Frontières

Frontières: ça se complique encore plus
De
Olivier Zajec
Notre recommandation
4/5

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Thème

Cet ouvrage, richement documenté, pose la problématique des frontières, sous trois angles : politiques, identitaires et prospectifs

- Première partie, l’approche politique. Elle évoque, notamment, les limes de Rome, barrières aux confins de l’Empire, souvent naturelles, parfois fortifiées, comme la Grande Muraille de Chine, édifiées depuis le VIIème siècle av. J.C. jusqu’au 16ème de notre ère. Ces frontières avaient la double vocation de protéger contre les agressions extérieures et d’affirmer une culture identitaire. Il en sera de même des marches de l’empire des Habsbourg, rempart contre « La Sublime Porte », comme de l’installation, par Vauban, de la nation française dans son « Pré carré ». Les frontières politiques sans fondements cultuels font le plus souvent long feu, à l’exemple de la ligne de démarcation dans la France occupée ou du « Rideau de Fer » qui, un temps, installa l’Est de l’Europe dans un glacis.

- La deuxième partie analyse l’interaction entre le phénomène frontalier et le concept identitaire. Dans la continuité de la mythologie grecque et latine, qui sacralise la frontière, les papes ont souvent été appelé à arbitrer des conflits frontaliers entre royaumes souverains, y compris au-delà de leurs territoires, à l’exemple de la délimitation des possessions coloniales Espagnoles et Portugaises. Jusqu’à la monté en puissance des Etats nations, la multiplicité des frontières européennes n’a pas entravé la circulation des hommes. L’attachement des français à leurs cultures locales et régionales transparait dans le découpage administratif gigogne. 

Toutefois, identité culturelle et territoire ne vont pas toujours de pair. La Pologne, culturellement très homogène, a vu ses frontières régulièrement bafouées. En Belgique, deux cultures coexistent, parfois difficilement. Belfast est divisé par des frontières urbaines, à l’initiative de sa population, culturellement partagée. 

Dans son découpage, l’auteur, préalablement à la problématique des frontières géographiques et culturelles de l’Europe, et au nécessaire redécoupage du Moyen-Orient, présente deux visions stratégiques du monde. Celle de Richard Coudenhov- Kalergi proposant, au sortir de la première guerre mondiale, un découpage en cinq confédérations : l’Asie centrale, la Confédération Russe, la confédération Britannique, la Pan Amérique et la Pan Europe, une Europe des nations de l’espace continental. Celle de Samuel Huntington qui publie, au début des années 90, « Le choc des civilisations ». Il y affirme qu’en matière de relations internationales, le phénomène le plus structurant n’est plus l’idéologie mais l’identité, ce qui expliquerait, la monté des intégrismes religieux, notamment l’islamisme.

- La troisième partie, « Frontières des nouveaux espaces », traite des défis frontaliers qui résultent, tant de l’accroissement des flux migratoires menaçant l’Europe de Schengen, que de la dynamique de conquête de nouveaux espaces physiques, sous-marins ou extra-atmosphériques, mais aussi virtuels, le cyber espace. Les relations internationales, qui gèrent déjà un espace non matérialisé, l’espace-temps, vont devoir encadrer la communication en réseau mondialisé. Ces cyber-échanges, dématérialisés, nécessitent une colonne vertébrale physique - point d’accès, centres de données, serveurs, routeurs…-, ainsi que des vecteurs de transports, pour l’essentiel des câbles interconnectés; autant d’infrastructures physiques localisés dans un territoire relevant d’une autorité politique. Pour l’auteur, « la géopolitique des tubes », nouveau challenge frontalier, est partie du questionnement de la souveraineté nationale.

En Occident, la vie politique tend à se polariser sur une mondialisation générant de nouvelles frontières entre « centres », hyper-urbains de plus en plus connectés, et « périphéries », territoires atones éloignés des zones d’emplois.

Points forts

L’approche impressionniste, permet d’aborder la problématique frontalière, en quelques cinquante cas pratiques documentés, sans perdre le fil rouge de l’œuvre: les frontières permettent la paix commune, par la garantie des souverainetés. 

La cartographie et les illustrations enrichissent la démonstration et aident à la réflexion

Quelques réserves

Je n’en ai pas trouvé, dés lors que cet ouvrage est reçu comme un excellent travail documentaire proposant au lecteur des pistes de réflexion.

Encore un mot...

La publication de ce livre, qui rappelle l’historique du concept politique et culturel de frontières et donne à voir le paysage géopolitique avec ses lignes de fuite, vient à point nommé répondre aux tenants de la doctrine du « no border » mettant en cause les équilibres géopolitiques, au prétexte d’une mondialisation, qui ne bénéficie qu’à quelques-uns.

Une phrase

- Page 24.  « Le verrou du Bosphore définitivement et pleinement forcé, la frontière de l’Europe recule provisoirement de Constantinople à Vienne, pour plus de cinq siècles. »

- Page 30. « L’œuvre de Vauban n’est pas seulement celle d’un ingénieur… Elle trahit aussi la pensée d’un grand et profond politique, attentif à la géographie humaine et aux équilibres géopolitiques. »

- Page 171. « Le divorce des perceptions sociales et culturelles entre centres et périphéries d’un monde interdépendant et globalisé tend à stimuler une prolifération étatique et frontalière en devenir… »

L'auteur

Quadra, diplômé de l’Ecole Spéciale de Saint Cyr et de Sciences Po. Paris, universitaire, agrégé et docteur en histoire,  Olivier Zajec enseigne à l’Université Lyon III, l’Ecole de Guerre et l’IHEDM. Auteur de nombreux articles, Olivier Zajec, qui collabore régulièrement aux publications de défense et de relations internationales, est lauréat du Prix Albert Thibaudet 2017, pour « Nicholas Spykman, l’invention de la géopolitique américaine. »

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