Romancero queer

De colère et de joie
De
Virginie Despentes
Mise en scène
Virginie Despentes
Avec
Sasha Andres, Amir Baylly, Casey, Mata Gabin, Soraya Garlenq, Mascare, Soa de Muse et Clara Ponsot
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

La Colline - Théâtre national,
15 rue Malte-Brun
75020
Paris
01 44 62 52 52
Jusqu’au 29 juin 2025. Tous les jours à 21h, les samedis à 18h. Relâches les dimanches et jeudi 3 avril

Thème

  • Dans les coulisses d’un théâtre public, un groupe de comédien.ne.s, qui répètent une adaptation “queerisée“ de La maison de Bernarda Alba, échangent leurs impressions et partagent leurs inquiétudes. 

  • Il est question de la pièce, des personnages dont certains ont vu leur genre changer, du metteur en scène bien sûr, Michel un boomer surplombant et volontiers abusif souffrant d’une sciatique, de Lorca fusillé à 38 ans « parce qu’il était pédé », mais aussi de chacun.e des actrices et acteurs qui se racontent par bribes, se chamaillent, rivalisent, mais se solidarisent dans la révolte et l'espoir. Ils ont la dent dure, l’humour parfois corrosif et sont mus par une colère saine et contagieuse.

Points forts

  • La beauté de l’écriture de Virginie Despentes est là : précise, tendue, dense et âpre, jamais manichéenne même si elle est portée par la rage et qui fait toute leur place aux paradoxes et aux nuances des humain.e.s. Pas le moindre didactisme là-dedans : Despentes est tout sauf une donneuse de leçon, trop pleine de vie, de violence et d’humour sans doute pour se prendre au sérieux alors que ce dont elle parle est si sérieux. 

  • Ces « sonorités noires » qui circulent dessinent progressivement, et par la seule force des mots et le déplacement des corps, une fragile toile de dialogues et d’entente entre ces êtres si différents, mais que la colère rapproche. C’est cela sans doute le théâtre : une communauté provisoire, désordonnée et dissensuelle, un groupe qui est bien davantage que la somme des individus qui le compose et pour cela même est un lieu essentiel de la vie publique. 

  • On rit de et avec : du monde et de soi-même, avec ces personnages aux existences marginalisé.e.s. et avec ces « acteurices ». On habite avec eux cet espace scénique épuré que des parallélépipèdes gris changeant de couleur au gré des éclairages et joyeusement chahutés, finissent par transformer en un champ de bataille tout fumant d’espoir.

Quelques réserves

  • Un petit problème de rythme, surtout au début, qui s’arrangera sans doute au gré des représentations, mais qui, pour l’instant, ménage quelques longueurs.

  • La musique, au demeurant bien choisie, couvre parfois les répliques des protagonistes.

Encore un mot...

  • Eclairé de l’intérieur par la pièce de Lorca, le spectacle parle des tensions entre les luttes personnelles et les réalités sociales, de la fluidité des genres, interroge ce que sont le féminin et le masculin, ce que signifie aussi incarner un personnage, ce que sont les rapports sociaux au théâtre et ailleurs quand le ciel politique est obscurci par toutes les menaces orageuses que l’on sait.

  • C’est donc une œuvre de résistance qui, sans lourdeur et sans hargne, permet de comprendre ce que « queer » veut dire et ce qui menace les avancées sociétales et culturelles de ces dernières décennies, soignant dans le même mouvement le malheur d’être au monde dans le monde d’aujourd’hui. 

  • On en sort consolé et dynamisé, partageant avec tou.te.s la joie d’être soi-même, d’être simplement et de manière problématique et conflictuelle ce que l’on est. 

Une phrase

  • Nina : « Les mecs comme Michel aiment la blessure. Ils disent “cette blessure est nécessaire à l’œuvre“. Mais c’est surtout parce qu’ils trouvent que ça fait sérieux, la douleur… »

  • Nina : « Les trucs qui arrivent aux autres, on s’imagine toujours que si on était à leur place, on réagirait mieux et quand ça t’arrive... En plus je peux pas saquer la meuf qu’elle date. C’est un gros tas de merde dégueulasse. Ça compte, quand même, dans mon chagrin. 

  • Max : Mais vous, les queers, vous n’êtes pas censés avoir des insultes, plus... euh politiquement plus adéquates ?

  • Nina : Pas dans ce cas précis, non. » 

L'auteur

  • Virginie Despentes est une autrice majeure : comme pour Beauvoir, il y a un avant et un après ses textes : Baise-moi en 1994, Les Chiennes savantes en 1996, Les Jolies Choses en 1998, Teen Spirit en 2002 et Bye Bye Blondie en 2004, la plupart de ces textes ont été adaptés au cinéma par elle ou d’autres. Et puis surtout King Kong Théorie en 2006, devenu manifeste du féminisme contemporain. 

  • En 2010, Virginie Despentes reçoit le Prix Renaudot pour son roman, Apocalypse Baby. Entre 2015 et 2017, elle publie la trilogie Vernon Subutex, immense succès critique et public, adaptée en série télévisée (https://www.culture-tops.fr/critique-evenement/series-tv/vernon-subutex) et en bande dessinée, puis en 2022, Cher connard

  • Depuis mars 2021, Virginie Despentes est artiste associée au Théâtre du Nord. Romancero queer, premier texte de théâtre qu’elle écrit seule, est présenté comme la deuxième partie d’un tryptique commencé en 2024 avec WOKE dans lequel on retrouve les mêmes interprètes.

  • On lui accorde sans réticence aucune de faire sienne cette phrase de Lorca : « Pour tout homme, tout artiste, qu’il s’appelle Nietzsche ou Cézanne, chaque échelle qui monte à la tour de sa perfection a pour prix la lutte qu’il entretient avec son duende, pas avec son ange, comme on a pu le dire, ni avec sa muse. » 

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