Un gentleman à Moscou

Le régime soviétique comme vous ne l'avez sans doute jamais imaginé
De
Amor Towles
Ed. Fayard, 573 pages, 24 Euros.
Recommandation

Voici un roman étonnant qui montre que même frappés par les oukazes du régime soviétique, certains seraient quand même arrivés à profiter de la vie.

Notre recommandation
4/5

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Lu
par Culture-Tops

Thème

En Juin 1922 à Moscou, le Comte Alexandre Illich Rostov,  jugé comme -ci-devant- par le  Commissariat du Peuple, échappe au peloton d'exécution car, dans sa jeunesse,  il a écrit, selon le tribunal, un « poème pré-révolutionnaire ». Cette mansuétude inouïe s'accompagne d'une assignation à résidence à l'Hôtel Métropol,  face au Bolchoï. Il y restera 32 années, jusqu' en  1954.

Prisonnier, raisonnablement optimiste,  son Excellence fera de ce château d'If à la soviétique, un lieu d'aventures et de rencontres inestimables. Sa vie sera bouleversée par une fillette de 9 ans, laquelle ayant grandi, lui confiera sa propre fille avant de s'évaporer en Sibérie. Devenu chef de rang du meilleur restaurant de l'hôtel, où les huiles du pouvoir populaire font leurs agapes, il est l'incontournable ami des attachés d'ambassades, journalistes, chefs du Politburo, rencontre l'amour capricieusement romantique  d'une « beauté svelte », fraternise avec le chat borgne de l'hôtel, nommé Koutouzov. Tout cela, pour s'évanouir lui-même  au moment opportun, sous les pommiers de Nijni Novgorod.

Points forts

  • La virtuosité du récit et de l'écriture (traduction admirable), la construction du  propos : un vrai régal, une sorte de Lego culturel, où se mélangent tradition de l'ancienne Russie, manies excentriques du nouveau pouvoir, lubies staliniennes, foucades anglo-saxonnes, disparitions tragiques et apparitions inespérées (les abeilles), culture et gastronomie française, amour du vin (le Montrachet en particulier), savoir mathématique, propension à la satisfaction de soi, souvenirs déchirants et espoirs délicats...
  • Bref, un tour de l'humanité tout entière dans un monde apparemment clos, mais riche de l'humour et la finesse de l'élégant Alexandre Illich.
  • Le récit est divisé en 6 Livres : le N°1 fournit, sans avoir l'air d'y toucher, toutes les clefs du N°6 et de l'Après Propos jubilatoire. Les personnages souvent truculents, les anecdotes hilarantes (les oies), rendent la lecture joyeuse.

Quelques réserves

  • Malgré son élégance dorée, le poids et la taille imposante du livre (mais bientôt un format poche salvateur). Pas facile à lire au lit, fatigue le poignet !  Les Américains adorent les gros livres : ils ont l'impression d'en être plus intelligents...
  • Quelques redondances et divagations pas indispensables, une surabondance de références culturelles, esthétiques et littéraires...Mais elles meublent aussi les temps morts de ces 32 années. On n'est pas obligé d'aimer. On sort du livre un peu ivre (après une centaine de vodkas) mais plutôt content.

Encore un mot...

Une immersion dans les jardins de la sensibilité russe, ce mélange de désespérance du quotidien et d'ensoleillement de l'espoir, de l'attachement au passé et de la prise à bras le corps de l'avenir sensé être meilleur. Sous le couvert du délire romanesque, la critique affûtée des turpitudes et mensonges du pouvoir  reste omniprésente.

En lisant Towles, on est avec Tolstoï, Pouchkine, Richter, Soljenitsyne, Khrouchtchev, et aussi les héros drôlatiques de l'inénarrable La mort de Staline du cinéaste Armando Ianucci.  Avec lui, on tente d'échapper avec ironie et indulgence à ... "cet épouvantable bourbier des émotions humaines"...(p. 275)

La leçon de ce livre inclassable ?  Même dans le plus grand dénuement, on peut être parfaitement heureux, si l'on fait confiance à son intelligence et aux « belles choses » de la nature et de la vie. A vous de juger...

Une phrase

Ou plutôt deux:

  • « Lorsqu'il ouvrit les yeux, il faillit lâcher sa cuillère. Car debout près de sa table se trouvait la fillette ...laquelle l'observait avec cet intérêt sans fard qui est le propre des enfants et des chiens » (page 58)
  • « Après tout, si l'attention se mesure en minutes et la discipline en heures, alors la ténacité doit se mesurer en années » (page 142)

L'auteur

Amor Towles, pur produit de la Nouvelle Angleterre, reste en fait très attaché à ses racines russes. Ce Gentleman, son second opus, fait écho aux talentueuses Règles du jeu (2012) qui contait le New York sophistiqué et menteur des années 30 par la voix sans fard d'une belle émigrée russe. 

Commentaires

Monika
mar 31/03/2020 - 15:16

Quelle lecture serait plus appropriée au moment-même du confinement chez soi ? Un bijou d'écriture que ce livre !
On peut en laisser fondre chaque mot pour le savourer avec délectation, aussi bien que le héros, le truculent comte Alexandre qui, confiné à résidence, se délecte au Piazza de son "ragoût letton".
Amor Towles a su nous faire traverser la terrible époque du bouleversement de la Russie avec une infinie légèreté.
Captivés et attendris par le récit des "aventures" de celui qui, acceptant avec philosophie de se plier aux contraintes des bolchévistes, ne se départit jamais de son essence aristocratique, on en sort imprégnés d'un "je ne sais quoi" nous faisant juste regretter de n'avoir pu croiser la route des personnages que sur du papier ...
Vous avez compris : J'AI ADORÉ !!!

Gisèle
jeu 09/04/2020 - 14:45

Et quoi ? Il vivra incognito à Nijni Novgorod ? Possible en 1954 avec le contrôle permanent des autorités soviétiques toujours à l'affût des nostalgiques...

Monique
mar 17/08/2021 - 16:42

Ce livre est à recommander. À travers la vie d'un aristocrate russe bousculé par la révolution, il explore le thème du rôle du hasard dans la vie de chacun. Par exemple, au moment où le comte s'apprête à exécuter son suicide si bien planifié l'arrivée d'une de ses connaissances l'oblige à renoncer à son projet. Autre exemple: la soeur innocente du comte est déshonorée par un jeune homme qui ne l'a courtisée que pour se venger du comte. Et ainsi de suite. Autre thème exploré dans ce livre: celui du temps accordé à tous les temps, c'est-à-dire passé, présent et futur. La leçon à tirer de ce livre: chacun est appelé à faire preuve de courage, chacun à sa façon et selon les circonstances qui lui sont propres, afin de maîtriser le cours de sa vie. À la fin, le comte réussit à s'enfuir. L'auteur ne dit pas où il va, mais on peut supposer que c'est à Paris où Sofia à joué le rôle préparé par le comte. Enfin, pour ceux qui n'ont pas deviné qui est la "beauté svelte" aux "cheveux teintés de gris" qui attend le comte à la fin du livre, il s'agit d'Anna Urbana que l'auteur dépeint "coiffée d'une perruque teintée de gris" à l'avant-dernière page du chapitre intitulé "Une annonce". Bonne lecture à tous.

gautier
mer 10/01/2024 - 10:07

Je viens de commencer à le lire. D'emblée, j'ai eu l'impression de me retrouver dans Ada, de Vladimir Nabokov. Depuis le nom de certains personnages (Marina), jusqu'aux descriptions que certains qualifieront de dithyrambiques, mais tellement précises.

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