"Juste un mot", le billet d'humeur de Pierre Bénard : Délicates successions
J’avoue que le français n’est pas une langue facile. On écrit : « Les années se sont suivies ». Mais il est bon d’écrire qu’ « elles se sont succédé », sans l’e du féminin ni l’s du pluriel au participe passé.
Combien de coups de règle, sur le bureau voire sur les doigts, dans les classes d’autrefois, en blouses noires ou grises, ont consacré cette règle délicate !
Tout est affaire de complément. « Suivre » commande un complément d’objet direct, car « les années suivent les années ». « Succéder », en revanche, entraîne un complément d’objet indirect, car « les années succèdent aux années ».
On écrira d’une femme qu’ « elle s’est donné du mal », car ce qu’elle s’est donné, l’objet direct du verbe, c’est le mal (masculin), non elle-même (féminin). Le pronom réfléchi qui le désigne, le « se » élidé en « s’ », est ici complément indirect, répondant à la question « à qui ? » Si « elle se donne », en revanche, comme on disait dans les romans, eh bien ! « elle se sera donnée ».
« Les années s’étaient succédé, et elle qui s’était donné tant de mal pour les vaincre découvrait l’inutilité des efforts surhumains qu’elle s’était imposés, mais dans lesquels longtemps elle s’était complu. »
A tout prendre, ce n’est pas sorcier.
Mais c’est genré, me dira-t-on.