Tour d'ivoire

Côté dépression, un petit air d'Houellebecq
De
Patrice Jean
244 pages, Ed. rue Fromentin, 21 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Antoine Jourdan, misanthrope lucide, fait la chronique d'une époque qu'il hait à travers le récit de sa vie de déclassé volontaire, porté uniquement par un amour inconditionnel de la littérature. Co-fondateur avec son ami Thomas de « Tour d'ivoire », une revue littéraire hasardo-mensuelle qui ne s'intéresse qu'aux auteurs méconnus, il décourage  tous ceux qui cherchent à  le soutenir par son intransigeance intellectuelle et son refus des compromissions.

Points forts

  • La complexité du narrateur, sans concession pour les travers sociétaux de ses contemporains, mais qui ne s'épargne guère lui-même : Provocateur et dilettante,  il  exècre  les rebelles bien-pensants, (les « mutins de Panurge » détectés bien avant lui par Philippe Muray) et fustige les « non-lecteurs » (je viens de lire un roman super, je ne me souviens plus du nom de l'auteur, mais c'est génial !). Mais il  s'accommode en feignasse de son déclassement dans une HLM de la banlieue rouennaise après avoir accepté pendant des années l'argent que son ex-femme, entre autres, versait à « Tour d'ivoire » pour tenter de sortir la revue de sa confidentialité.
  • Un sens aigu des personnages, classés par catégories, ceux qu'il aime (essentiellement sa fille et les deux amis qui partagent ses détestations), ceux qu'il méprise (les « leveurs de papattes » qui jouissent « de se voir si beaux dans le miroir de la bienséance morale ») et ceux qui l'indiffèrent  (« personne ne ferraille pour avoir le droit de fréquenter des cons »). A noter cependant son honnêteté à reconnaître les qualités de fond de certains de ses proches.
  • La promotion de la vraie littérature,  à l'opposé de l'industrie culturelle où règne la loi du profit et du  marketing, servie par une érudition très sûre et une nette bienveillance pour les auteurs sous-estimés, tel Jean-Pierre Georges,  le poète de Chinon  (à découvrir ?)
  • Des trouvailles dans la caricature de notre époque, passée maîtresse dans les à-peu-près prétentieux : ainsi Jourdan est-il employé à mi-temps dans la médiathèque « Arthur Rainbow »...
  • Un style de haut-vol où ne manque pas un imparfait du subjonctif, ponctué de vulgarités volontaires qui ramènent le lecteur à  l'écriture de son temps.

 

Quelques réserves

  • La plupart des figures de femmes se réduisent à des « histoires coïtales », sinistres étreintes  qui participent au désenchantement de  la société. Pour Jourdan, la féminité est plutôt incarnée par Melpomène, la muse guettée par un satyre (le Mal) peinte par Le Sueur au XVIIe siècle.
  • L'absence revendiquée de toute  transcendance, justifiée par le culte du doute, restreint le narrateur à son destin mesquin d'incompris, dans un monde « où la société toute entière s'est autoproclamée gardienne de l'ordre moral »

Encore un mot...

Déprimés, s'abstenir.

Patrice Jean reprend certains thèmes qu'il avait explorés avec beaucoup d'humour dans « L'homme surnuméraire » (connivence et pusillanimité des éditeurs, assèchement de la littérature par les universitaires)  mais il s'est radicalisé et affiche désormais un pessimisme qui confine à la dépression.

Une phrase

« Les athées comme les croyants m'exaspéraient, aucun n'ayant la force, je dis bien la force, de rester dans l'incertitude (...) je leur reprochais le confort de l'entre-soi et la paresse des certitudes » p. 83

L'auteur

Né à Nantes en 1966, Patrice Jean, après des études de philosophie,  devient professeur de lettres modernes. « Tour d'ivoire » est son cinquième roman, mais c'est « L'homme surnuméraire » qui a contribué à le faire connaître. En tant qu'essayiste et romancier (essentiellement publié par les Editions rue Fromentin), il contribue à différents magazines comme Eléments ou la Revue Littéraire.

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