L’AFFAIRE ALASKA SANDERS

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Mais ici la soupe Dicker manque vraiment de sel !
De
Joël Dicker
Rosie et Wolfe (Suisse)
Parution le 10 mars 2022
512 pages
23 €
Notre recommandation
2/5

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Thème

Un point de départ d’une simplicité extrême pour ce polar de 600 pages : la découverte au bord d’un lac du Maine aux Etats unis, à deux heures du Canada, du cadavre d’une jeune femme, déjà bien abimé d’autant qu’un ours envisage d’en faire son diner. Ambiance.      Mais point de mystère. Cette ravissante jeune femme, « une beauté, un rayon de soleil », a de toute évidence été assassinée et on sait vite de qui il s’agit car on retrouve sa voiture, un splendide cabriolet bleu ciel, à proximité. Il s’agit donc d’Alaska Sanders qui avait élu domicile dans la  bourgade voisine de Mount Pleasant où elle venait de trouver un petit boulot à la station-service (le diable se cache dans les détails, ndlr) et retrouver son copain.

L’enquête est rondement menée et le dossier est bouclé en trois jours  avec les aveux d’un jeune homme sympathique, Walter Carey, petit ami présumé d’Alaska, mais qu’on retrouve mort dans sa cellule, une balle dans la tête, après avoir dénoncé son complice et ami Eric Donovan. Ce dernier va commencer par passer 10 ans en prison car le sergent Gahalowood de la police d'État du New Hampshire n’y va pas par quatre chemins. Tout est clair pour lui. Le mobile ? On ne sait rien, à part cette petite phrase énigmatique que l’on trouve un peu partout et près du corps : « Je sais ce que tu as fait ».  Mais 10 ans plus tard, le sergent reçoit une lettre anonyme qui plaide pour l’innocence totale des deux présumés coupables. Pris de remords, il décide de rouvrir l’enquête avec le concours de son vieil ami, Marcus Goldman, dit « l’écrivain », une vieille connaissance pour les lecteurs de L’Affaire Harry Québert.                 

Points forts

- Le premier, l’addiction Dickerienne. Tient-elle à la qualité de l’intrigue ou à la résistance du lecteur ? Toujours est-il que malgré d’autres aspects (voir ci-dessous QUELQUES RÉSERVES ) cette affaire se lit d’un trait presque sans souffler : L’Affaire Alaska Sanders est un véritable page turner à l’instar du premier volume de l’Affaire Quebert (600 000 exemplaires quand même), il en a presque tous les ingrédients : le flic traditionnellement bourru, les rebondissements en continu, les fausses pistes, le couple indéfectible enquêteur-écrivain, ce dernier n’étant autre que l’incontournable auteur à succès Marcus Goldman dont l’imaginaire fait merveille. C’est d’ailleurs la coqueluche du village. On prend les mêmes acteurs et on recommence pour servir ici une bonne soupe mais qui manque sérieusement de piquant

- Le deuxième, une certaine fraîcheur. La mise en scène des rapports humains notamment au sein de ce petit milieu de post-ados, des adultes mais encore gamins au moment des faits, qui s’aiment et se déchirent, se vénèrent et se trahissent sous l’œil désespéré de parents dépassés qui ne sont pas vraiment nets nets. Tant de naïveté peut nous émouvoir parfois  Nous sommes plongés  dans cette Amérique des petits blancs et des petits métiers, à la fois matérialiste et pudibonde, rigoriste et violente, dans un décor d’une petite ville en sommeil illustré par la cover story du livre (un tableau d’Edward Hopper). On se prend à rêver à Paris Texas, le chef d’oeuvre de Wim Wenders

Quelques réserves

Plus que des réserves, un désintérêt pour cette mauvaise affaire, ce pseudo drame qui nous a laissé froids, doublés de consternation devant l’indigence de la rédaction émaillée de fautes de syntaxe, de répétitions, d’invraisemblances de situation (cf. ces contre-interrogatoires d’Eric dans une prison qui ressemble à un salon, pas à un saloon, beaucoup trop cool après 10 ans de détention, d’après lui par erreur) dans un style jargonnesque et affublé d’ un vocabulaire absurde et inapproprié.

C’est véritablement la mécanique du chaos d’un livre trop policé pour être policier qui se répète à chaque chapitre, copié collé du précédent. Car le sergent Gahalowood rame, rame pendant plus de 500 pages, à peine soutenu par un Marcus assez  indifférent, sans doute plus accaparé par la sortie d’un hypothétique best-seller. On cherche désespérément un nouveau tandem Holmes/docteur Watson. Le pire du pire, c’est l’intrigue qui tourne en rond occultée par une profusion de personnages qui surgissent sans lendemain et qui, eux, nous donnent le tournis. Seule piste : un pull-over taché de sang qu’on ne retrouve plus, seules motivations, une jalousie d’ados née d’un sabotage vécu sur un stade, le vol familial d’une montre à 10 000 dollars, la conduite border line d’une mère attirée par la chair tendre… et qui va être victime d’un chantage de gamin. C’est maigre !

Encore un mot...

Ce qui manque à ce roman de jeunes bandes bien propres sur elles, finalement, c’est la personnalité d’un Harry Quebert dont les failles nous avaient, disons-le émus, voire bouleversés, au moment de la première « Affaire ». Il apparaît en chair et en os au 4/5 du livre, au cours de messages  énigmatiques à son grand ami écrivain (et sauveur) mais restera ensuite bien  pâlichon. Rendons néanmoins à Dicker, ce César du polar des familles, la paternité des recettes de son phénoménal succès d’édition et qu’on retrouve ici d’une certaine façon, gage d’efficacité absolue. Ainsi, chaque  séquence fait l’objet d’un chapitre de 4/5  pages, pas plus. Et la fin de chaque chapitre rebondit, au chapitre suivant, à partir d’un événement ou d’une phrase-clé sur une scène explicative antérieure (10 ans avant). Ce découpage manichéen, cette chronologie croisée, déroutante au début, s’avèrent diablement  efficaces. On est pris par la main, on évite la noyade qui guette ! Autre risque de confusion : la suite et fin de l’histoire de Marcus, Le livre des Baltimore, écrite et sortie avant cette affaire Alaska, constitue en fait le troisième volet du triptyque. Il eût fallu peut-être attendre pour tout comprendre !

Une phrase

- C’est vous qui avez rendu Walter (W. Sanders, son fils, ami d’Eric)  malade le jour de la compétition ? demanda Gahalowood
- Oui, avoua Sally (Sanders) qui pleurait. Le matin même, j’ai versé du laxatif dans sa gourde et je l’ai incité à boire. « Hydrate-toi bien mon chéri. C’est le coach qui l’a dit ». Je l’ai vu descendre toute ma gourde en quelques gorgées. J’avais mis une dose de cheval et j’espérais une réaction immédiate (…). Mais sur la piste pendant tout l’échauffement je le voyais gambader comme un cabri. Je ne comprenais pas. Eric (Donovan, son jeune amant) me lançait des regards noirs. (…) Je savais qu’Eric était capable de mettre ses menaces à exécution et que tout Mount Pleasant me découvrirait à poil en train de galocher (!) un gamin de 17 ans. (page 342)

L'auteur

Jeune écrivain suisse surdoué, Joël Dicker a, à 37 ans, déjà publié chez Fallois, 4 gros romans et récoltés 4 prix dont le Grand Prix de l’Académie Française pour le premier de sa trilogie, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert (2012),  qui sera suivi par Le livre des Baltimore (2015) - L’affaire Alaska Sanders étant le dernier tome de cette trilogie. Il a aussi écrit L'Énigme de la chambre 622 (2020) et, tout au début en 2010, Les Derniers jours de nos pères. Il a, avec son mentor Bernard de Fallois, constitué un duo indestructible jusqu’au décès de ce dernier, et un véritable phénomène d’édition, son Quebert ayant  été traduit dans 45 langues et tiré à 5 millions d’exemplaires. La vérité sur l’affaire Harry Quebert a fait l’objet d’une série TV réalisée par Jean Jacques Annaud. Hobbies : les animaux et le jazz sans oublier les Affaires (!)

Commentaires

Martine Mathieu
lun 22/08/2022 - 11:56

Un livre écrit avec les pieds ?...

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