Géopolitique des relations russo-chinoises

Très instructif, cet essai est d'une lecture facile. Il explique les relations ambiguës de la Chine avec la Russie
De
Pierre Andrieu
PUF
Parution le 6 septembre 2023
192 pages
14 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Les politiques actuelles de ces deux grands États sont probablement plus concurrentes que complémentaires car de multiples contentieux les opposent depuis des siècles : l'Orient est toujours plus compliqué que ne le pensent les Occidentaux !

Solidement inscrit dans le temps long, cet ouvrage explique pourquoi et comment la Chine intervient aujourd'hui dans le conflit Ukrainien. 

Engourdis par leur confort matériel, les européens n'ont pas vu venir la guerre d'Ukraine qui les surprit comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. En marge de ce grave conflit européen, les relations russo-chinoises, tendues depuis des siècles, conditionnent en partie l'issue de cette guerre. 

Avant d'examiner les défis actuels, l'auteur synthétise l'histoire des deux grands empires qui menacent, différemment, l'Europe entière. Il examine ensuite la géopolitique russo-chinoise à la lueur de leur histoire commune. 

Depuis plus d'un millénaire et malgré de longues périodes de concordat ou de paix armée, des différends profonds et sanglants opposèrent la Chine à la Russie qui n'ont jamais été des alliés mais de simples « partenaires », plus ou moins forcés de s'entendre, sans jamais oublier leurs intérêts ! 

Les six premiers chapitres du livre résument les phases de cette relation, complexe et ancienne, qu'aucun des autocrates actuels, le russe Poutine et le han Xi, n'oublie jamais ; pas plus que, de leur temps, ni Staline ni Mao! 

Les chapitres I & II parcourent cette histoire qui conditionne toujours l'échange entre ces deux géants et leurs gouvernants respectifs. L'expansion russe vers l'Asie centrale et le Pacifique, au XIX° siècle, amputa la Chine du fleuve Amour, du Kazakhstan, du Kirghizstan, et du nord de la Mandchourie (avec Vladivostok) : une conquête russe de presque deux millions de km², quatre fois le territoire métropolitain de la France (pages 17 à 20)! 

Les chapitres VII et VIII tirent les conséquences de l'occupation partielle de l'Ukraine depuis 2014, soulignant que Kiev était déjà un partenaire choisi par Xi, bien avant l'invasion russe de février 2022 : dès 2020, la Chine était déjà le premier partenaire commercial de l'Ukraine ; et son premier débouché (p. 119) ! Ce fait, rarement souligné, éclaire le « plan de paix factice » (sic, p. 145) annoncé par la Chine en février 2023, un an après le début des hostilités. Reste à imaginer la suite (Chapitre VIII) : le « magma idéologique » (sic, p.159) qui caractériserait Poutine, ce tyran des temps modernes, rend toute prévision aléatoire. 

Le chapitre IX s'interroge donc prudemment sur l'avenir russe et sur ce que la Chine et ses dirigeants pourrait avoir en tête à ce propos : une question qui est évidemment insoluble à ce jour, confirme la brève conclusion de ce livre.

Points forts

L'un après l'autre, ces deux « empires » (le russe et le chinois) ont basculé dans le communisme au XX° siècle : la révolution de 1917 ouvrit une coopération idéologique et politique inédite entre eux ; les soviétiques ont alors profité de la relative faiblesse des chinois pour consolider les conquêtes de l'ancien Empire russe, tout en s'affirmant comme le «grand frère » du communisme chinois à qui l'URSS fournissait des équipements civils et militaires, en tant que de besoin. 

Mais personne ne fut vraiment dupe de cette « fraternité » affichée : aucun des deux PC, ni le chinois ni le soviétique, n'abandonna sa soif de puissance. Ce qui signifiait, en clair : pour les russes, maintenir les acquis territoriaux des tsars ; et pour les chinois, l'espoir d'une reconquête future, projet récurrent de tous les tyrans chinois modernes, du nationaliste Sun Yat Sen jusqu'à Xi ! 

Les chapitres V et VI résument la « real politik » qu'ont maintenu le couple Gorbatchev/Deng et leurs successeurs jusqu'à Poutine et Xi. 

En définitive, la « connivence idéologique » entre ces deux pôles communistes n’effaça nullement leur intérêt bien compris : chacun poursuit sa vision impériale, depuis le Moyen-âge !

Quelques réserves

Andrieu décrit fort bien la continuité historique des enjeux, des actes et des vues des deux acteurs impliqués ; il commente et laisse parfois entendre son point de vue. Mais, diplomate de métier encore impliqué dans une brûlante actualité, il prend plus de gants pour exposer le présent qu'il ne le fait pour le passé : discret un jour, discret toujours, cela ressort des pages qui touchent à l'actualité ! Mais, soyons honnêtes : Pierre Andrieu porta, pendant des lustres, la parole d'un État souverain. On peut donc comprendre que ses fonctions antérieures lui imposent une réserve : ne serait-ce qu'en raison du rôle qui lui a été confié pour appliquer les « accords de Minsk » sur le Haut Karabagh - un sujet, à nouveau brûlant, qui implique directement la Russie au moment-même où paraît ce livre!

Encore un mot...

 En vérité, cet essai est donc moins d'actualité qu'il ne le paraît : c'est bien leur histoire commune qui éclaire les relations sino-russes. Et cette histoire prouve que la Chine et la Russie sont des États orientaux, toujours marqués par la tyrannie. Cela les rapproche ; et les distingue profondément de l'occident européen, démocrate et universaliste depuis trois siècles !

Une phrase

  • « le joug tataro-mongol (développa) la Russie...une quarantaine de villes furent construites au XIV° siècle...la Horde d'or encouragea le développement économique des terres subjuguées » p.49
  • « Au cours de la dynastie des Romanov entre 1613 et 1917, la Russie s'est agrandie...de 140 km² par jour ! » p.53
  • « avec l'agression de l'Ukraine...le tournant vers l'Est (sic) signifie l'enchaînement total de la Russie à la seule Chine et (sa) rupture complète avec l'Occident » p.129
  • « les chinois observent de manière pragmatique, voire cynique, les difficultés de la Russie (et) l'armée ukrainienne (qui) tient en respect l'une des armées les plus puissantes du monde ! » p.155
  • (Soulignant que le révisionnisme chinois est toujours vivant :) « en février 2023, une directive (de Pékin) rend leur ancien nom (chinois) aux villes et régions de l'Empire Qing, avant leur annexion par les puissances coloniales (sic)... cette règle s'applique...à la Russie. » (et à. Vladivostok!) p.174

L'auteur

Russophone et sinologue, membre du corps diplomatique français pendant l'essentiel de sa carrière, Pierre Andrieu servit au Quai d'Orsay, à la Commission européenne et aux ambassades de France en Russie, en Asie centrale, en Chine et en Scandinavie. Il enseigne la géopolitique aux Sciences-Po et à l'institut des langues et cultures orientales (Inalco, anciennement Langues'O) à Paris.

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