225 000

Tant de « femmes-Kleenex » victimes d’« amoureux passionnés »…
De
Nicole Sigal
Mise en scène
Guillaume Vatan
Avec
Magali Bros, David Legras, Mathias Marity, Katia Miran
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre au Lard
75001
Paris
01 42 78 46 42
Jusqu’au 7 octobre, du jeudi au samedi à 19h15

Thème

  • Sur un plateau au décor minimal (moquette pour symboliser l’espace domestique, une table en formica et deux chaises, une niche-cuisine en fond de scène), quatre comédien-ne-s interprètent divers scenarii de violences conjugales, certains pouvant aller jusqu’à la mort des femmes battues.
  • Entre les séquences, celui des comédien-ne-s resté-e sur scène égrène la litanie des victimes de cette effarante manière « d’aimer de haine », et dépose le long du plateau une feuille répertoriant le crime, d’ »Angélique, 22 ans, abattue avec sa fille Eva, 3 ans » à « Valérie, 52 ans, égorgée » ...

Points forts

  • Le matériau utilisé pour l’écriture de la pièce est de tout premier ordre : Nicole Sigal l’a composée à partir de témoignages, de dépositions, bref de paroles de victimes, mais aussi de compagnons violents, voire meurtriers. Les situations comme les dialogues, sont de ce fait une force qui tient à leur brutale authenticité, à la subtilité de leur agencement, à l’engagement des quatre acteurs dans l’interprétation du texte, et à une mise en scène épurée, sans artifice inutile au regard de la gravité du sujet.
  • Evidemment, on peut apprécier ce spectacle pour de “mauvaises“ raisons. Par exemple, la curiosité malsaine pour des faits-divers tragiques, et de fait, certains sont “gratinés“, comme ce “parfait honnête homme“ qui, ne pouvant supporter la rupture, se met à couper en deux à la tronçonneuse tout son mobilier, et finit par tuer sa fille. Ou encore, le sentiment un peu lâche et rassérénant que, fort heureusement, ce n’est pas comme cela que ça se passe chez soi… Or ce que montre bien la pièce, c’est qu’aucun milieu social n’est à l’abri du phénomène, du minable blaireau qui dépense au bistrot du coin la paye de sa femme (qu’il rembourse en coups) au “gynécologue des vedettes“ violeur en série récemment jugé et condamné. 
  • Mais le plus important tient aux lignes de force que 225 000 met en avant d’une manière nullement didactique :
    - l’effarante immaturité / puérilité des conjoints violents, pour qui « les coups, c’est pour rire, on en meurt pas… » ; 
    - l’incapacité foncière à assumer leurs actes (du déni au report de la responsabilité sur la victime, en passant par l’auto-apitoiement) ;
    - et toujours et partout, la quête de pouvoir et d’emprise sur l’autre, un sentiment de possession totalement déplacé envers elle, sa dévalorisation permanente, son enfermement et sa culpabilisation, bref, tout un processus de “phagocytation“ instauré par ceux qui établissent un rapport de domination par la parole et/ou la violence physique.

Quelques réserves

  • Il n’y en a guère, si ce n’est peut-être une réserve sur l’air psalmodié en début et fin de spectacle par les comédiens. Un peu artificiellement plaqué, il n’appuie pas, voire contrebalance l’intensité dramatique indiscutable de la pièce.

Encore un mot...

  • Voilà un spectacle très utile, mais pas forcément agréable. Du reste, comment pourrait-il l’être, quand il dénonce avec talent et vigueur la situation de ces quelque 225 000 personnes en sursis, victimes de violences conjugales, et la centaine de mortes chaque année dans l’Hexagone ? 
  • Effectivement, ce n’est pas franchement agréable de se voir rappeler toutes celles qui furent tuées avec une arme à feu, égorgées, brûlées vives, battues à mort, étranglées, défenestrées, voire empoisonnées… mais c’est aussi nécessaire que salutaire. 
  • Dans cette perspective, le théâtre joue un rôle social de premier plan, quand il peut - sans doute bien mieux que les incantations, les sermons et la “fait-diversification“ médiatique de ces violences - dénoncer l’inacceptable, et ainsi contribuer à l’extinction du fléau. Du moins peut-il remettre en cause une « tolérance sociale » qui fut longtemps de mise (cf le fameux « S’il ne te bat pas, c’est qu’il ne t’aime pas ») devant des crimes complaisamment placés sous la rubrique « passionnelle » par dévoiement du langage.

Une phrase

L’officier de Police : « Des hurlements de porcherie. On sonne. Silence de monastère… »

La narratrice : « Le domicile conjugal, c’est plus dangereux qu’un parking souterrain… »

Le commissaire [à la victime de violences] : « Ne l’énervez pas encore plus en allant porter plainte ! »

Le petit ami [devant le corps inanimé de sa petite amie] : « ça fait une heure que j’t’attends, j’ai plus d’batterie [à mon portable] à cause de toi ! »

L'auteur

  • Nicole Sigal est romancière et dramaturge. Ses écrits ont été publiées notamment chez Denoël, L’Amandier, ou encore L’avant-scène. Parmi la dizaine de pièces qu’elle a écrites, Femmes-Kleenex (paru chez Triartis) a fait l’objet de cette adaptation, présentée pour la première fois au Off d’Avignon en 2019. On ne saurait trop vous recommander la lecture de cet ouvrage.
  • C’est également une plasticienne dont les tableaux sont exposés tant à Paris qu’à Kyoto.

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