Hamlet, Le Vrai

Pauvre Hamlet, pauvre Shakespeare !
De
Gérard Mordillat
Editions Grasset
Notre recommandation
2/5

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Thème

En septembre 2008, le professeur  Mortimer-Smith, analyste enragé de l’œuvre de Shakespeare dit avoir retrouvé une version d’Hamlet antérieure à celle de 1603 (le quarto 1 ou Q1) conservée au British Museum. Il s’agit de rouleaux d’une œuvre de Thomas Kyd, obscur dramaturge élisabéthain, « amendés, augmentés, développés» de la main même de Shakespeare. Lorsqu’un incendie ravage le cottage de Mortimer-Smith, anéantissant du même coup l’universitaire et son « proto-Hamlet », Mordillat décide de reprendre à son compte  la rédaction du  grand projet du maître disparu : Ce sera « Hamlet le vrai ».

Points forts

1 - Une connaissance encyclopédique de l’œuvre de Shakespeare, y compris de ses quarante sonnets, qui permet à Mordillat de réaliser un «à la manière de» crédible quant au style.

2 - L’origine du mot « rôle » : Au XVIe siècle, des rouleaux (rolls)  étaient remis aux acteurs pour qu’ils apprennent leur texte.

3 - La première partie du livre, assez nettement inspirée de Borges, qui narre la rencontre à Cambridge de spécialistes du Nouveau Testament discutant doctement du Codex Bezae Cantabrigiensis avant de glisser de la question paulinienne à Luther et du protestantisme sous les Tudor à Shakespeare, en passant par Joyce et Faulkner. Un petit régal d’érudition déjantée, mêlant vrais et faux experts, références exactes et sources farfelues.

4 - Une belle idée, également inspirée de Borges : le spectre est la propre image d’Hamlet reflétée dans un miroir.

Quelques réserves

On a donc voulu rapprocher cet Hamlet de « Pierre Ménard, auteur du Quichotte ». C’est oublier un peu vite la malice de Borges qui impose à son Pierre Ménard l’écriture des  chapitres IX et XXXVIII de la première partie du Don Quichotte (et d’un fragment du chapitre XXII). « Il ne voulait pas composer un autre Quichotte –ce qui est facile- mais le Quichotte. Son admirable ambition était de reproduire quelques pages qui coïncideraient -mot à mot et ligne à ligne- avec celles de Miguel de Cervantès » dans une optique de « totale identification » avec l’auteur. La nouvelle est une fantaisie érudite qui moque « ces livres parasitaires (…) ces mascarades inutiles tout juste bonnes à procurer le plaisir plébéien de l’anachronisme ou (ce qui est pire) à nous ébaudir avec l’idée  primaire que toutes les époques sont semblables ou différentes ».

Or, c’est exactement la démarche de Gérard Mordillat qui nous offre une relecture d’Hamlet à la sauce actuelle -quitte à chiner dans  « les Sonnets » les textes qui vont à l’appui de ses thèses. « Hamlet le vrai » est donc résolument moderne : Le vieil Hamlet était cocu depuis toujours, Hamlet,  fils de Claudius,  est,  bien sûr, amoureux de sa mère mais aussi de Horatio (bisexualité oblige) ; il a tout de même engrossé  Ophélie qui se suicide parce qu’elle est enceinte. Alors que Shakespeare suggère une paillardise secrète,  joue sur des mots à double-sens, Mordillat  enfonce le clou et nous livre le  pitch d’une série B qui ne nous épargne ni les galipettes de Claudius et Gertrude, ni les baisers en gros plan avec Horatio, ni le troussage en direct d’Ophélie. Nous sommes bien au XXIe siècle...

Encore un mot...

Il manquait à la Collection, «Hamlet pour les nuls». Nous l’avons.

Une phrase

P. 27 Mortimer-Smith déclare :

« A nunnery  à l’époque de Shakespeare c’est un couvent mais dans l’argot du temps c’était aussi un bordel où il y avait de nuns, des nonnes, que tout un chacun traduisait par « prostituées ». Et je suis certain –pas certain mais presque certain- que la scène entre Hamlet et Ophélie qui est aujourd’hui jouée sur un registre dramatique déclenchait des rires à l’époque de Shakespeare. »

C’est pourquoi quand l’Hamlet de Shakespeare dit à Ophélie :

« Au couvent, au couvent ! »  (Acte III, scène I)

Mordillat, afin que nul n’en ignore, dit p. 107 :

« Allez, au couvent !  Au bordel ! Fais-toi nonne ou putain ».

C’est plus délicat...

L'auteur

Romancier et cinéaste français, né à Belleville, en 1949, dans une famille ouvrière, Gérard Mordillat est un auteur prolifique dont les centres d’intérêt sont prioritairement sociaux. Proche de Jean-Luc Mélanchon, dont il partage les combats, il publie « Vive la sociale ! », en 1981, et enchaîne depuis romans, essais et  séries sur petit et grand écrans. Ce grand connaisseur de Shakespeare (Yorick 2003)   est également l’auteur avec Jérôme Prieur de documentaires pour Arte traitant du christianisme sur le mode exégète orienté (Corpus Christi, l’Apocalypse etc…)

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