Le Petit Paradis

"Le Petit Paradis": surtout pour le lecteur
De
Joyce Carol Oates
380 pages, Ed. Philippe Rey, 22 €
Recommandation

Joyce Carol Oates est non seulement l'un des grands écrivains américains vivants mais encore l'un des plus productifs et qui, au surplus, ne choisit pas des sujets faciles, mais qu'elle maîtrise le plus souvent avec brio, comme dans ce dernier roman. 

Notre recommandation
4/5

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Lu
par Culture-Tops

Thème

Adriane, 17 ans, vit dans le futur  proche (2034) d'une Amérique « reconstituée », au sein d'une démocratie totalitaire où règne la loi de l'égalitarisme et de la délation. Elève -trop- brillante, major de sa promotion, son discours de fin d'études,  jugé provocateur,  entraîne son arrestation et sa condamnation : elle effectuera ses quatre ans d'études universitaires en 1959 dans une faculté rurale, Wainscotia dite « zone 9 », où elle sera  exilée par télétransportation.

Persuadée d'être surveillée en permanence, Adriane, devenue Mary Ellen, évite toute intimité avec ses nouvelles condisciples et s'immerge dans son travail, ce qui ne l'empêche pas de nouer une amitié amoureuse avec un brillant professeur, assistant en psychologie, en qui elle a détecté un « exilé du futur » comme elle.

Points forts

  • Etonnante  Joyce Carol Oates capable, à 80 ans, de s'attaquer à une dystopie, proche du 1984 de Georges Orwell (on n'échappe jamais à 1984 dès qu'il s'agit de contre-utopie, ni, d'ailleurs, au Meilleur des Mondes ou à ).  Mais son 2034 (EAN23) n'est en fait qu'une projection à peine caricaturée de notre époque :
    - Contrôle permanent par les écrans : fichage par les GAFA (plutôt que surveillance par Big Brother) ; appels à la  délation : lanceurs d'alerte ; cigarettes interdites, port du casque obligatoire : principe de précaution ;  uniformisation de la pensée par l'endoctrinement : politiquement correct ; exécutions sommaires à la façon de nos jeux vidéo...
    - Utilisation systématique de sigles pour dissimuler la réalité de castes sociales, juridiques ou ethniques  ou d'acronymes pour désigner des administrations et commissions répressives.
    - Société faussement égalitaire qui prône la médiocrité pour maintenir à sa tête quelques milliardaires inconnus qui ressemblent à des émoticônes. Mais le cyberespace est bien fragile, qui dépend de  l'électricité fournie par les éoliennes...
  • Un humour grinçant : la notion de féminisme, absente en Zone 9, n'a guère évolué  puisque, en EAN23,  le QI des filles est considéré comme inférieur de 7.55 à celui des garçons. Elles courent donc  moins le risque de se montrer brillantes, cantonnées qu'elles sont à une honnête médiocrité du fait de leur sexe. Adriane est une exception, ce qui explique sa condamnation immédiate.
    - Les maladresses d'Adriane /Mary Ellen, habituée aux portables et aux ordinateurs omniprésents d'EAN23 (très semblables aux nôtres) et confrontée aux téléphones à cadran et aux lourdes machines à écrire non connectées de la Zone 9. En ce sens, le futur, est quand même bien supérieur au passé...
    - Son effroi aussi quand elle constate que tout le monde fume sur le campus, alors que dans son monde  « ça donne le cancer ».

  • L'amour d'Adriane  pour ses parents qui n'est pas sans rappeler celui de J. C. Oates pour les siens, si bien décrit dans « paysage Perdu ».
  • Les ambiguïtés de cet étrange roman : en 1959,  l'étudiante s'en tient aux formes radicales de la psychologie comportementale, le behaviorisme (qui commence juste à régresser devant  la psychologie cognitive défendue par Chomsky)  et se demande si elle n'est pas soumise à des stimuli qui la conditionnent comme un rat dans  la boîte de Skinner ... A moins que  la zone 9 ne soit  qu'une réalité virtuelle ainsi que le suggère Ira Wolfman, l'Individu Exilé (IE) dont elle tombe amoureuse.

Quelques réserves

  • Les protagonistes principaux : L'Adriane  sûre d'elle-même du début devient  une  Mary Ellen pleurnicharde et soumise qui n'a rien appris de ses expériences. Quant à Ira Wolfman,  personnage ambigu par excellence, son sort laisse le lecteur assez indifférent.
  • La fin n'en est pas une, à moins qu'il ne s'agisse d'une parabole pessimiste sur le  retour au foyer (et aux casseroles) qui serait inexorablement le lot des femmes.

 

Encore un mot...

En 1959, J C. Oates  avait 21 ans.  En 2034, elle en aura 96 et, comme elle clame haut et fort qu'elle n'a aucune intention d'arrêter d'écrire, elle sera peut-être encore là, l'esprit vif et la plume alerte, à concocter l'une de ces chroniques sociales dont elle a le secret. C'est pourquoi je ne puis m'empêcher de penser, qu'au-delà des extrapolations calamiteuses nécessaires à une dystopie, ce « petit paradis » qu'elle nous sert aujourd'hui relève plus de l'expression d'une sagesse désenchantée acquise au cours d'une longue vie que du roman de science-fiction.

Une phrase

p. 185, c'est Mary Ellen qui parle :

"C'était le secret terrifiant de la zone 9, dont les bienheureux habitants ne se doutaient pas : à une époque qui, pour moi, était le présent, durant la vingt troisième année des Etats d'Amérique du Nord Reconstitués, leur vie était presque terminée. Si tant est qu'ils soient encore en vie".

L'auteur

Née en 1938 dans  l'état de New York, J.C. Oates est l'auteur de près d'une centaine d'ouvrages qui couvrent toute la palette des possibles. Récipiendaire de nombreux prix, il lui manque le plus prestigieux : une œuvre énorme, un talent sans faille, une culture impressionnante... A quand le Nobel ?

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