Shanghai la Magnifique, Grandeur et décadence dans la Chine des années 1930

Un "livre monde", aussi fascinant qu'incroyable.
De
Taras Grescoe
Ed. Noir sur Blanc, 478 pages, 24 Euros
Notre recommandation
4/5

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Lu
par Culture-Tops

Thème

Shanghai, dans les années 1930 : déjà près d'1 million d'habitants, résidents, réfugiés de tous poils : Chinois certes, mais aussi Mandchous, Russes échappés de l'enfer de la révolution, Ukrainiens en cavale, Juifs de Russie et d'ailleurs, Arméniens, fuyant le démantèlement de l'Empire austro hongrois, et puis -bien sûr – les opulents Occidentaux desConcessions, dont la française n'est pas des moindres, les arrogants Britanniques réglant les mondanités de tous. Un tableau sidérant, dans lequel les mafias, les chefs des Triades, les trafics de drogues, d'opium, d'alcool, d'armes, de femmes et d'enfants, une misère endémique aussi, engendrent des fortunes considérables, parfois éphémères, de sanglants règlements de comptes.

Dans ce maelstrom, 3 vies s'entrecroisent : Une aventureuse nord américaine, Emily Hahn dite « Mickey », le poète chinois  Zau Sinmay dit Mister Pan, et sir Ellice Victor Sassoon, à ce moment l'homme le plus riche et influent de Shanghai où il fait édifier l'étonnant ensemble Art Deco - dont l'emblématique Cathay Hotel - qui  affiche l'originalité urbaine des rives de la Wangpoo river.

Tout cela sera gâché, détruit, anéanti par l'occupation japonaise à partir d'aout 1941, puis la déferlante communiste après la Paix de 45. Tout le monde s'en va, s'il ne meurt pas, de mort subite ou de chagrin. L'épilogue (page 385 et s.) est édifiant.

Points forts

  • Le bouillonnement incroyable de Shanghai, sans doute le sommet du cosmopolitisme : Tous ces gens obligés de vivre ensemble pour sauver leur peau, leurs biens, leurs illusions ; le goût insensé de l'aventure, le culot inoui de certains : tous les coups sont permis. Le jeu, une exécution sommaire, une nuit dans un bordel transforment les destins. Nos 3 guides, dans ce dédale d'intérêts et de volte faces ont fort à faire. Il y a le coeur aussi, et le désir... L'Américaine finira par rentrer à Saint Louis, Missouri, Sassoon verra une partie de son œuvre anéantie, le Chinois finira obscur, presque oublié dans une ville désolée.
  • La vie très étonnante de nos 3 héros, racontée avec brio – grâce à de patientes et minutieuses recherches – laisse pantois. Il y a une sorte d'inconscience chez eux, une sorte de refus de la réalité « vraie » qui les fait passer à travers tous les pièges, les désastres vécus autour d'eux. A travers eux on prend la mesure de la double appartenance, à la fois occidentale et orientale de la ville : l'Occident pour la matérialité, l'Orient traditionnel pour l'esprit.                   
  • On peut lire ce livre comme un documentaire, un roman d'aventures, la biographie d'une Américaine embarquée dans un destin qu'elle ne maitrise pas, l'éloge de l'argent, une initiation à la débauche, une session d'entrainement à la détestation de la guerre, de toutes les idéologies et éventuellement...des Japonais.
  • Shanghai la Magnifique fait partie de ces livres – un club très fermé – où chaque lecteur trouve son compte  dans l'histoire, l'imaginaire, la poésie, la violence. Livre monde s'il en est, souvent très beau.  Sans pathos ni nostalgie, juste le film de ce qui s'est passé, des destins croisés sur un sol qui se dérobait et une absence totale de morale. C'est peut être cela le plus significatif : il existe des contextes où toute référence à une quelconque éthique ne peut s'exercer ou s'exprimer...sous peine d'anéantissement immédiat. Le plus noble des coeur peut devenir bête vorace, exterminateur, magnifique indifférent.

Quelques réserves

  • C'est parfois un peu dense et touffu ; les destins emmêlés se carambolent, il faut s'arrêter ou revenir en arrière pour renouer tous les fils. Une assez bonne connaissance de l'histoire moderne de l'Asie, des Concessions n'est pas inutile (mais pas indispensable).

Encore un mot...

Un livre où se plonger toutes affaires cessantes. La magie opère...

La morale de l'histoire ? « Ne compter que sur soi même » comme le dit le papa de Mickey au début du livre.

Une phrase

« Les Japonais rôdaient toujours, et la rumeur disait que, dans leurs repaires des montagnes, les communistes gagnaient en force. Le cas échéant, songeait Sir Victor tout en se détournant de la ville pour porter son attention sur les rires qui s'élevaient des balcons du huitième étage, il serait bien avisé de consacrer les deux années à venir à tirer de Shanghai tout ce qu'il pourrait »...(page 120)

L'auteur

Canadien, Taras Grescoe  est un journaliste de renom, spécialiste de l'Asie, collaborateur régulier au New York Times et au Guardian. Il écrit aussi de belles chroniques pour le National Geographic Traveler. Ecologiste, il a produit de redoutables pamphlets sur la destruction des ressources de la planète et de la mer  Le pique nique du diable (2008) ; la mer engloutie, le poisson de nos assiettes aura-t-il la peau de la planète? (2010), traduits en français. Sa prose est élégante et précise.

La traduction de Shanghai, due à Odile Demange, est exemplaire.

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