Sortir du cadre

Tranches de vie exceptionnelles d’une Étoile atypique
De
Marie-Agnès Gillot
Editions Gründ
Parution le 29 septembre 2022
240 pages
34,95€
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Marie-Agnès Gillot : enfant prodige de la danse classique dans les années 1980, danseuse talentueuse du Corps de Ballet de l’Opéra de Paris dix ans plus tard, Étoile hors du commun finalement consacrée en 2004. Mais derrière cette carrière exceptionnelle, il y a un corps endolori et contraint, des années de travail intense et acharné, des rencontres bouleversantes et décisives, des joies, des peines, des rires, de la nostalgie…

Dans ce beau livre, riche en photographies et en illustrations peintes, Marie-Agnès Gillot se raconte en trois actes, au rythme des visages, des lieux et des chorégraphies qui ont marqué son histoire.

Points forts

Véritable plongée dans sa mémoire psychique et corporelle, Marie-Agnès Gillot décline son parcours à travers un florilège de courts chapitres illustrés. Pour elle, comme pour de nombreux artistes et athlètes de haut niveau, l’origine de sa vocation remonte à l’enfance : la danse est d’abord un moyen de canaliser son énergie débordante. Cependant, elle ne tarde pas à devenir une passion, que la danseuse décrit dans un style plein de candeur et de sincérité. Souvenirs précieux de ses spectacles (dont témoignent quelques photographies tirées de sa collection personnelle), de sa famille, de ses Divisions à l’Ecole de l’Opéra, de la vie parisienne : Marie-Agnès Gillot dresse le portrait d’une jeune fille zélée et déterminée, qui avait déjà l’ethos d’une grande danseuse.

Ce qui impressionne dans son parcours, c’est d’abord sa précocité : admise à l’Ecole de Danse à 9 ans, puis dans le Corps de Ballet à 14 ans au rang de « quadrille stagiaire » (il faut alors lui accorder une dispense d’âge), rien ne semble pouvoir arrêter l’ascension de Marie-Agnès Gillot. Mais, son récit ne fait pas abstraction des difficultés traversées. Outre les exigences extrêmes de l’apprentissage, la jeune danseuse souffre dans et de son corps : durant toute sa scolarité, sa double scoliose lui impose de porter un corset orthopédique nuit et jour, sauf pendant les cours de danse. Ce carcan de plastique sera l’objet de ses angoisses, l’instrument de sa douleur mais aussi la source de sa persévérance. Un tel témoignage suscite l’émotion et l’admiration, mais il laisse également songeur quant à la rudesse du monde du ballet, où le moindre signe de faiblesse menace de briser les rêves de virtuosité. Si Marie-Agnès Gillot garde les stigmates de sa colonne vertébrale sinueuse, l’abandon de son corset est raconté comme une libération, un premier cadre dont elle est parvenue à sortir. 

Formation « classique », certes, mais trajectoire atypique : au sommet de son art, Marie-Agnès Gillot se distingue comme une artiste hors normes. Jamais on n’avait nommé une Étoile à l’issue d’un ballet contemporain avant elle. Au-delà de sa carrière exceptionnelle à l’Opéra, elle livre avec humour quelques anecdotes et coutumes de l’institution. Plus que les rôles du répertoire classique, on retient son interprétation magistrale d’Eurydice dans la chorégraphie de Pina Bausch, du Boléro de Maurice Béjart ou encore des Signes de Carolyn Carlson. Les nombreuses photographies présentées dans l’ouvrage permettent d’apprécier l’élégance et la profondeur de sa danse, nourrie d’un travail aux côtés des plus grands artistes contemporains et de ses expériences à l’extérieur de l’Opéra. Si l’heure de la retraite sonne en 2018, sa soif d’horizons ouverts et sa curiosité insatiable la conduisent à multiplier les créations chorégraphiques en France et à l’étranger, à faire entrer sa danse en prison et dans le spectacle des Enfoirés, et à transmettre son savoir à la génération future. Achevant son récit par une déclaration d’amour à son « cher corps », Marie-Agnès Gillot promet de renouer avec la création, elle qui a encore tant à dire et à danser.

Quelques réserves

On aurait pu attendre une esthétique plus harmonieuse du livre physique. En couverture, un bleu sombre et mat jure avec un orange fluo agressif. A l’intérieur de l’ouvrage, les fonds de couleurs unis ne mettent pas toujours en valeur les photographies qu’ils accompagnent. Certains clichés en grand format déçoivent : étendus sur une double-page, ils se voient coupés en deux par la reliure. Pour un beau livre sur la danse qui cherche à « sortir du cadre », il aurait pu prêter davantage d’attention au sien.

Encore un mot...

Avec ce beau livre, Marie-Agnès Gillot signe une autobiographie à la fois poétique et authentique. Témoignage richement illustré mais aussi manifeste d’une artiste accomplie, Sortir du cadre s’inscrit dans la lignée des récits de vie de danseurs exceptionnels, mais à sa manière : atypique.

Une phrase

« Une étoile crée sa propre lumière…

J’ai 28 ans. Il me reste quatorze années avant ma retraite imposée à l’âge de 42 ans. Quatorze années que je souhaite intenses. Je suis insatiable. J’ai soif de connaissances. Je veux découvrir de nouveaux horizons, me nourrir de toutes formes d’art. Jamais fatiguée. Cette étoile sera ma liberté. » (p.141)

L'auteur

Née en 1975 à Caen, Marie-Agnès Gillot fait ses premiers pas de danse classique à l’âge de 5 ans, dans les cours de Chantal Ruault. Les qualités de la petite fille sont évidentes et sa professeure insiste pour qu’elle se présente au concours d’entrée à l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris : à seulement 9 ans, elle est admise dès sa première tentative. Marie-Agnès Gillot fait ainsi ses classes entre le Palais Garnier et Nanterre, marquée par les Démonstrations annuelles et les tournées à l’étranger. Malgré le corset que lui impose nuit et jour sa double scoliose, son travail rigoureux et sensible lui permet de réussir le concours d’entrée du Corps de ballet de l’Opéra en 1989, avec une dispense d’âge.

Gravissant les échelons de la compagnie, elle est promue Première danseuse à peine une dizaine d’années plus tard. Mais la consécration se fera attendre encore : le 18 mars 2004, Marie-Agnès Gillot est la première danseuse à être nommée Étoile sur un ballet contemporain (Signes de Carolyn Carlson). Sa carrière la conduit à travailler avec les plus grands danseurs et chorégraphes : William Forsythe, Maurice Béjart, Mats Ek, Pina Bausch ou Crystal Pite. Elle s’investit également en dehors de l’Opéra, pour faire entrer la danse dans les espaces les plus insolites : campagnes de publicité, cinéma, le toit du Palais de Tokyo, les spectacles des Enfoirés ou encore en prison. En tant que chorégraphe, elle signe les Rares Différences (2007) et Sous apparence (2012). En 2022, elle devient jurée de l’émission « Danse avec les stars » sur TF1 et publie son premier ouvrage, Sortir du cadre, aux éditions Gründ.

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