Elle est là

Toute la profondeur de l'univers de Sarraute. Magistral
De
Nathalie Sarraute
Mise en scène
Agnès Galan
Avec
Bernard Bollet, Nathalie Bienaimé, Gabriel Le Doze et Tristan Le Doze.
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Manufacture des Abbesses
7 rue Veron
75018
Paris
0142334203
Jusqu’au 29 décembre: du mercredi au samedi à 19h.

Thème

Elle est là est la première pièce que Nathalie Sarraute a écrite pour le théâtre. L’abstraction apparente du texte – les quatre personnages n’ont pas de nom et se distinguent par une sorte de matricule « H1, H2 », etc – disparaît rapidement pour plonger le spectateur dans un conflit bien réel entre le personnage principal et sa collaboratrice-associée qui est aussi son amie. Ce conflit et sa violence sous-jacente mais bien palpable naissent d’un fait aussi dérisoire qu’ordinaire: l’associée de H2 ne semble pas adhérer à l’idée qu’il lui expose. La chose est tellement inconcevable pour lui qu’elle le transforme peu à peu en tyran obsédé par la remise en question de son idée, qu’il considérait pourtant comme intouchable.

Points forts

- Une lecture à plusieurs niveaux. De l’individuel au collectif, la pièce montre avec un texte simple et insolite à la fois, les dérives tyranniques de ceux qui, sans cesse, cherchent à imposer leurs idées aux autres.

- La force du texte, les mots et la langue particulière de Nathalie Sarraute immergent le spectateur dans un univers à la fois lointain et humainement proche.

- Le jeu des acteurs. Le personnage de l’associée « F » est subtilement interprété dans un mélange d’indifférence et de lassitude face aux attaques répétées et à la défaite qu’elle sait inéluctable, de son ami. H2 est joué dans toute sa tourmente et son angoisse, sa fragilité et son obsession.

Quelques réserves

La première scène, par ses hésitations, est déroutante. On ne sait à quoi s’attendre et on redoute d’avoir à faire à une pièce trop cérébrale. Mais cette inquiétude est vite balayée par une mise en scène rythmée au plus près du texte.

Encore un mot...

Ce huis-clos si singulier de Nathalie Sarraute touche en réalité à l’universel. Qui n’a pas subi, dans sa vie privée ou professionnelle, cet archétype de personnage intolérant, autocentré et fatalement en proie, un jour ou l’autre, à la paranoïa dont il est impossible de sortir ? Le refus de tout prisme psychologique, le rejet de la psychiatrie témoignés par le personnage central sont toujours présents chez ces grands névrosés... C’est là que réside toute la profondeur de cette pièce : l’enfermement dans les « idées », la « raison » et l’abstraction les mènent inexorablement à l’isolement affectif et à l’incapacité à nourrir des relations altruistes. Sarraute montre comment ces tyrans, qu’il s’agisse de fous ordinaires ou de dictateurs, ont perdu l’accès aux autres et à leurs propres affects. La méfiance et la violence sont omniprésentes chez ce personnage à l’égard de tous ceux qu’il considère comme de misérables « porteurs d’idées » qu’il faudrait forcer à penser «bien», c’est-à-dire comme lui. En proie à la souffrance et à l’angoisse, H 2 finira seul, sans échappatoire à la prison mentale qu’il s’est créée.

Une phrase

L’associée à H 2 :

Ah parce que je ne réfléchis pas…jamais ? J’ingurgite comme une oie. Il n’y a que vous… Vous, vous « pensez »…Vous, vous « savez ». Vos « vérités », On ne les « ingurgite » pas, elles s’imposent, voyons, on les « reçoit ».

L'auteur

Nathalie Sarraute (Natalia -Natacha Tcherniak) est née le 18 juillet 1900 en Russie., Femme de lettres française d'origine russe, elle devient l’une des figures du Nouveau Roman avec L'Ère du soupçon, en 1956. Fille d’une famille issue de la bourgeoisie juive aisée et cultivée, elle part vivre à Genève, puis à Paris. Plus tard, elle étudie à Oxford, à Berlin, puis à Paris. Elle devient avocate au barreau de Paris et elle épouse en 1925 Raymond Sarraute, également avocat. Ils auront trois enfants : Claude (née en 1927), Anne (1930-2008) et Dominique.

Parallèlement, elle écrit en 1932 ses premiers textes. Tropismes sera publié en 1939 et salué par Jean-Paul Sartre et Max Jacob. En 1940, Nathalie Sarraute est radiée du barreau à la suite des lois anti-juives. Elle se consacre alors à la littérature. Elle héberge Samuel Beckett, recherché par la Gestapo pour ses activités de résistance. En 1947, Jean-Paul Sartre écrit la préface de Portrait d'un inconnu, qui sera publié en 1948. La publication de Martereau en 1953 chez Gallimard marquera le début de son succès et en 1964, elle reçoit le Prix international de littérature pour son roman Les Fruits d'Or. Elle commence à écrire pour le théâtre : Le Silence, puis Le Mensonge, Elle est là et Pour un oui ou pour un non, pièces saluées par la critique. Simone Benmussa adapte son autobiographie Enfance pour la scène, à Paris puis à New York, sous le titre Childhood (1985). Elle réalise aussi le film Portrait de Nathalie Sarraute, avec Nathalie Sarraute, présenté à Cannes de 1978. 

Alors qu’elle écrivait une nouvelle pièce, Nathalie Sarraute meurt à Paris le 19 octobre 1999.

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