Journal d’une femme de chambre

Beautés du dégoût social
De
Octave Mirbeau
Mise en scène
Nicolas Briançon
Avec
Lisa Martino
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de Poche Montparnasse
31 rue de la Gaité
75014
Paris
Jusqu'au 8 mai, tous les lundis 21h

Thème

  • Célestine est engagée comme femme de chambre chez Monsieur et Madame Lanlaire, au Mesnil-Roy, dans la propriété du Prieuré en Normandie. Elle consigne dans son journal le récit d’un quotidien avec « toute la franchise qui est en elle et quand il le faut toute la brutalité qui est dans la vie ». 
  • Rien n’échappe à sa perspicacité, elle qui lave le linge sale de ces gens respectables et sait les « bosses morales » de ses employeurs : son maître précédent était un fétichiste de la bottine, “Madame“ est une harpie, avide, snob et méprisante, “Monsieur“ un pauvre bougre libidineux débordé par son hypergénitalité.
  • Quant au palefrenier Joseph, c’est un tortionnaire d’animaux, probablement violeur et assassin d’enfant, voleur à l’occasion, partisan de Drumont, grand lecteur de sa Libre parole, et antidreyfusard furieux…

Points forts

  •  Il faut souligner l’exceptionnelle qualité du jeu de Lisa Martino, qui sait très subtilement tirer parti de ce texte ambigu, caustique et superbe. Car, sans naturalisme excessif et voyeur, mais avec le sens de l’humour et de la dérision qui est le sien, Mirbeau dresse des portraits saisissants et nuancés. 
  • C’est ainsi que la rouée Célestine n’est cynique que pour se défendre contre les souvenirs d’une enfance sordide, coincée entre misère, coups et alcool et fascinée, sans doute en proportion de sa situation d’opprimée sociale, par la canaille irrésistible qu’elle repère en Joseph et qu’elle se dit prête à suivre « jusqu’au crime. »
  • La mise en scène, toute de clairs obscurs, soutenue par le piano de Debussy et pleine de vivacité, confère une grâce mélancolique à ce sombre tableau des mœurs de province.

Quelques réserves

Aucune.

Encore un mot...

  • Comme à son habitude, mais avec plus de talent encore que de coutume, Mirbeau brosse dans ce roman de la condition domestique, une satire des moeurs bourgeoises de la Belle Époque, faisant de la bassesse des petites gens une conséquence de ce dérèglement social. 
  • Le Journal de Célestine peint une société avide, brutale, mesquine, et hypocrite dans son ensemble. Le portrait du palefrenier Joseph, qui pourtant la fascine, dit assez que le Journal d’une femme de chambre ne dénonce pas seulement la bourgeoisie triomphante de la Belle Epoque. Il aborde toutes les catégories sociales, démontant pièce par pièce un jeu social, où règnent toutes les dominations, qu’elles soient le fait des notables ou des palefreniers. Il traque et révèle ce qui se dissimule derrière les règles sociales et mondaines, et, sous le vernis des apparences, les turpitudes de tous.
  • Cela ne l’empêche nullement, ce faisant, de témoigner d’une empathie véritable pour les misérables et les souffrants de ce monde. On peut aussi lui reconnaître d’avoir dit, avant beaucoup, le martyr des enfants violés, le crime demeuré impuni commis sur la petite Claire sonnant comme une réponse à l’assassinat de la Petite Roque de Maupassant.

Une phrase

« Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. »

L'auteur

  • La première mouture de ce roman a paru en feuilleton dans L’Écho de Paris, du 20 octobre 1891 au 26 avril 1892. A cette époque Mirbeau, journaliste,  Chroniqueur, conteur, critique d’art influent, romancier et dramaturge, rallié depuis peu à l’anarchisme, traverse une grave crise morale. Aussi attendra-t-il presque neuf ans avant de publier ce roman en volume, en juillet 1900, après l’avoir complètement remanié, et avoir situé le récit pendant l’affaire Dreyfus, dans laquelle il s’est engagé avec passion. 
  • Œuvre la plus célèbre de Mirbeau, maintes fois rééditée dans de multiples collections de poche, traduite dans plus d’une vingtaine de langues Le Journal d’une femme de chambre lui assure une célébrité durable et vaguement scandaleuse.
  • Cette œuvre, qui invite le spectateur à pénétrer dans les coulisses des nantis, se prête admirablement au spectacle, qu’il soit cinématographique - comme avec le film de Bunuel (1964), celui de Benoît Jacquot (2015) - ou ici sur la scène d’un théâtre. 
  • Avec Célestine, il investit les alcôves et les écuries, et découvre les saletés secrètes qu’on y cache. Ce journal n’est pas un roman de mœurs, mais bien un réquisitoire, un roman de la dénonciation, du dégoût social et de la souffrance : il y a de l’empathie et même de la tendresse chez Mirbeau pour les victimes, qu’elles le soient de leurs pulsions (il a lu les travaux des psychiatres de son temps) ou de l’organisation sociale.

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