LE TOUR DU THÊATRE EN QUATRE-VINGTS MINUTES
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Thème
Le célèbre chroniqueur à l’écharpe rouge enflamme les planches du théâtre de Poche et soulève l’enthousiasme des amoureux de l’art dramatique réunis ce soir-là, dans ce petit bijou où règnent toujours l’esprit et la culture du regretté Philippe Tesson.
En préambule, Christophe Barbier, en véritable homme de l’art, traite de l’excitante condition du comédien. Soit avec humour, par exemple à propos des trous de mémoire et des chuchotements secourables du souffleur. Soit avec émotion - « hélas au théâtre il faut mourir aussi ! » - ou encore avec reconnaissance - « Parfois les applaudissements se mettent à l’unisson et l’approbation se fait ovation » - d’ailleurs « Les applaudissements, c’est le salaire, le rappel, c’est le pourboire. »
Christophe Barbier fait ainsi revivre avec brio trois siècles de créations, d’interprétations et de passions, de Molière à Jean-Paul Sartre, d’Edmond Rostand à Octave Mirbeau, n’hésitant pas à mélanger alexandrins, anaphores et hémistiches à certaines contrepèteries de collégiens pastichant Corneille - « Le désir s’accroit quand l’effet se recule » - devenant de siècle en siècle « Le désir s’accroit quand les fesses reculent », mais restons sérieux.
A tout seigneur tout honneur, Barbier braque d’abord les projecteurs sur le “siècle d’or“ du théâtre français en évoquant sur un mode primesautier le rôle essentiel des Racine, Molière, Corneille et autres Marivaux, dans la production théâtrale du XVIIe siècle, et les liens qui unissaient les auteurs et le pouvoir royal.
- Et de fil en aiguille, notre Barbier passe au peigne fin les pièces du répertoire et les grands évènements qui ont brûlé les planches, jusqu’au paroxysme de la bataille d’Hernani (1830) et à la chute aux abîmes de l’Odéon en 68. Le facétieux Barbier rappellera ici le rôle peu glorieux joué par de très jeunes et ambitieux militants « extrémistes » d’Ordre nouveau, Alain Madelin et Patrick Devedjian… encore de la politique…
Points forts
Virtuosité du comédien, qui joint habilement le geste à la parole. L’infatigable héros, dans une forme olympique, nous offre un seul en scène exceptionnel.
Intérêt du discours : on ne perd pas une miette de ces anecdotes, bien que certaines soient un peu réchauffées, avec leurs répliques attendues ou anticipées par un public cultivé assis au premier rang. Mais d’autres “événements“ constituent des morceaux de bravoure accomplis par notre conteur.
C’est ainsi que, toujours aussi virevoltant, il nous révèle entre deux entrechats quelques anecdotes historiques amusantes, loin d’être insignifiantes :
ainsi à l’époque des classiques, la scène était-elle encombrée de meubles pour accueillir les nobles invités : plus assez de place pour les comédiens donc, jusqu’à ce qu’un duc – désireux de voir jouer une « jeune protégée » (mademoiselle Camouche) et le fameux comédien Lekain – fasse enlever bancs et fauteuils. Place aux comédiens, exclusivement ! Une première qui perdurera.
au XVIIIe siècle, les comédiens n’étant pas payés, il y avait la profusion d’aristocrates fortunés et néanmoins acteurs, et de maitresses soubrettes par protection ; il faudra attendre Beaumarchais et son fameux « Vous êtes des voleurs ! » pour voir les acteurs associés financièrement aux recettes.
- On apprécie également la manière dont il revisite l’histoire de bataille du Cid et le rôle l’Académie française, intraitable sur de la règle des trois unités ! Le pauvre Corneille sera obligé d’en rabattre et de se réfugier dans de fades tragédies religieuses. On passera vite sur la suite, à l’instar de Boileau (« Agésilas, hélas ! Attila hola ! »), jusqu’à l’arrivée de Jean Racine, qui devint le poète à la mode et même l’historiographe du Roi Soleil. Louis XIV voulut le récompenser avec ces mots : « Il vous faudra abandonner le théâtre pour embrasser une carrière plus sérieuse. » Barbier commente alors : « Racine avec Louis XIV, si vous voulez, c’est un peu comme TF1 avec Macron aujourd’hui… en pire ! ». Le métier de journaliste reprend le dessus. Au passage on saluera quelques trouvailles historico-littéraires de l’auteur quand il dit « Corneille meurt en 1684. En fait Corneille est mort en 1670, trois ans avant Molière. Il fut tué en duel par Jean Racine, l’année du duel littéraire entre Tite et Bérénice ; cette dernière remporta la victoire haut la main. Le public réclamait des héros en dentelle, “avec de la féminité“ ! »
Quelques réserves
Ce très rapide tour du théâtre se termine avec la chute de Jean Louis Barrault, le triste épisode de l’Odéon (mai 68) et Les Paravents de Jean Genet. C’était il y a donc plus de 50 ans.
- Mais on pouvait espérer plus actuel et plus flamboyant, à l’image de notre tonitruant Barbier de Montparnasse. Car ici, point de Michel Bouquet ni de Jean Anouilh, de Montherlant pas davantage, et à peine un mot d’un Sacha Guitry à la voix inimitable (malgré le talent du comédien), il faut se contenter d’un clin d’œil à Jean Giraudoux et un autre à Claudel. De la même manière l’autrice du Château en Suède ou le créateur de Rhinocéros méritaient bien un coup du Brigadier, et que dire d’Alexis Michalik ou de Florian Zeller. Quand c’est bon, on en redemande !
Encore un mot...
Il faut reconnaître à Christophe Barbier de la sincérité et son corollaire, l’engagement. Hors les planches, il a souvent défrayé la chronique par ses engagements politiques notamment à propos sur la question migratoire ou des collusions entre les média et la politique. Ses parti pris l’ont désigné souvent à la vindicte des chroniqueurs éditorialistes ou simplement internautes, mais l’ancien directeur de L’Express, jamais très éloigné des arcanes du pouvoir, a plus d’un tour dans son sac, cet érudit passionné, doté d’un solide sens de l’humour, a tout ce qu’il faut pour nous faire partager son amour du théâtre.
On verra ainsi comment l’auteur met en lumière le rôle essentiel du théâtre sur le plan politique aussi bien que religieux. C’est d’abord Le Cid, qui permet à l’autorité de l’Académie française de s’installer et de prospérer, puis Le Misanthrope qui a été autorisé et encouragé par le roi pour asseoir son autorité. Il fallait dire du mal de ces courtisans trop arrogants, de même que les religieux (trop irrespectueux) qui se font rabrouer dans Tartuffe. Mais Louis XIV intervient, suspend, interdit, censure. L’auteur nous rappelle que le Roi-Soleil adresse aux corporations artistiques une injonction bien sentie : « l’État c’est moi, l’ordre social c’est moi aussi, alors soyez loyaux et je protégerai vos privilèges. » Le théâtre, très apprécié à l’époque tant par le peuple qu’à la cour, est l’instrument du pouvoir royal ou impérial - nous conte l’auteur - évoquant précisément les relations de Bonaparte et plus tard de l’empereur avec le grand Talma. Celui-ci instaurera une Comédie impériale se produisant sur les champs de bataille.
Barbier n’élude donc pas les grandes questions, ainsi la traditionnelle : « Qu’est-ce que le théâtre ? » Fort à propos, Christophe Barbier convoque deux comédiens, deux témoins contemporains :
Laurent Terzieff d’une part, qui déclare : « Tant que je n’aurai pas de leçons à donner à l’auteur que je monte, je resterai son débiteur » ;
et surtout le constat d’Antonin Artaud à propos du théâtre de la cruauté. « Le théâtre, comme la peste, dénoue des conflits, dégage des forces, déclenche des possibilités, et si ces conflits ou ces possibilités et ces forces sont noires, ce n’est de la faute ni du théâtre ni de la peste mais de la vie. »
Une phrase
« Le bruit circule dans Paris qu’il existe une pièce géniale dont le roi prive son peuple, une pièce réservée aux aristocrates. Paris gronde, Louis XVI comprend qu’il doit céder, sinon il va passer pour un censeur ; il négocie ; il obtient quelques corrections : il exige que l’action retourne en Espagne. Ainsi, le 27 avril 1784, c’est sous son nouvel intitulé Le mariage de Figaro que la pièce est créée par la Comédie-Française à l’Odéon, où elle est installée depuis deux ans. C’est un triomphe on rit, on rit, on rit à l’acte cinq entendant Figaro dire à l’adresse d’Almaviva, son maître : “Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus !“ Le peuple rit, les bourgeois rient, même les aristocrates rient… »
L'auteur
Bardé de diplômes (Maîtrise d’histoire, Normale Sup, ESCP), Christophe Barbier a commencé sa carrière comme journaliste au Point, sur Europe 1, puis à L’Express, dont il assuma la direction de la rédaction de 2006 à 2016. Il émarge également sur LCI et BFM TV.
Parallèlement, Christophe Barbier est comédien, metteur en scène et auteur dramatique. A 17 ans déjà il incarnait le rôle de Cyrano, puis il crée et dirige une troupe de théâtre avec les élèves de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, et monte une soixantaine de spectacles et de pièces de Molière, Shakespeare, Labiche, Feydeau, Beaumarchais et aussi de Guitry et d’Anouilh. Il joue aussi dans des créations d’auteurs contemporains comme Yasmina Reza, Brisville et Obaldia.
- Barbier a écrit plusieurs pièces, toutes jouées : La guerre de l’Élysée n’aura pas lieu, Une histoire de la Comédie Française, Les maths et moi au Théâtre du Rond Point, et Le Cabaret mai 68 au Théâtre de Poche. On lui doit aussi Le dictionnaire amoureux du théâtre. Ce jeune artiste dramatique a 57 ans. Qui mieux que lui ?
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