
Médecine générale
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Thème
Le narrateur enterre son frère, l’anthropologue revient de trente ans d’exil volontaire en Amazonie, le musicien surdoué est une rencontre de hasard et de train :
Mathilde, l’anthropologue, ne comprend plus les usages de son pays ;
Pierre, le surdoué, est un orphelin errant ;
enfin le narrateur, qui n’a pas endossé le testament moral de son frère mort, est hanté par des questions religieuses, notamment celles relative à la très mystérieuse Trinité.
Ces trois endeuillés, plus ou moins inadaptés et tout à fait égarés, décident de s’installer ensemble dans la maison de famille quasi abandonnée de l’anthropologue, et ce afin de « tout reprendre à zéro », et pour soigner ensemble leur mal de vivre.
L’abandon dans lequel ils trouvent la vieille maison est à l’image de celui qu’ils vivent et qui stimule leur désir de faire quelque chose ensemble, de faire vivre leur petite communauté sur le modèle d’une utopie rêvée, autour du projet insaisissable du narrateur.
Points forts
Le texte, d’une précision clinique alors même qu’il est parfaitement exempt de tout psychologisme, est traversé par les brefs éclats d’un humour noir et élégant et admirablement servi par l’interprétation tendue de Laurent Poitrenaux et l’acuité de sa diction ciselée.
L’espace scénique, très dessiné par de grands panneaux blancs et la présence d’un piano à queue est opportunément ouvert sur le monde par des moments vidéos qui en complexifient la respiration.
On s’accroche à quelques jolis passages, trop vite enfuis, comme ces considérations sur la façon très profondément différente dont les Jivaros et l’anthropologue se saisissent d’un paysage et ce que ce mot veut dire pour eux, ou le rétrécissement de la Terre.
Quelques réserves
Mais les réserves qu’on peut émettre, et qui tiennent peut-être aussi à l’insuffisance de l’autrice de ces lignes, sont en miroir des qualités évoquées. Riche et protéiforme, le texte est aussi d’une confusion telle qu’il amène à penser qu’il n’était pas fait pour le théâtre, même un théâtre “nouveau“.
Ces personnages qui parlent ne se parlent qu’à peine, ils n’échangent pas grand-chose ce dont témoignent des répliques qui n’en sont qu’exceptionnellement, la plupart des paroles étant proférées sans obtenir de réponse, sans rencontrer d’écho véritable (cf. extraits plus bas). Et c’est cela - bien plus que l’absence d’intrigue ou de narration - qui ennuie : la déliaison absolue de ces individus qui se lancent des aphorismes brillants, des formules percutantes sans rien créer d’autre qu’une agitation (que soulignent d’ailleurs leurs gesticulations gratuites, leurs déshabillages et leur rhabillages, l’escalade du piano, la manipulation des magnétophones et d’un tableau de régie son) laisse perplexe et froid. Pourquoi tant de constance dans le déplacement incessant de ces meubles, si ce n’est pour donner un dynamisme factice à un texte qui est tout sauf dramaturgique ?
On ne saisit pas bien en quoi consiste le “projet“ du narrateur, ce que les personnages espèrent ou pas ensemble, ni pourquoi et en quoi leur tentative échoue. Tout ceci, qui va trop vite et se dissout dans l’apesanteur de la scène de théâtre, semble un peu vain et vide.
Encore un mot...
- Il s’agit ici, on l’entend, de parler du monde sans donner de leçon, d’aborder la complexité des choses avec poésie, de proposer davantage de questions que de réponses.
Une phrase
- « Heureux les pauvres en esprit, ils resteront pauvres, mais deviendront heureux. »
- « Le ciel n’est pas vide, il est horriblement plein d’autres choses que nous. »
- « On ne devient pas quelque chose, on devient tout court. »
- « Ne te nourris pas de l’illusion que tu vends aux autres. »
L'auteur
Dramaturge, et traducteur (il a traduit la Bible), auteur de livrets d’opéra, Olivier Cadiot est avant tout un poète et un romancier salué par la critique, et sujet de plusieurs travaux universitaires.
Médecine générale, gros opus de plus de 400 pages, a été publié chez POL en 2021, et la pièce a été créée en 2023.
Commentaires
Que dire de « médecine général » d’Olivier Cadiot au théâtre de la ville (Abesses).
Un sentiment de frustration face à un texte une interprétation et une thématique époustouflante, une écriture vive et un humour décapant.
D’abord l’impression d’avoir assisté à une lecture scénique plus qu’à un spectacle théâtral qui commence d’ailleurs dès la première scène par une lecture sur fond de piano, une des seules scène où l’émotion des suites du décès familial transparaît.
Porté par un trio d’acteurs de haut vol sous l’égide de de Laurent Pointrenaux explosif, ce collage textuel connaît des moments sublimes comme la trinité que miment les acteurs avec talent.
Sinon un long ennui que la mise en scène et les artefacts des accessoires marqués par une fascination pour les équipements d’enregistrement et leur usage répété, et les vidéos projetées, n’arrivent pas à animer.
On se prend à rêver d’une collaboration avec un metteur en scène plus empathique et jeune, pour un public partagé entre quelques fidèles et connaisseurs de Cadiot et nous autres plus hermétiques à une alternance poétique et philosophique sur le retour à la nature et les méandres de notre moi profond, et d’autres qui se demande quand cela va se terminer.
On en vient à convoquer Pinter pour les dialogues acides et drôles et Tchekhov pour le huis clos dans la maison de campagne héritée d’une famille lointaine, mais sans conviction.
Dommage on aurait adoré adorer…
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