Six personnages en quête d’auteur

La pièce de « l’instant éternel » pour l’éternel retour du théâtre
De
Luigi Pirandello
.
Mise en scène
Emmanuel Demarcy-Mota
Avec
Hugues Quester, Alain Libolt, Valérie Dashwood, Sarah Karbasnikoff et alii.
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Théâtre de l’Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008
Paris
01 42 74 22 77
du 19 mai au 13 juin, à 15h00, 18h30 ou 20h00 selon les jours (durée : 1h50)

Thème

 • Une pièce est en répétition : manifestement, elle manque de souffle, d’inspiration et de talent à tous les niveaux, du metteur en scène à l’éclairagiste. C’est un théâtre installé dans son petit confort, qui repose sur de vieilles ficelles, que les audaces tentées ici ou là ne parviennent plus à renouveler.

• C’est alors que se présentent six personnages, emmenés par le Père, la Mère et la Belle-fille. Ils vont mettre cul par dessus tête ce spectacle insignifiant, et ramener au premier plan les questions essentielles qui structurent le théâtre : les triangles personnage-comédien-rôle et fiction-réalité-vérité; l’éternité des personnages et la mortalité de l’auteur...

• La troupe officielle s’insurge, les six perturbateurs ne sont pas en reste, et le Directeur en perd son latin...

Points forts

 • La disette théâtrale de ces derniers temps peut sans doute fausser le regard critique, car le plaisir de retrouver une (vraie) salle peut susciter la plus grande indulgence envers le spectacle qui se donne sur scène (qu’importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse...).

• Mais on se tromperait en pensant que c’est le cas pour cette adaptation de l’une des plus célèbres pièces de L. Pirandello ; du reste, Emmanuel Demarcy-Motta n’a pas choisi un traitement des plus primesautiers : ici, tout est sépulcral, éprouvant, mortifère et désespéré. Tenues, visages fardés et blafards - à l’instar du Père, affichant le rictus tragique du Joker sur le masque mortuaire de Michaël Jackson (dernière période) - nous sommes « au cœur de la nuit ». Les éclairages parviennent (ce n’est pas rien), à renforcer cette noirceur et le dispositif, qui rappelle la place d’une exécution, où trône une plate-forme évocatrice d’un gibet - nous installe dans un espace et une ambiance où le glauque se nourrit du désespoir de personnages errant dans les limbes et les affres de l’indétermination.

• La fragilité du statut de ces personnages n’en met que mieux en valeur les performances et l’implication des comédiens. On saluera l’interprétation d’Hugues Quester, familier de performances théâtrales, ici totalement habité par son personnage, au point de forcer parfois un peu systématiquement le ton sur les dernières syllabes. Face à ce « comédien-monstre », Valérie Dashwood (qui, campant madame Lépine, sauvait un peu Paris Police 1900 sur Canal Plus : cf. chronique séries) fait mieux que soutenir la comparaison, en combinant puissance, expression et sensibilité. 

Quelques réserves

• Plus qu’un point faible, c’est un regret mêlé à de colère et d’incompréhension : voir l’Espace Cardin contraint de respecter des normes drastiques, avec tant (et sans doute trop) de sièges vides privant des spectateurs de cette œuvre majeure, alors qu’à la sortie du spectacle et bien après le début du couvre-feu, des terrasses restaient bondées et des précautions élémentaires non respectées, voilà qui en dit long sur le poids relatif du monde créatif par rapport aux limonadiers, et sur la capacité des autorités à se gargariser et se payer de mots à propos de l’exception et de l’excellence culturelles.

Encore un mot...

Une pièce qui donne le vertige et fait honneur au théâtre, qu’on a cru moribond, et qui renait, pour de bon, enfin !

Une phrase

Le Directeur au Père : «  Je n’ai pas de temps à perdre avec les fous ! » 
Le Directeur à la Belle-fille : «  Il faut vous contenir, mademoiselle ! »
Le Directeur aux six personnages : « On est au théâtre... La vérité jusqu’à un certain point. »

L'auteur

• Luigi Pirandello (1867-1936) est l’un des plus importants écrivains italiens de la première moitié du XXe siècle. À la fois romancier, essayiste, novelliste, dramaturge (43 pièces) et poète, il reçoit le prix Nobel de Littérature en 1934. 

• Cette année célèbre le centenaire de la présentation de son œuvre-phare au public romain du teatro Valle. On se doute bien que dans une Italie accablée par une après-guerre difficile, l’accueil réservé à cette « bombe théâtrale à fragmentation » - qui interrogeait et déconstruisait les certitudes du genre - fut des plus contrastés : incompréhension et fureur des “Anciens“ qui chahutent la première à Rome ;  enthousiasme et soutien inconditionnel des “Modernes“, qui assurent le triomphe de la pièce à Milan. Moins d’un siècle après le scandale provoqué par Victor Hugo, l’Italie tenait sa Bataille d’Hernani...

• C’est dans une ambiance nettement plus apaisée et consensuelle que cette version de Six personnages fut présentée pour la première fois il y a vingt ans au Théâtre de la Ville. Depuis, elle a fait le tour de la France et du monde, et, après 294 représentations, son succès ne s’est jamais démenti. La proximité précoce de Pirandello avec le fascisme et le Duce au pouvoir en Italie n’a pas (encore) retenti sur la réception de son œuvre...

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