Une façon d’aimer

Grand Prix de l’Académie française 2023. Portrait en nuances d’une jeune femme discrète entre sa province nantaise et le Cameroun colonial.
De
Dominique Barbéris
Gallimard
Parution le 17 août 2023
205 pages
19,50 Euros
Notre recommandation
3/5

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Thème

Une photo jaunie « Douala, rue des Cocotiers, 1958 » sur le buffet de sa grand-mère intrigue la narratrice. Qui est cette tante Madeleine discrète et élégante dont on disait qu’elle ressemblait à Michèle Morgan ?

La narratrice,  avec quelques souvenirs, imagine la vie de cette tante. Dans les années 1945/1950, après la disparition du père à la guerre, Madeleine vit à Nantes avec sa mère et sa sœur, un quotidien modeste et paisible. Les années passent et à 26 ans, Madeleine n’est pas mariée, elle  risque de rester vieille fille ! En 1955, elle « se laisse épouser » par Guy fou d’amour et part avec lui au Cameroun où il est négociant en bois. 

Une vie d’expatriés…  une petite Sophie naît…et le retour précipité en France. Après un passage au Havre, ils s’installent à St Nazaire où Guy a trouvé un travail avant de prendre sa retraite à Nantes. Le couple reste silencieux sur cet épisode africain,  pourquoi ?

Points forts

  • La description subtile de cette famille de femmes dans un monde d’après-guerre, milieu modeste et provincial.
  • Portrait détaillé (et affectueux) de cette femme discrète et mélancolique, tiraillée entre ses devoirs et ses désirs.
  • Etude de la micro-société représentant les colons dans ces années 50 ; un huis-clos étouffant accentué par la chaleur tropicale, une vie lente en compagnie des insectes, des lézards et des oiseaux bruyants le soir venu !
  • Le couple formé par Madeleine et Guy fait de non-dits, « vieux couple » attendrissant.

Quelques réserves

Peut-être une histoire qui manque de fond. La personnalité de Madeleine reste insaisissable, voire parfois ennuyeuse ! 

Encore un mot...

C’est donc à partir d’une photo jaunie sur le buffet de sa grand-mère que la narratrice tente de cerner sa tante Madeleine. 70 ans après les faits, elle déroule l’histoire de cette tante discrète et élégante. Quelques lettres et photos retrouvées permettent à la nièce d’imaginer « un presque rien » qui a peut-être « tout changé ».

Dans une première partie, la narratrice se livre à un travail de mémoire sur cette famille qu’elle a côtoyée, sur cette vie en province dans un milieu social modeste dans les années 50. Madeleine jeune fille ravissante, Madeleine qui travaille, Madeleine qui rencontre Guy qui est « fou d’amour » pour elle. Madeleine a 26 ans et doit envisager de se marier pour ne pas rester vieille fille selon les idées de l’époque. Madeleine est toujours discrète même dans les préparatifs du mariage.

Puis c’est l’installation de Guy et Madeleine à Douala. Le décalage social sera un grand choc pour la jeune femme. Elle découvre l’ambiance coloniale en ces années 50, une ambiance lourde et sensuelle, mais aussi menaçante car l’indépendance approche. La narratrice rend le parfum de cette Afrique, monde en sursis. Nous suivons les soirées à la Délégation Française où se retrouve le Tout-Douala : alcool et danses sur les airs de « Temporel » de Guy Béart, « Bambino » de Dalida. Mais déjà, les camerounais se lancent dans des conciliabules dans une langue que les Français ne comprennent pas !

C’est dans ce monde étrange et violent, lors d’un bal, que Madeleine est courtisée par le ténébreux, aventurier et séducteur Yves Prigent.

En petites touches délicates, la narratrice nous raconte alors « sa » Madeleine si discrète et mélancolique qui se trouve tiraillée entre ses devoirs et ses désirs. C’est une jeune femme désenchantée. Je ne dévoilerai pas ce qui va se passer.

Face au charme de la tentation, cette histoire est le portrait des doutes, des craintes et des refus. Devant ces amours interdits, suggérés ou inventés, l’auteure imagine le silence, « une façon d’aimer ».

Madeleine et Guy deviennent un vieux couple, elle une épouse irréprochable peut-être dans ses souvenirs, lui toujours fou d’amour lui pardonnant, oui mais quoi ?

Ce livre serait-il donc l’histoire d’une femme qui a vécu « quelque chose et presque rien » à la fois ?

L’écriture de Dominique Barbéris est magnifique, le style remarquable, une lecture charmante et désuète.

Une phrase

  • « Je pense, a dit lentement Sophie, que mon père l’aimait sans mesure. Nous avons laissé le mot retomber en nous ; il nous coupait le souffle. Soudain Sophie a continué : il lui a pardonné. Il lui pardonnait tout ; c’est souvent comme çà dans les couples. Il y en a un qui pardonne et accepte. En même temps, si on devait dramatiser ce genre d’histoire (elle a souri), tout le monde se séparerait. Tu ne crois pas que nous avons tous nos secrets ? » p. 39/40
  • « ….. car en réalité, personne ne savait quoi dire à Madeleine ; elle se tenait droite avec sa beauté raide, un grand fond de timidité, et cet air provincial décourageant, à la fois sévère et désemparé, avec  lequel elle cherchait à donner le change. » p. 102
  • « Elle a confié un jour à Sophie : « tu vois, je crois que maintenant je n’aimerais pas être jeune, ça ne m’intéresserait plus »… « Je ne sais pas. C’était autre chose. Et puis, j'ai eu ma part. Maintenant, je me sens étrangère ». p. 201

L'auteur

Dominique Barberis connaît bien l’Afrique puisqu’elle est née à Douala dans une famille d’origine nantaise (comme dans ce livre). Elle a vécu à Bruxelles et Nantes.  Agrégée de lettres, elle est enseignante et romancière. Citons Les Kangourous (Gallimard, 2002), Quelque chose à cacher (Gallimard, Prix des 2 Magots 2008), Un dimanche à Ville-d’Avray (Arléa, 2019). Ses romans sont traduits en 7 langues.

Commentaires

Béatrice Simio
sam 30/12/2023 - 11:51

4 * pour moi pour ce livre délicat et sensible, qui m'a beaucoup touchée. Il se lit comme on se plongerait dans l'album photos en noir et blanc de ses parents ou de ses grands-parents, en regrettant qu'ils nous aient si peu raconté..

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