Petit traité du racisme en Amérique

Le livre a obtenu le Grand Prix des Ambassadeurs francophones 2023. Aux origines et aux manifestations du racisme aux États-Unis
De
Dany Laferrière
Grasset
Parution le 04 janvier 2023
256 pages
20,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Ce court essai littéraire revêt en partie la forme du haïku. Forme japonaise de poésie, le haïku permet de noter ses émotions ou étonnements en quelques vers. L’auteur a souhaité « remettre de la chair et de la douleur dans cette tragédie qu’est le racisme ». Il a ainsi « rassemblé faits, anecdotes, réflexions abruptes ou douces, regards obliques et bribes de conversation charmantes ou acides qui flottent encore dans (sa) mémoire ». 

Dany Laferrière évoque les grands noms du combat abolitionniste et des défenseurs des droits des Noirs comme Harriet Tubman, qui faisait passer des esclaves du Sud esclavagiste vers le Nord libre ou Frédérick Douglass et ses Mémoires d’un esclave. Mais aussi Harriet Beecher Stowe, l’auteure blanche de La Case de l’oncle Tom, un ouvrage à l’origine de la Guerre de Sécession, et des auteurs plus contemporains comme James Baldwin ou Toni Morrison. Laferrière n’occulte pas les personnalités très controversées de Malcom X ou Angela Davis à côté du consensuel Martin Luther King. 

L’auteur revient sur la mécanique de l’esclavage bien décrite par Douglass. L’esclave « est gardé dans la noirceur de l’ignorance ». Ainsi, il doit ignorer que près de lui, à Haïti, d’autres esclaves ont conquis leur indépendance. Sur lui repose la richesse du maître et tout l’édifice socio- économique d’alors.

Pour l’auteur, les amendements de la Constitution américaine (1865-1870) qui abolissent l’esclavage et accordent la citoyenneté et le droit de vote à tout Américain, ont débouché sur un immense désenchantement pour la population noire. L’esclave « passera d’une misère dans les chaînes à une pauvreté dans la liberté ». Devenu illégal, l’esclavage s’est mué en racisme. Dans la Constitution par amendement, les Noirs se trouvent exclus du butin légal qu’est l’Amérique volée aux Amérindiens. Ils ne trouvent pas leur place dans la Société. Le concept “séparé mais égal”, fait son apparition. Qui justifie la ségrégation active jusqu’au début des années 1960. Laferrière souligne le rôle ambivalent de la Bible. Le texte a permis l’acceptation de la violence de l’esclavage. C’est aussi « dans la Bible que ces jeunes Noirs, fils de pasteurs, vont chercher la réponse à leur désarroi ». Deux lignes s’opposent dès lors, rappelle l’auteur : Malcom X qui prône la guerre et Martin Luther King, adepte du changement lent mais radical.

Dany Laferrière se montre pessimiste. Il constate que l’Amérique reste en « ébullition ». Il rappelle l’extrême violence de la police, largement dirigée contre les Noirs. Avec un brin d’humour,  il souligne l’indécence de la condamnation pour « meurtre involontaire » des assassins de Georges Floyd.  Il évoque les humiliations infligées à la population noire comme baisser la tête (« rentrer sa dignité au plus profond de soi ») quand un Noir croise le soir une voiture de police sur son chemin.

Points forts

Le mérite de cet essai est d’abord de rappeler l’extraordinaire immoralité de l’esclavage, aboli tardivement aux États-Unis. Il introduit les mécanismes de l’aliénation mentale des esclaves destinée à protéger un système socio-économique qui repose sur l’exploitation d’une main d’œuvre gratuite et servile. Il démontre bien comment l’aliénation et la domination ont pu revêtir de nouveaux habits après la Guerre de Sécession (pression sur les salaires grâce à une offre de main d’œuvre abondante, ségrégation). 

L’ébauche de panorama des leaders de l’émancipation sur la période 1840-1970 est instructive. Laferrière n’esquive pas les questions posées par la violence des Black Panthers. Le ton reste sobre mais exprime une intense révolte. Laferrière évite de parler de racisation. Il privilégie le partage des ressentis au quotidien. La dénonciation n’exclut jamais l’humour. Elle est d’autant plus puissante à notre avis.

Quelques réserves

Certains des haïkus sont sibyllins et on peine à les rendre intelligibles. 

Cette forme littéraire privilégie le raccourci, parfois au détriment de la nuance. 

L’on pourra trouver ce livre de parti pris (mais c’est un cri du cœur, à charge donc - et la charge est justifiée !). Mais l’auteur aurait pu nuancer son propos avec les avancées de la lutte contre la ségrégation ou la réduction des inégalités raciales. On parie qu’il aurait conclu que ces avancées ne remettaient pas en question la domination qui s’exerce autrement contre les anciens esclaves.

Encore un mot...

Un essai à la fois touchant et équilibré qui restitue avec sobriété et humour ce qu’est le racisme quotidien aux États-Unis et explore la trame de la filiation esclavage-racisme, unique au monde.

Une phrase

  • « Le racisme ordinaire est un fait qui change l’autre, le Noir, en un monstre sur qui il faut tirer le premier ou un cancrelat qu’il faut écraser de son mépris » (page 41)
  • « Pendant l’esclavage, on a assimilé le suicide du Noir à un acte de sabotage. Ou de vol, comme si ce dernier aurait dérobé, en partant, un bien qui ne lui appartenait pas » (page 60)

L'auteur

Né à Haïti en 1953, Dany Laferrière est écrivain et réalisateur. Titulaire de très nombreux prix littéraires, il siège à l’Académie française depuis 2015. Son premier roman  paru en 1985 Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer a connu un grand succès international. Il a reçu le prix Médicis pour L’énigme du retour paru en 2009. Sa lettre Le racisme est un virus publiée en 2020 témoigne de son engagement contre le racisme. 

A découvrir sur Culture-Tops deux livres de Dany Laferrière, dont les thèmes sont très différents les uns des autres : Autoportrait avec chat et L’art presque perdu de ne rien faire.

 

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