Nicolas Otéro, dessinateur et coloriste, habite Lyon. Toute juste diplômé de l'école Émile Cohl de Lyon en 2001, il réalise, sur un scénario de Roger Martin, sa première série ambitieuse sur le Ku Klux Klan : "Amerikkka". La fulgurance de son trait semi-réaliste convient parfaitement à l’univers violent de la série auquel il apporte humour et distanciation. 

Pour 2007, il se lance dans un projet personnel : "Bonecreek", un western post-apocalyptique, tout en continuant la série Amerikkka qui connaît un succès et un écho grandissants.

Il a également réalisé seul quelques albums, comme "le roman de Boddah", chez Glénat, autour de la mort de Kurt Cobain, ou "les confessions d’un enragé", chez Glénat toujours.

En 2018, il commence une nouvelle série, chez Jungle cette fois, en collaboration avec Franck Dumanche, "le réseau papillon", une histoire d’enfants pendant la seconde guerre mondiale, plutôt à destination d’un jeune public.

(d’après BD Gest)

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