Les partisans. Kessel et Druon, une histoire de famille

Un chant, deux partitions. Une biographie croisée de l’oncle et du neveu un peu académique
De
Dominique Bona
Gallimard
Parution le 09 mars 2023
526 pages
24 euros
Notre recommandation
3/5

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Thème

Spécialiste du genre, Dominique Bona s’attaque ici à la biographie croisée de Kessel et Druon. Cette “histoire de famille”, qui court sur presque un siècle, s’achève à la mort de Druon en 2009. Kessel est un émigré russe des confins de l’Oural. Engagé volontaire en 1914, Français depuis 1922, il rejoint Londres en 1943 où il est devenu “gaulliste pour la vie”. C’est un immense conteur qui développe une vision romantique du monde. Journaliste vedette de son mécène Pierre Lazareff, il « aime avant tout émouvoir et faire rêver ». Mal aimé du milieu littéraire, Kessel est adulé par les lecteurs. Forte personnalité, buveur, bagarreur, il aime les mauvais garçons et multiplie les conquêtes féminines. 

Quel contraste avec son neveu Maurice, le fils naturel de Lazare, son frère cadet. Maurice prend le nom de Druon lorsque René, un notable du Nord qui a épousé sa mère, l’adopte. De 20 ans le cadet de Joseph, Maurice est « élevé aux antipodes de l’Oural », dans la religion catholique quand Joseph découvrira tardivement sa judéité. Écrivain précoce, résistant non combattant, il a une “vision héroïque, littéraire de la guerre”. Prix Goncourt en 1948, il donne sa noblesse au genre du roman historique avec Les Rois Maudits, un livre au succès phénoménal. Conservateur, Maurice goûte la vie aristocratique. Son univers est “stable, organisé, régulier, bourgeois”. 

Ces deux-là s’estiment. Ils écrivent Le Chant des partisans à quatre mains. Maurice est décrit comme « le neveu idéal, plein d’admiration pour son oncle ». Ils entreront tous deux à l’Académie française dont Druon sera le secrétaire perpétuel.

Points forts

Dominique Bona a mobilisé une documentation considérable pour cette double biographie. Le long récit n’est heureusement pas chronologique.  Les amateurs d’histoire du vingtième siècle sont gâtés. Ils perçoivent à travers les destins de Kessel et Druon le souffle du siècle passé : deux conflits mondiaux, la naissance du fascisme, Vichy, la Résistance, le Gaullisme, la Guerre froide, le sionisme.

La rencontre avec Germaine Sablon, une des maîtresses de Kessel et la première interprète du Chant des partisans, est l’autre découverte de ce livre. Comme Dominique Bona, nous éprouvons attachement et admiration pour cette vedette du music-hall, une femme exceptionnelle qui a été très tôt de tous les combats de la Résistance. Elle est peut-être la véritable héroïne de ce livre. 

Chaque lecteur éprouvera certainement une préférence plus ou moins marquée pour l’un ou l’autre des “partisans” sous les angles divers de la personnalité, de la force de l’engagement ou de la qualité de leur production littéraire. Dominique Bona a choisi : c’est Kessel et accessoirement Germaine.

Quelques réserves

Dominique Bona n’est pas Stefan Zweig. On ne retrouve pas les analyses psychologiques de l’écrivain autrichien, lui aussi un grand biographe. La dimension intime des relations de l’oncle et de son neveu aurait pu être développée. On comprend que les deux s’aimaient et se respectaient mutuellement. On saisit les grandes lignes des dissemblances de leurs personnalités et de leurs systèmes de valeurs. On note ici et là qu’ils ont été des rivaux, aussi bien en amour qu’en littérature. Mais le livre n’approfondit pas ces thèmes et véhicule une image consensuelle du tandem Kessel-Druon. Cette vision n’est pas assez questionnée à notre avis.

L’auteure n’a pas véritablement fouillé la nature profonde de leur lien de plus de 60 ans. Pour ces deux personnalités hors-norme, comment l’un jugeait la réussite de l’autre ? Qui prenait l’ascendant dans le débat d’idées (on est frustré notamment d’en savoir si peu sur la pensée politique de Kessel, au-delà de son attachement au gaullisme et au sionisme) ? Comment l’un jugeait les prises de position politiques de l’autre ? En bref, on regrette le choix de l’auteur d’avoir privilégié une biographie un peu académique.

Encore un mot...

L’histoire romanesque de deux monstres sacrés de notre littérature, passionnément français.

Une phrase

  • « Ancré dans un pays de France ancestral, fidèle à son passé, où les petits garçons vont au catéchisme et servent la messe, le dimanche, la sage Croix-Saint-Leufroy est peinte aux couleurs les plus contrastées avec le monde bouillonnant de la famille Kessel, son désordre, son nomadisme, son athéisme mâtiné de traditions juives, et le son vrillant des mélodies tziganes » (p. 123).
  • «  A la bonne école, il est vrai, il [Druon] a étudié auprès de son oncle les recettes d’une littérature qui a fait ses preuves. Se garder de tout intellectualisme. Bannir les théories, les idées générales. Mêler l’émotion à l’efficacité du récit, afin que le lecteur ne soit jamais soumis à l’ennui qui se dégage invariablement de développements abstraits […]. Des dialogues brefs et incisifs, en lieu et place d’analyses psychologiques toujours rébarbatives. Un récit vivant, oui vivant, voilà ce qu’il attend. Voilà ce qui signe un vrai bon roman » (page 251).

L'auteur

Dominique Bona est membre de l'Académie française. Son œuvre, riche en biographies (Romain Gary, Clara Malraux, Stefan Zweig…), a été distinguée des prix Interallié pour Malika (Mercure de France) en 1992 et Renaudot pour Port-Ébène (Grasset) en 1998.

Chroniques des essais de Dominique Bona :

 

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