Flore Lefebvre des Noëttes : Juliette et les années 70
A ceux et celles qui douteraient encore du fait que les One Man/Woman Show soient devenus un genre majeur, un conseil: aller voir Flore Lefebvre faire revivre, à travers sa propre vie, les Années 70. Texte, interprétation: c'est époustouflant.
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Thème
Juliette raconte, Juliette se raconte, de l'enfance à l'adolescence. Actrice de son propre rôle, libérée et "amoureuse de l'amour", et observatrice un rien dézinguée d'une famille un peu "braque", à la fois normale et "exceptionnelle" ( Juliette en est persuadée... ), une famille écartelée entre ses racines bourgeoises et catholiques de droite et qui, peu à peu, soumise aux aléas de la vie va virer à l'anarchisme et à une sorte de non conformisme artistique.
Imaginez le burlesque du cadre . D'un côté, le "Pater" (comme on disait dans les familles bourgeoises dans les années soixante ) ex officier en déshérence, maintenant bipolaire, qui déraille sans prévenir, de l'autre "la Mate" qui, pour sortir, elle et les siens (une fratrie de 11 enfants) de cette atmosphère décadente et oppressante, se plonge dans l'univers débridé de la peinture et du théâtre, déployant une énergie phénoménale pour échapper au carcan catholico-militaire qui devait être leur destinée ; et au milieu, Juliette, petite boule de vitalité, d'humour et d'affectueuse insolence, qui se plonge dans les vinyles et les vapeurs de l'encens indien , envoutée par les Pink Floyd, transportée par l'idée de l'amour vrai, et qui nous fait revivre les couleurs et les rythmes des années 70 : pop, rock, surboums et... amour libre
C'est à la mort de la "Mate" que cette auto-biographie édifiante prend corps sous la plume de Flore des Noëttes, la vraie Juliette , le titre étant inspiré du célèbre duo de Shakespeare.
Points forts
- 1/ L'authenticité. Il y a quelque chose d'incroyablement véridique dans cette histoire, de familier, de vécu. Des familles, de 13 enfants ça ne s'invente pas. L'anti conformisme paradoxal chez certaines familles bourgeoises ou aristocratiques non plus, notamment dans l' Ouest de la France. Le courage jubilatoire de l'une, faisant face à la vacuité caractérielle de l'autre, se donnant en spectacle devant leurs enfants, le tout nimbé d'une grande tendresse
- 2/ L'écriture. Elle est belle, précise, poétique parfois. Lorsqu'elle évoque la côte de Jade et les souvenirs de Saint Michel Chef Chef près de La Baule, on y est vraiment . On entend la mer, les Doors et Françoise Hardy, on vit dans les boutiques hippies de "la Mate" à Pornic, on s'initie à la psychiatrie et la psychanalyse... avec légèreté
- Et quand Juliette, alias Flore dit, avec tendresse, que " la maladie du "Pater" nous rendait intelligents, vifs, aux aguets ", c'est évidemment très beau.
- 3/ L'interprétation. Tout ceci n'existerait pas sans le(s) formidable(s) numéro(s) en solo de Flore, tour à tour profonde ou légère, chic ou délurée, drôle ou tragique. Tel un clown changeant de costumes à tour de bras, Juliette se livre à toutes les transformations pour finir en maillot une pièce, gesticulant sans aucun complexe pour le plus grand plaisir d'une salle comble.
Quelques réserves
- Dans cette catégories des seuls en scène, je n'en vois pas sinon auprès de millénials hyper connectés et qui seraient peut-être trop peu concernés par le vent de liberté qui a soufflé en France à la fin des années soixante, mais c'est une autre histoire...
Encore un mot...
Du grand, du vrai théâtre. Une fresque à la Daumier dans laquelle l'héroïne interprète tous les personnages, famille, copains, puissants ou ringards hauts en couleurs, et anime une comédie humaine d'une intimité joyeuse, proche de la nôtre et dans laquelle tout le monde peut se reconnaître.
Une phrase
"Monsieur Varan, prof de lettres, ressemblait à un vieux chiwawa, plein de craie sur sa veste et son visage, il avait dans chaque oreille un bouquet de poils touffus, il aimait le théâtre. Avec lui, je jouais Molière, Racine, Corneille, j'étais la seule de la classe à aimer lui donner la réplique. Un jour je lui fis une surprise : j'avais appris les stances du Cid et les jouais avec une épée imaginaire et des larmes..."
L'auteur
Flore Lefebvre des Noëttes est tombée toute jeune dans la marmite du théâtre grâce à son professeur de lettres. Puis vint la formation au Conservatoire National d'Art Dramatique. En 1989, elle débute une collaboration avec la compagnie Théâtre Machine et joue dans Woyzeck (Büchner), La Cerisaie, Peer Gynt. Elle travaille ensuite avec Bernard Sobel, Jean Pierre Vincent, Magali Léris. Elle joue, entre autres, dans Les Justes, Les Mains Sales, le Songe d'une nuit d'été ; elle entame en 2015 les deux volets de sa trilogie autobiographique, La Mate, L'Enfance, Juliette et Les Années 70, avec plusieurs saisons en tournées. Elle travaille actuellement à la création du spectacle Le Pate(r) ou Comment Faire Vent de la Mort Entière, dernier volet de la trilogie.
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