Les derniers jours de Staline

Vie et mort d'un dictateur absolu. Un essai remarquable par sa rigueur et ses sources riches et diverses
De
Joshua Rubenstein
Perrin
Traduit de l’anglais (Etats-unis) par Johan- Frederik Hel Guedj
Parution en janvier 2023
368 pages
23, 50 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Son nom porte l'effroi et la terreur. Sa mort même,  intervenue en mars 1953,  viendra parachever cette sinistre réputation. 

Foudroyé par une hémorragie cérébrale dans les appartements privés de sa datcha, Staline agonise, seul, pendant de longues heures. Ni bruit ni lumière perceptibles depuis l'extérieur, ses gardes du corps sont intrigués, mais personne n'ose le déranger. Enfin, sa fidèle gouvernante découvre le corps gisant sur le sol de la bibliothèque. 

Premiers accourus à son chevet: quatre " compagnons d' armes": Beria, Malenkov, Boulganine et Khrouchtchev. Ces fidèles, tout comme les médecins qui craignent de s'approcher de leur patient, sont d' abord incrédules puis saisis. Staline, rapportent  ces témoins, est inconscient, mais semble ronfler...

Et si le monstre était toujours en vie? Et si la bête se relevait soudain ?

Plus tard, Khrouchtchev confiera: " après une rencontre avec lui, personne ne savait jamais si il rentrerait vivant. " 

Les premières réactions des chancelleries occidentales sont prudentes,  embarrassées, car la lutte pour la succession risque de déraper, le régime peut se durcir encore. Le contexte international est pesant : poursuite de la guerre de Corée, durcissement de la répression avec le fameux procès dit du" Complot des blouses blanches", ces médecins (en majorité juifs) emprisonnés et torturés, car ils auraient cherché à éliminer des hauts dirigeants soviétiques. 

Quelques jours plus tard, le rituel des funérailles est en place. Avant d' être embaumée , la dépouille du " petit père des peuples" est exposée  pendant quatre jours, dans la salle des colonnes de la maison des syndicats, là où les aristocrates décrits par Pouchkine venaient parader et danser. Le sarcophage rejoint ensuite celui de Lénine à l' intérieur du Mausolée, sur la place rouge. 

Staline était haï et adulé. 

Des centaines de milliers de personnes se pressent, se rassemblent, se bousculent pour voir leur grand homme. Une masse humaine, aveugle et sourde, projetée dans les rues avoisinantes barrées par la milice, et qui va broyer, piétiner en son sein, des centaines d'hommes, de femmes et d' enfants. 

L' ombre de Staline mort fauchait encore les vivants.

Points forts

  • Rigueur, richesse et diversité des sources, Joshua Rubenstein s'inscrit dans la tradition des grands historiens américains. Une plume claire, alerte, au plus près des grands et petits acteurs de l' époque, qui nous permet de revivre ces journées où l'Histoire a basculé. 
  • Pour le journaliste qualifié parfois " d'historien du présent ", ce récit est aussi une leçon de modestie. Dans leurs articles nécrologiques sur l' ascension  de Staline, de grands quotidiens de référence, comme le Times de Londres ou le New York Times évoquent " un mélange de caractère, de ruse et de chance", mais omettent l'essentiel : l' élimination sanglante des rivaux, la Grande Terreur des années Trente, les déportations de masse...
  • Il est vrai que des dirigeants de premier plan se sont aveuglés également. Ainsi, l' ancien président Truman qualifiera Staline " d' honnête homme."  Plus clairvoyant, Eisenhower trouvera la bonne définition : " un dictateur absolu."

Quelques réserves

  • Cet essai n'apporte pas d'éclairage nouveau sur la déstalinisation et la libération des prisonniers politiques ( mais aussi hélas de vrais criminels qui vont  sévir de manière sanglante dans les villes et les campagnes). Dans la lutte féroce pour le pouvoir, l'arrestation du sinistre Beria est déjà très documentée dans de nombreux ouvrages.
  • On aurait aimé connaître aussi la réaction du Général de Gaulle à la mort de Staline, mais il faut se rappeler que l' Homme du 18 juin 1953 n' était pas encore revenu au pouvoir.

Encore un mot...

"Nous sommes des Asiates"  proclamait le poète russe Alexandre Blok. 

A cheval sur deux continents, la Russie, on le sait, possède une double identité : européenne, de Pierre le Grand à Gorbatchev, asiate, du tsar Ivan le Terrible à Staline ( et Poutine ?).

Cet essai centré sur le "petit père des peuples" nous interroge aussi, en creux, sur une question essentielle:

Qu' est ce que cela signifie qu'être Russe aujourd'hui ? Quelle image et quelle représentation les citoyens russes ont-ils de leur histoire et de leur présent ?

Une phrase

  • " Staline était à l' intérieur de chacun, comme le marteau à côté de la faucille était dans tous les esprits." Andreï Siniavski.
  • " C' était un regard terrible, dément, ou peut-être courroucé et plein de la peur de la mort et des visages inconnus de tous ces docteurs penchés sur lui. Il a soudain levé la main gauche comme s' il désignait quelque chose au-dessus de lui et nous jetait à tous une malédiction. Ce geste était insondable, chargé de menace, et personne ne pouvait dire à qui ou à quoi il pouvait être adressé." 
  • " Un moment après, après un ultime effort, l' esprit s' est arraché de sa chair."
    (témoignage de la fille de Staline)

L'auteur

  • Joshua Rubenstein est un spécialiste de la Russie soviétique et post- soviétique. Il a été directeur d'Amnesty international aux États-Unis et dirige aujourd'hui une structure de mécénat Major Gifts à la faculté de Harvard. 
  • Les derniers jours de Staline constituent son dixième livre.

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