Trois fois Ulysse

Au cœur de l’Odyssée
De
Claudine Galea
Durée : 1H40
Mise en scène
Laëtitia Guédon
Avec
Éric Génovèse, Clotilde de Bayser, Séphora Pondi, Marie Oppert, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty et le chœur Unikanti : Farès Babour, Simon Bièche, Manon Chauvin, Antonin Darchen, Adélaïde Mansart, Johanna Monty, Eva Pion, Guilhem Souyri
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Théâtre du Vieux Colombier
21 rue du Vieux-Colombier
75006
Paris
Du 3 avril au 8 mai 202. Le mardi à 19H. Du mercredi au samedi à 20H30. Le dimanche à 15H

Thème

  • L’Odyssée en trois séquences, car vue par trois figures de femmes qui croisèrent le chemin d’Ulysse. 

  • L’Odyssée  vécue de l’intérieur : ici plus de héros, mais un homme et trois femmes dont il bouleversa la vie à tout jamais. Face au roi longtemps éloigné d’Ithaque, se présentent successivement : 

    • Hécube, qu’Ulysse reçut en partage à la fin de la guerre de Troie, une femme rongée par la rancœur, la douleur, et qui dresse le portrait d’un guerrier violent, rusé, sanguinaire ;

    • Calypso, métaphore de l’amour inconditionnel, du renoncement , du sacrifice , de la passion, bref, “l’Ulysse de chair“ ;7

    • enfin Pénélope, pour qui le temps s’est arrêté au jour du départ d’Ulysse et qui, silencieuse, plus de vingt ans prend la parole pour un époux en quête de paix, elle qui, port d’attache d’un amour unique, rêve d’émancipation et d’un autre destin…enfin.

Points forts

  • Un vrai retour à la tragédie antique dans sa plus belle forme que nous offre ici Laëtitia Guédon. Elle a su transfigurer un texte dense en un chant déchirant qui nous bouleverse dès l’ouverture :

    • le Chœur formé par le chœur de chambre Unikanti, fondé par Gaël Darchen installe une atmosphère hors du temps qui nous fond dans un univers envoûtant ;

    • le choix éclectique d’airs qui courent du Xème siècle à nos jours porte les paroles et les actions des protagonistes dans une dimension lyrique qu’on n’a pas entendue depuis longtemps.

  • C’est un spectacle bouleversant de force, d’authenticité et d’originalité, servi par une distribution digne d’éloges :

    • Clotilde de Bayser, déchirante Hécube, lacère Ulysse d’une parole tranchante, violente, désordonnée ;

    • Sefa Yeboah incarne magnifiquement le jeune Ulysse dans sa fougue, sa vulnérabilité, ses certitudes. Ce jeune pensionnaire à la diction si limpide, si précise, recèle tous les registres d’un comédien accompli qui promet de belles choses.

    • il émane de la rayonnante Sefora Pondi une économie de moyens avec une présence si chargée qu’elle nous électrise au premier mot et l’on est sous son charme ;

    • Baptiste Chabauty est un Ulysse déstabilisé, amoureux, perdu, confus dans ses sentiments et qui pourtant quittera les bras de l’enchanteresse plus par devoir que par lassitude.

    • Marie Oppert campe une femme-enfant échouée dans la vie vingt ans plus tôt pleine d’illusions et d’aspirations profondes, une figure de sphinx ;

    • enfin Eric Génovèse qui, tel un Stradivarius, dans une partition de texte difficile - car faite de longues énumérations - suspend notre attention, exacerbe notre écoute. Le comédien incarne un héros fatigué, brisé, fragile comme un enfant abandonné qui voudrait retrouver ses racines, mais qui ne reconnaît plus rien. Il est tout de verre brisé, le moindre éclat pourrait le réduite en miettes mais il évolue lentement vers son but ultime dans une mélopée bouleversante.

  • Claudine Galea a réussi, le temps d’un spectacle, à nous immerger en plein Vème siècle avant J.-C. et la Comédie Française à nous offrir un spectacle d’une exceptionnelle qualité à tous les niveaux.

Quelques réserves

Absolument aucune.

Encore un mot...

  • La jeunesse est au cœur de cette tragédie. Elle se confronte dans un premier temps à la présence de l’expérience de vie, au poids d’une histoire marquée dans la chair de la magnifique et puissante Clotilde de Bayser. Puis nous arrivons à la grotte de Calypso, incarnée par la rayonnante, l’envoutante, la voluptueuse Sefora Pondi.  Il y a dans ce couple formé par Sefora Pondi et Baptiste Chabauty, une alchimie qui agit comme un aimant entre eux. Mais c’est elle qui mène la parole, c’est elle qui enlace de sa voix si vibrante et si profonde cet homme qui ne maitrise plus rien. 

  • Notons au passage que la force est aux femmes, le pouvoir leur appartient, et qu’elles décident pour Ulysse, cet homme-adolescent qui incarne avec précision un lâcher-prise,  laisse entrevoir l’inconstance, la précarité, le doute qui habitent le héros grec.

  • Enfin, nous abordons Ithaque pour y trouver la délicieuse et cristalline Marie Oppert dont la voix, dans ce Lamento de Monteverdi qu’elle nous offre à son apparition, nous déchire le cœur. Il émane de cette femme-enfant échoué dans la vie vingt ans plus tôt pleine d’illusions et d’aspirations profondes, une figure de sphinx. Elle est la dernière compagne d’un Ulysse brisé par le voyage et les épreuves, mais vers quoi l’amènera-t-elle. Sera-t-elle le port où il pourra enfin replier ses voiles et goûter le repos pour démarrer une nouvelle vie, ou son baiser sera-t-il le dernier et dans ce cas, Pénélope sera, telle Hécate, le dernier passage vers la mort ?

  • Vous l’aurez compris, ce spectacle m’aura beaucoup impressionné, mais il marque le retour d’un style, longtemps oublié, dans une forme contemporaine et une langue ciselée auquel il faut rendre hommage. 

Une phrase

  • Hécube : « Meilleur que moi dans la ruse des mots mes griffes et aboiements t’égratignent à peine. So What ? Rendons les armes de ce stérile échange ; mesurer nos souvenirs-anciens-combattants, c’est dégueulasse à regarder, même pas fondus du ciboulot, on ne fait pas rire. D’accord, c’est moi qui ai commencé ; plus personne auprès de qui  épuiser ma colère, à part la gueulante des vagues, le vent mauvais, “Cap au chien“ disaient les navigateurs pour entrer en Grècité…. » 

  • Calypso : « Tout ce ciel et cette mer no border et moi chaque jour je retiens mes paroles. Comment s’est passé ta journée, Ulysse – une question dont dépendent tant de choses ? As-tu regardé ma robe, j’ai mis la bleue ce matin (tu préfères la rouge) ? Ça  sent le cèdre tendre et le genièvre, je n’en peux plus de te voir si triste. Le jasmin a fleuri dans la nuit. Les rainettes sautillent sur les feuilles humides (Tu me jettes un regard désolé). Tu n’as rien vu, tu ne vois rien de ce que je vois… »

  • Ulysse : « Dix ans pour prendre dans Troie, dix ans pour entrer, treize vaisseaux au départ de Troie (des centaines d’hommes – zéro à l’arrivée) 600 compagnons perdus (morts) 19 jours sur la mer couleur vinasse , neuf jours de tempête (le corps dérive entre les vagues) … »

L'auteur

  • Claudine Galea écrit du théâtre et des romans pour adultes et pour la jeunesse. Actuellement autrice invitée au Théâtre Nanterre-Amandiers, ses textes sont régulièrement mis en scène notamment par Stanislas Nordey, Jean-Michel Rabeux et Émilie Chariot, mais aussi par la jeune génération, dont Marine Gesbert et Wanda Bernasconi. 

  • Je reviens de loin a été́ mis en scène par Sandrine Nicolas à la Comédie-Française en 2023, la pièce avait été́ adaptée au cinéma par Mathieu Amalric sous le titre Serre moi fort. Claudine Galea est lauréate du Grand prix de Littérature dramatique 2011 pour Au Bord, du Grand prix de Littérature dramatique jeunesse 2019 pour Noircisse, et du prix Radio SACD pour l’ensemble de son œuvre radiophonique. 

  • Son théâtre est publié́ aux éditions Espaces 34. Ces filles qu’on attend sera créé au TGP, centre dramatique national de Saint-Denis en 2025. La même saison, Émilie Lafarge mettra en scène Fake, et Sophie Lahayville, Noircisse

  • On lui doit aussi le texte du seul en scène Un sentiment de vie, chroniqué par Culture-tops.

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