
Marius
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Thème
Marius aide son père César à tenir une boulangerie-salon de thé sur le Vieux port. Il y croise les vieux amis du patriarche : Panisse, Escartefigue, Monsieur Brun le douanier et la jolie Fanny.
Mais il est mélancolique et renfrogné, quasi-mutique, comme rongé par quelque secret et son père (l’excellent Jean Ruimi) lui reproche avec éloquence sa « figure de pain cuit.» • Secrètement amoureux de Fanny, il est dévoré par l’envie de courir le monde, de prendre la mer et de partir, loin, ailleurs, une « folie » qui l’empêche de se déclarer. Jusqu’à la proposition que Panisse fait, sous ses yeux à la jeune fille, qui l’indigne et le fait sortir de sa réserve.
Points forts
La simplicité de l’intrigue comme du propos qui fait les vraies tragédies. Marius est tenaillé par un dilemme : sa loyauté à son père, son amour pour Fanny d’un côté, et son puissant désir de mer et d’évasion de l’autre, ce désir, si flou qui habite chacun, de « réussir sa vie », ou au moins de la vivre.
Un magnifique portrait de jeune fille ferme et décidée, malgré la passion qu’elle éprouve et les évidentes assignations de genre qui sont à l’œuvre dans un texte presque centenaire : le désir de liberté du garçon, l’empire de l’amour pour la fille. Elise Douyère nous livre ici une Fanny toute en retenue et en sobriété, très actuelle.
Mais, grâce à d’habiles et convaincantes actualisations - le riche maître voilier devient un concessionnaire de scooter pendu à son portable, le veuf est divorcé, la marchande de coquillage tient un salon de coiffure, le bar est une boulangerie-salon de thé menacée par Mac Do et le capitaine de ferry-boat un vendeur d’oiseaux dont il connait tous les noms -, cette distance temporelle n’est au fond pas très gênante. D’autant qu’elle est partiellement neutralisée par ce qui dans le spectacle affleure de la réalité sociale vécue par les acteurs.
L’esprit de la langue de Pagnol et sa truculence sont parfaitement conservés. L’énumération des oiseaux exotiques que vend Escartefigue est un moment réjouissant, tout comme la scène canonique de la partie de carte, brillamment transformée.
Le naturalisme cinématographique du décor arrache en outre cette épopée marseillaise à tout folklore de pacotille.
Quelques réserves
Chez Pagnol, Marius est un poète que la perspective de “l’ailleurs“ qu’il entrevoit dans le port de Marseille, ses parfums et ses couleurs, enivre. Cette dimension-là est un peu perdue ici, au profit d’une angoisse très XXIe siècle, dont on saisit mal les contours.
Est-ce cela, ou le jeu des comédiens ou le rythme d’une mise en scène qui fait de ce Marius un drame social ? L’émotion peine à affleurer.
Encore un mot...
Ce texte de théâtre fut mis en scène pour la première fois en mars 1929 sur la scène du Théâtre de Paris, et donna lieu à deux films dont le premier, réalisé par Alexandre Korda sous la houlette de Pagnol lui-même, est l’un des premiers films français du cinéma parlant, et le second, Marius, fut réalisé en 2013 par Daniel Auteuil. Plus combien de représentations, d’adaptations, de trahisons ?
Des ateliers assurés par Joël Pommerat à la Maison Centrale d’Arles entre 2014 et 2022 est née une troupe, la Compagnie Louis Brouillard, avec laquelle il a imaginé ce Marius. Le spectacle réunit des comédiens ayant découvert le théâtre en milieu carcéral et des interprètes réguliers de sa compagnie. Sachant cela, le spectateur accueille avec une attention autre les échanges des personnages sur leur goût ou leur absence de goût pour l’ailleurs. Entre celui qui en trente ans n’a jamais quitté Marseille et les rêves de Marius, il y a un univers mental, ou peut-être pas…
Une phrase
César [à Escartefigue] : « Tout le monde le sait dans Marseille que tu es cocu, même toi. »Le même [à Monsieur Brun] : « C’est pas un défaut d’être lyonnais, non mais c’est une malformation…
- « Si on peut plus tricher avec ses amis, avec qui on triche ? »Fanny : « Je te laisse partir alors que pour tout au monde je voudrais que tu restes, alors tu ne me demandes rien. »
L'auteur
L’œuvre du dramaturge et poète Marcel Pagnol fut tout entière dédiée à la Provence et aux mœurs et au parler méridionaux. Célèbre dans de nombreux pays, il fut élu à l’Académie française à 51 ans, le 4 avril 1946.
A cette occasion, François Mauriac nota dans son Bloc-notes : « Pagnol, le seul à ne pas avoir de socle. Il semble s’être glissé dans cette antichambre de l’éternité en passant par la fenêtre, le seul qui sente l’air du dehors », une remarque qui fait résonner encore plus intensément l’expérience théâtrale de Pommerat et de ses comédiens.
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