Journal d'une pétainiste, Le revers de la médaille

Le Journal d’une habitante du Vercors (1944-1945) : un témoignage historique de première importance
De
De Monique Guyot
Présenté par Philippe Laborie -
Préface de Gilles Vergnon -
Presses Universitaires de Grenoble, collection “Résistances”, octobre 2020 - 427 pages, prix 27€ - Existe en e-book.
Notre recommandation
4/5

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Thème

 Monique Guyot, 38 ans, professeur de musique et directrice d’un home d’enfants à Villard-de-Lans, a tenu son journal du 21 janvier 1944 au 8 mai 1945. Ce document exceptionnel, découvert dans les archives de l’Isère, permet de connaître au jour le jour le regard porté par cette femme énergique sur l’occupation allemande, le maquis du Vercors, la Libération et l’épuration ; un regard bien éloigné des mythes et des légendes, qui, entre collaborationnisme, gaullisme et communisme, redonne sa place et son importance à ce que fut le « maréchalisme ».

Points forts

 « Les journaux, les mémoires, les correspondances sont les seuls écrits qui survivent. À côté d’eux, l’Histoire avec un grand H n’est que camelote romancée ou partisane », écrivait Paul Léautaud.

Le journal de Monique Guyot en apporte la confirmation. Certes, tout n’est pas à prendre comme le reflet de la réalité. Il arrive à Monique Guyot de véhiculer des rumeurs, de relayer les propos partisans du milicien Philippe Henriot dont l’éloquence fait mouche, mais il n’empêche : son journal, d’une sincérité absolue, constitue un témoignage historique de première importance. Il nous dit ce que pensait et vivait une « Française moyenne », en cette période dramatique, dans un village perdu sur le plateau du Vercors.

 Le journal de Monique Guyot nous entraîne au cœur d’un paradoxe qui exprime la complexité de l’époque : elle hait les Allemands, mais, dans le même temps, elle déteste les résistants. Et si elle hait les premiers et déteste les seconds, c’est par amour de la liberté. Elle ne supporte ni l’occupation des uns, ni l’occupation des autres.

Sa haine pour les Allemands est absolue. « Les Allemands sont là, il n’y a rien à faire, ils sont partout. Notre beau midi me semble défiguré par ces infâmes présences, une chenille sur une fleur me dégoûterait moins, car le pays est plus beau qu’une fleur et eux plus laids qu’une chenille. » (8 mars 1944) « Je voudrais tuer tous les Allemands. » (23 mai) « Je me heurte à un jeune militaire. À la dernière minute il cède enfin le pas. Nos bras seulement se heurtent, ce qui est bien dégoûtant pour mon manteau ! » (30 juillet).

Elle n’hésite pas à affirmer de même son hostilité envers les « résistants » qu’elle ne désigne jamais sous ce nom, mais sous celui de « dissidents », voire de « bandits ». Elle leur reproche d’être des diviseurs (raison pour laquelle elle n’aime pas de Gaulle qui a donné « l’exemple du désordre » en « injuriant » Pétain) et des amateurs.  Elle ironise sur ces militaires d’opérette qui « sont tellement maladroits, qu’ils se blessent eux-mêmes et pourraient bien blesser les autres. J’en ai le cœur navré. » (4 juillet) « J’ai trop aimé l’armée pour pouvoir contempler avec indifférence ou admiration cette lamentable parodie ». Et elle ajoute : « pourquoi taquiner une bête méchante quand on n’a pas la force avec soi ? » Pourquoi provoquer ces « misères, horreurs, larmes, cruautés, ruines, massacres », résultant, faute de moyens, d’attaques inutiles contre les Allemands ? Après la tragédie de Vassieux, ce village rasé par l’armée allemande où sont exécutés 73 habitants, elle écrit : « ces gens étaient les plus braves du monde. Je ne pardonnerai jamais à ceux qui sont la cause de leur misère et de leurs ruines. On dira : ‘’les boches, ce sont des brutes’’. Certes oui, ce sont des brutes, mais on le sait depuis longtemps. Pourquoi les énerver pour les rendre plus féroces encore ? Un roquet s’amuse-t-il à taquiner un dogue hargneux ! ? Mais le plus fort, c’est que le roquet se défile et trinque peu. Celui qui paye, c’est un innocent. C’est trop injuste. » (3 août). De même, après la mise à sac de La Chapelle en Vercors, écrit-elle : « la dissidence a bien travaillé. De ce lieu, paisible et charmant, elle a fait un cimetière et un monceau de ruines. »

« Le revers de la médaille », c’est-à-dire le tribut payé par les habitants du Vercors aux opérations de guérilla, est trop élevé. « On voudrait les voir au diable ces maquisards », conclut-elle, tout en ne dissimulant pas l’émotion qu’elle ressent pour « ces jeunes fous qui, sous prétexte de sauver la France, sont en train de se suicider » (9 juin 1944)

 Sa fidélité au maréchal Pétain demeure après la Libération, au point de prendre le risque de conserver plusieurs mois son portrait dans sa salle à manger, bien en vue depuis la rue. « On accable ce malheureux maréchal prisonnier en Allemagne qu’on prétend juger comme traître, mais qui n’a agi que pour tâcher de nous éviter le pire », maintient-elle contre vents et marées. Quant à l’épuration et son lot de règlements de compte, elle lui fait horreur.

 Dans son intéressant commentaire, Philippe Laborie constate que les sentiments de Monique Guyot étaient alors largement partagés, l’indifférence de nombreux habitants du Vercors à l’égard du maquis se muant en méfiance, puis en rancœur, après les massacres et destructions provoqués par la résistance armée. A preuve, l’échec électoral des listes résistantes lors du premier scrutin organisé en 1945, liberté retrouvée. « Le Vercors, écrit Monique, a peu de reconnaissance pour ceux qui l’ont couvert de gloire, de ruines et de sang. »

Quelques réserves

On se demande pourquoi Gilles Vergnon, le préfacier, a éprouvé le besoin de faire savoir aux lecteurs que « la publication de ces cahiers ne vaut évidemment aucune approbation complaisante envers les propos de l’auteur. » Il est permis de ne pas en douter ... aujourd’hui ! Qu’en eut-il été en revanche s’il avait vécu les évènements ? Par la grâce de sa naissance tardive, Gilles Vergnon n’en sait rien et nous non plus. Ce jugement moral anachronique porté sur Monique Guyot, totalement inutile, est extrêmement révélateur de la difficulté que nous avons aujourd’hui à évoquer cette période, et notamment la personnalité du maréchal Pétain, sans craindre d’être aussitôt accusé de vouloir réhabiliter le « régime de Vichy ». Il serait temps d’examiner cette époque tragique avec distance et sérénité.

On regrettera également une présentation trop monolithique du dit régime, tant les courants le traversant sont en réalité divers, voire antagonistes. 

Il est également permis de regretter certaines erreurs dans l’efficace et nécessaire première partie rédigée par Philippe Laborie pour contextualiser les faits rapportés par Monique Guyot. Ainsi Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, n’a pas été « condamné sous Pétain par un tribunal pour désertion ». Thorez a été condamné le 28 novembre 1939 à six ans de prison pour « désertion en temps de guerre » et déchu pour cette raison de la nationalité française le 17 février 1940, sous la IIIe République.

 On se demande enfin pourquoi l’auteur des notes (multiples, on en dénombre 819) a éprouvé le besoin d’en rajouter en nous indiquant la signification de mots ou d’expressions tels que « micmac », « acrimonie », « pusillanimité », « torse », « gloriole », « badin », « algarade »,« godelureaux » ou bien encore « tranquille comme Baptiste » !

Encore un mot...

 Un témoignage exceptionnel. Avec son journal, Monique Guyot réintroduit dans l’histoire du maquis du Vercors des éléments complètement occultés par la légende.

Une phrase

 « Vers huit heures, on sonne à la porte. Je bondis sur le portrait de Pétain, et le dissimule. Ce n’était qu’une fausse alerte. Néanmoins je me suis résolue à ce que j’avais décidé depuis longtemps. Pétain est maintenant dans ma chambre. Ce qui me gêne pour me déshabiller, malgré la bienveillance de son regard. » (18 décembre 1944).

L'auteur

Outre Monique Guyot (1906-2001), le journal est présenté par Philippe Laborie, professeur d’histoire au collège de L’Isles-sur-Sorgues (Vaucluse) et préfacé par Gilles Vergnon, maître de conférences à l’IEP de Lyon.

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