La maison vide
Publication le 28 août 2025
744 pages
25 euros
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Thème
Marie-Ernestine fait la fierté de son père Firmin, riche paysan respecté et craint par sa famille et par les nombreux métayers qu’il fait vivre sous le couvert d’une autorité paternaliste.
Il est vrai que la petite fille, chez qui on décèle très vite un talent de pianiste et à qui l’on prédit une brillante carrière, lui offre la possibilité d’approcher, en dépit d’un certain mépris, la caste convoitée des petits nobliaux du canton.
Le renfort d’un professeur de musique, bellâtre précieux, ne fait qu’alimenter l’ambition raisonnable de celle qui devient une jeune fille certes talentueuse mais sans doute élevée sur un piédestal trop haut pour elle…
Un sentiment amoureux vient s’immiscer entre maître et élève, mais l’émoi naissant est empêché rapidement par la décision non contestable pour Firmin d’unir sa fille à un garçon mal dégrossi, Jules, dont le mérite premier est de lui assurer la pérennité de sa propre réussite.
Survient La Grande Guerre entraînant Jules, désormais époux de Marie- Ernestine et père d’une petite Marguerite, vers un avenir sombre dont il ne reviendra pas, laissant l’exploitation agricole, après le décès brutal de Firmin, entre les mains des seules femmes.
Commence alors une épopée familiale romanesque, soumise aux soubresauts de l’Histoire de cette première moitié du XXème siècle aux conséquences possiblement dramatiques pour les générations suivantes.
Points forts
Balzacien sur le fond, proustien sur la forme !
Ce roman d’une amplitude épique est écrit à l’encre des plus grandes plumes de notre héritage littéraire commun.
Les divers personnages sont dessinés avec une approche quasi-analytique, ce qui leur confère une dimension descriptive rappelant celle que nous propose par exemple Dostoïevski dans son Raskolnikov de Crime et châtiment !
Le texte chatoie par l’usage d’une science grammaticale maîtrisée, les longues phrases gardent néanmoins une légèreté réjouissante, la langue française est magnifiée dans sa couleur et sa difficulté.
Quelques réserves
Les esprits chagrins pourraient arguer de la densité et de la longueur de ce roman pour en extraire une forme de lassitude et de tergiversation, mais ce serait au même titre que chez Balzac ou Proust cités plus haut. Peut-on imaginer une critique justifiée dans ce sens à leur encontre ?!
Encore un mot...
Le roman de Laurent Mauvignier est un kaléidoscope de la nature humaine.
Tour à tour s’imbriquent l’ambition, la jalousie, le désir et l’incapacité d’aimer, la flamboyance et la mesquinerie, la contrainte et l’émancipation, et la liste est encore longue de tout ce qui fait une société dans sa structure et sa fragilité.
Et surtout, l’auteur, réinvestissant une maison familiale longtemps inhabitée, devant la présence d’un piano, pièce centrale dans ce livre, et au travers de divers objets et documents administratifs ou photographiques jaunis et racornis, retrace l’histoire de ses ascendants, mêlant réalité et fiction.
Cet échafaudage de clichés de vie couvrant quasiment un siècle recèle avant tout le désir pour l’écrivain de tenter d’expliquer le suicide de son père quelques années plus tôt.
La démarche est louable, sans doute douloureuse et quelque part dangereuse, risquant de mettre à jour des faits enfouis dans la mémoire collective et d’abattre des fiertés usurpées au fil des ans et des réputations familiales falsifiées au gré des générations successives…
Laurent Mauvignier accomplit là un travail d’authentification et de vérité qui anime chacun d’entre nous et nous place devant une interrogation troublante : sommes-nous modelés inévitablement par le poids d’une histoire familiale personnelle et jusqu’à quel point devons-nous nous éloigner d’elle pour vivre sereinement ?
Et pour pasticher Paul Valéry, il n’est pas déraisonnable de penser que si la famille est forte, elle nous écrase et si elle est faible, nous périssons…
Une phrase
« Je sais suffisamment peu de choses pour que rien ne m’interdise de penser à la mort de ma grand-mère comme à une sorte de préfiguration de celle de mon père, rien ne m’en empêche et tout me porte à y croire, cette obstination gênée à ne pas répondre aux questions quand celles-ci pourtant sont simples et devraient trouver des réponses nettes et précises, mais ne rencontrent que des regards détournés, des réponses hésitantes, lacunaires, comme si, à force de vouloir ne pas savoir, on finissait par ignorer… ». Page 741
L'auteur
Laurent Mauvignier, né à Tours en 1967, a publié plusieurs textes de théâtre et divers romans aux Éditions de minuit dont le très talentueux Des hommes en 2009 (qui obtiendra le Prix des Libraires l’année suivante et sera porté à l’écran en 2020, sous le même titre, avec Gérard Depardieu, Catherine Frot et Jean-Pierre Darroussin), ainsi que le roman Continuer, paru en 2016, (dont la chronique de Culture Tops est à lire ci-dessous).
La maison vide a déjà été récompensé du prix des Lecteurs du journal Le Monde et figure sur les premières listes des prix littéraires les plus prestigieux.
De là à penser qu’un couronnement se profile, il n’y a qu’un petit pas…
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