L’Inconnu de la poste

Le récit délicat et juste d’un “roman noir”
De
Florence AUBENAS
L’Olivier, février 2021 -
240 pages -
19€
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

Gérald Thomassin naît à Pantin le 08 septembre 74. Il n’a que deux ans quand son père joue les filles de l’air, et il grandit avec une mère comptable qui sombre dans l’alcool et démissionne de l’éducation de ses deux fils. Gérald part en foyers d’accueil - autant dire qu’il part à la casse. Son chemin croise par hasard celui d’une caméra lors d’un casting mené à la DDASS par Jacques Doillon pour son futur film, Le Petit criminel. Doillon ouvre la fiction cinématographique au documentaire et ne veut pas d’un petit bourgeois pour acteur principal ; il veut un gosse qui connaît déjà la vie et vivra son rôle. La rencontre Gérald/Doillon est déterminante. Époustouflé, Doillon présente Gérald comme un futur très grand comédien. La profession lui donne raison en attribuant à son protégé le César du Meilleur espoir masculin 1991. Suivront huit films, dont certains demeurent dans les esprits pour leur qualité et la spontanéité touchante de Thomassin devant la caméra : Clubbed to Death, avec Elodie Bouchez et Béatrice Dalle qui le prendra sous son aile, Paria qui recevra un prix au Festival de San Sebastian, Le Premier venu qui resserre son amitié avec Jacques Doillon et sera son dernier rôle avant la plongée définitive dans la déglingue comme semble le prédire cette réplique prophétique, « De toutes façons, j’aurais fini par déconner »… 

Les « conneries » ont commencé bien avant – l’héroïne, l’alcool, la difficulté à supporter les contraintes, l’appel de la marginalité… Thomassin tient de l’or dans ses mains mais ne peut ni ne sait quoi en faire…

L’or va se changer en plomb dans l’année où il débarque à Montréal-la-Cluse. Il vient se mettre au vert et se désintoxiquer. Cette année-là, Catherine Burgod, enceinte et mère de famille qui tient la poste, est retrouvée morte dans son bureau, lardée de 28 coups de couteaux. Gérald habite en face. Trop vite, ses allures de marginal le désignent comme un coupable sur mesure…

Points forts

On ne peut que saluer l’esprit dans lequel Florence Aubenas mène son projet. Dépliant le mystère Thomassin, elle raconte avec rigueur et respect dix années de procédures que la disparition mystérieuse de l’intéressé en 2019 ne permettra pas de conclure. On la sent à la fois soucieuse de dire juste, et le cœur attendri par ce garçon rimbaldien qui pourrait reprendre à son compte la chanson de Kaspar Hauser : « Suis-je né trop tôt ou trop tard, Qu’est-ce je fais en ce monde, Ô vous tous ma peine est profonde, Priez pour le pauvre Gaspard ».

En plus du portrait qu’elle brosse du jeune acteur et de sa vie – un véritable scénario de cinéma, une oscillation permanente entre les feux des plateaux et la précarité extrême -, la journaliste entraîne son lecteur dans la radiographie subtile d’un village jurassien. Une église, une poste, un supermarché, un bon pâtissier, une communauté où tout le monde croit connaître tout le monde mais où chacun a ses secrets, des influents et des insignifiants, quelques belles filles et une poignée de zonards dont on se méfie. Rien que de l’ordinaire réglé comme une horloge par la pointeuse des usines de plastique de la vallée. 

Jusqu’au coup de tonnerre en plein ciel. C’est la fonction du fait divers : pulvériser la routine, dézinguer les certitudes. Le village se fige dans la stupeur - avant de dérailler. Florence Aubenas révèle ces mécanismes : tout le monde se met à raconter à peu près n’importe quoi, pompiers et police compris, et enferme Gérald Thomassin dans un faisceau de présomptions qui ressemble à de la détention anticipée. Attrapant avec délicatesse et justesse l’extraordinaire dans l’ordinaire, le récit de la journaliste prend des allures de roman noir dont on savoure la sobriété et le suspense sans effets de manches superflus. Elle sait faire vivre les ambiances, les personnages, notamment son héros, ce Thomassin qui garde jusqu’au bout sa bouille de bon gosse rebelle, son sourire désarmant, son beau regard brun et son mystère.

Quelques réserves

Aucun.

Encore un mot...

De l’inconnu de la poste, nous ne saurons rien. Aujourd’hui encore, après dix ans d’enquête, trois cents tests ADN, dix-sept mille appels téléphoniques disséqués, on ignore qui est le coupable du crime atroce commis sur la personne de Catherine Burgod. L’énigme demeure entière. Mais plus qu’à ce drame, dont on ne niera certes pas l’horreur, c’est à Gérald Thomassin qu’on s’intéresse et même s’attache. L’énigme, c’est lui. « Aussi attachant que décourageant », dira de lui Jacques Doillon. Surdoué mais toujours renvoyé à la marginalité par son destin - comme par le cinéma qui ne lui proposa que des rôles de losers. Qui est-il, au fond ? N’est-ce pas lui, le véritable inconnu du livre ? On pourra essayer d’en entrevoir quelques éclats en se replongeant dans les films qu’il illumine.

Une phrase

 « De son passé, il n’a plus une photo, plus une lettre, rien. Les jours défilent sans qu’on les compte. ‘Quand tu es à la rue, tu vis au fur et à mesure. Au bout d’un moment, la rue a pris toute la place, tu ne penses plus qu’à elle. C’est comme le cinéma’. »

L'auteur

Florence Aubenas est journaliste. Grand reporter à Libération, elle est retenue cinq mois en otage en Irak en 2005. En 2006, elle rejoint Le Nouvel Observateur, puis Le Monde en 2012. Elle est l’auteure de plusieurs livres remarqués dont La Méprise. L’Affaire d’Outreau (Le Seuil, 2005), ouvrage qui fit polémique, et Le Quai de Ouistreham (L’Olivier, 2010), exemple de journalisme d’immersion.

Le clin d'œil d'un libraire

LIBRAIRIE SAINT PAUL. A PARIS.

« On sait maintenant à quel saint se vouer »

A condition d’avoir la passion des livres. Et cette passion, les six libraires de la librairie Saint Paul, sise rue de Châteaudun, à mi-chemin entre l’Eglise de la Trinité et celle de Notre Dame de Lorette, l’ont chevillée au corps. Son directeur Christophe Aveline, tout laïc qu’il est, se consacre corps et âme à la propagation de la spiritualité chrétienne et catholique mais aussi de toute croyancequi élève l’esprit, toutes religions confondues. C’est en 1936 qu’un ordre religieux italien, les Pauliniens, crée en France la première librairie à l’enseigne de Saint Paul (c’était rue Dufour). Il en reste deux en France, les librairies Saint Paul ayant surtout essaimé au Québec.« Notre librairie appartient toujours à cette congrégation dont la vocation est donc l’évangélisation par le livre. Mais nous marchons sur nos deux jambes avec 60% de nos ventes réalisées avec des ouvrages spirituels et 40% en littérature générale » résume Christophe Aveline «Nous sommes ouverts sur le monde, nous portons le regard chrétien sur le monde. »

« Nous recommandons évidemment des romans porteurs de certaines valeurs morales et humanistes :

Par exemple Pierre Adrian, avec « les Ames simples », mais aussi « Ames brisées » chez Gallimard, écrit en français par un jeune japonais et aussi « Bach, maître spirituel » une autre manière d’écouter la musique par le pasteur Alain Joly ou encore Brahms par Olivier Bellamy(« L’automne avec Brahms ») connu pour ses émissions sur Radio classique, qui vient souvent tendre l’oreille dans ce lieu un peu sacré ! La peinture n’est pas oubliée : le philosophe Michaël de Saint Chéron présentait ici il y a un mois son « Soulage, d’une rive à l’autre ».

Les libraires de Saint Paul, comme l’horloger, ont ce rare talent de faire des « ponts » entre les arts, la lecture… et la passion.C’est la foi, « l’espérance » qui a sauvé la librairie Saint Paul pendant la très rude période de fermeture et le premier confinement, affirme son directeur. Les colloques, les conférences, les rendez- vous cultuels et culturels, les fameux 19-20 mensuels de la librairie Saint Paul ont été mis entre parenthèses au grand dam de ses fidèles pendant 2 mois. Heureusement, chaque jour, Aveline publiait sur son site ses réflexions, impressions, critiques pour maintenir la flamme. Bref, ce fut un rare et minuscule moment de grâce que votre serviteur a eu la chance de passer le jour de la Saint Valentin, à l’écoute de Christophe Aveline avec, pour finir, ce petit clin d’oeil que nous devons à Christiane Rancé, habituée des lieux qui vient de publier « Le dictionnaire amoureux des saints.»

LIBRAIRIE SAINT PAUL. 28 rue de Châteaudun 75009 PARIS Tel01 45 48 33 00

Texte et interview réalisés par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture-Tops.

Commentaires

christian pelletier
lun 01/03/2021 - 10:11

Chronique très subtile qui donne envie de lire le livre.

Jys
ven 18/03/2022 - 17:26

"Chronique tres subtile qui donne envie de lire ce livre "dit plus haut Christian Pelletier.
Je suis plus que d accord avec lui et la trouve meme vibrante cette Chronique .Elle monte d un coeur affecte et atteint le notre . Merci Madame

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