Dialogues de bêtes

A la pointe du cœur et du pinceau
De
Colette
Adaptation : Élisabeth Chailloux et Lara Suyeux
Durée : 1h20
Mise en scène
Élisabeth Chailloux
Avec
Lara Suyeux
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006
Paris
01.45.44.50.21
Jusqu’au 30 juin. Le dimanche à 17h et le lundi à 19h.

Thème

  • Toby-chien, un bull bringé pragmatique, consciencieux et tendre, au « cœur avenant et banal comme un jardin public » et Kiki-la-doucette, un chat tigré et snob, conversent : amis-ennemis, ils partagent leurs sensations, leurs réflexions, disent leurs affections. Le chien la préfère elle, active, vive, emportée et démonstrative ; le chat le vénère lui, calme, silencieux et pudique, grattant le papier « avec un bruit de souris. » 

  • En quatre tableaux choisis dans les douze dialogues de Colette - SentimentalitésLe VoyageLe dîner est en retard et Toby-Chien parle - ils commentent les étranges mœurs des humains, s’effraient de leurs éclats et de leurs conflits et révèlent, de leur position de bêtes, les petitesses et les grandeurs de l’âme humaine.  

Points forts

  • L’originalité consiste ici à associer dessins en direct et théâtre, avec le couple que forment le dessinateur  Cyrille Meyer et Lara Suyeux.

    • Le premier peint au fur et à mesure, grâce une projection, les décors pastels de cette amitié animale. Chaque “histoire“ a ainsi sa propre touche et son coup de pinceau délicat qui vous atteint comme une caresse pour l’œil. Ce dessinateur de grand talent propose plus qu’un cadre : une profondeur visuelle et poétique aux évocations que la langue de Colette, charnue, odorante et ensoleillée fait surgir. En quelques coups de pinceau, quelques traits de crayon ou de feutre, il donne, sous nos yeux, l’atmosphère visuelle de ces petits drames.

    • D’autre part, la mise en scène et le jeu de l’interprète sont indiscutables. Quand commence le spectacle et que l’on comprend que Lara Suyeux va vraiment interpréter ce chien et ce chat, on a une seconde d’effroi, craignant le pire. Mais non, le miracle se produit : elle est parfaite en chat, en chien, en Colette, en Willy, et nous offre une très belle et sensible incarnation de ces deux êtres et de leur maîtresse (surtout dans le dernier texte), avec une gestuelle digne de Colette quand elle était artiste de Music-Hall. Lara Suyeux incarne tour à tour ces deux  témoins d’une humanité qui les étonne parfois, qui les amuse souvent. 

  • Ce spectacle se révèle enfin un pur délice parce que le texte est d’une drôlerie et d’une finesse sans pareilles, et qu’il sollicite et suscite un éventail d’émotions légères et profondes - parfois la joie, parfois la mélancolie-, toujours vraies. Avec ce Dialogue de bêtes, nous redécouvrons la plume de Colette aux adjectifs colorés et imagés, précis, cruels ou tendres dans un texte délicieux, comme une madeleine de Proust, et dans lequel délicatesse et sensibilité se fondent avec humour  et poésie. Entre apathie bonhomme d’un Toby-Chien toujours prêt à faire plaisir et une infatigable préciosité et un tempérament de princesse d’une Kiki-la-doucette, nous nous glissons dans l’univers des quatre pattes pour regarder d’en bas notre drôle d’engeance. 

Quelques réserves

  • Aucune .

Encore un mot...

  • Préfaçant la publication de ces dialogues, Francis James, que Colette admirait, eut ces mots : « Mme Colette Willy se lève aujourd'hui sur le monde des Lettres comme la poétesse enfin qui, du bout de sa bottine, envoie rouler du haut en bas du Parnasse toutes les muses fardées, laurées, cothurnées et lyrées qui, de Monselet à Renan, soulevèrent les désirs des classes de seconde et de rhétorique. Elle est gentille ainsi, nous présentant son bull bringé́ et son chat avec autant d'assurance que Diane son lévrier ou qu'une Bacchante son tigre. (C’est) une dame qui chante avec la voix d'un pur ruisseau français la triste tendresse qui fait battre si vite le cœur des bêtes. » 

  • Ces deux dernières années qui marquaient les 150 ans de la naissance de Colette et les 70 ans de sa mort, ont vu fleurir les spectacles conçus à partir des textes de l’écrivaine, pour notre plus grand bonheur. Laissez-vous donc tenter par le compagnonnage délicat de ces « étranges animaux » que sont nos compagnons et, comme disait Molière, par « ces étranges animaux à conduire que [sont] les comédiens. »

Une phrase

  • Toby-chien : « Toi, tu es un monstrueux égoïste.
    - Kiki-la-doucette : Peut-être. Les Deux-Pattes - ni toi - n'entendent rien à l'égoïsme, à celui des Chats... Ils baptisent ainsi, pêle-mêle, l'instinct de préservation, la pudique réserve, la dignité, le renoncement fatigué qui nous vient de l'impossibilité d'être compris par eux. Chien peu distingué, mais dénué de parti pris, me comprendras-tu mieux ? Le chat est un hôte et non un jouet. En vérité, je ne sais en quel temps nous vivons ! Les Deux-Pattes, Lui et Elle, ont-ils seuls le droit de s'attrister, de se réjouir, de laper les assiettes, de gronder, de promener par la maison une humeur capricieuse ? J'ai, moi aussi, mes caprices, ma tristesse, mon appétit inégal, mes heures de retraite rêveuse où je me sépare du monde...
    - Toby-chien : Elle me saisit par la peau du dos, comme une petite valise carrée, et de froides injures tombèrent sur ma tête innocente : “Mal élevé. Chien hystérique. Saucisson larmoyeur. Crapaud à cœur de veau. Phoque obtus… » Tu sais le reste.

  • Kiki-la-doucette : « J’ai entendu. J’ai même entendu, ô chien, ce qui n’est pas parvenu à ton entendement de bull simplet. Ne cherche pas. Elle et moi, nous dédaignons le plus souvent de nous expliquer. »

  • Kiki-la-doucette : « Je hais les nouveaux visages. 
    - Toby-chien: Je ne les aime pas non plus, quoique tu dises. J’aime... Elle et Lui. - Kiki-la-doucette: Moi, j’aime Lui... et Elle.
    - Toby-chien: Oh ! il y a longtemps que j’ai deviné ta préférence. Il y a, entre toi et Lui, une espèce d’entente secrète...
    - Kiki-la-doucette [souriant, mystérieux et abandonné] : Une entente ... oui. Secrète et pudique et profonde. (...) C’est à lui que j’ai donné mon cœur avare, mon précieux cœur de chat. (...) Elle... s’agite trop, me bouscule souvent, s’énerve à me caresser, imite trop bien ma voix...
    - Toby-chien [ému d’indignation] : Je te trouve difficile. (...) Elle ! C’est ce que je vois au monde de plus beau, de plus cher, de plus incompréhensible. Son pas m’enchante, ses yeux variables me dispensent le bonheur et la tristesse. (...) Elle est le tourment aigu et le sûr refuge. Lorsque, épouvanté, je me jette en Elle, le cœur fou, que ses bras sont doux, et frais ses cheveux sur mon front ! Je suis son « Toby-Chien », son « tout petit h’amour »...
    - Kiki-la-doucette: Saines joies, brutales et simples... Et tu vas, ensuite, faire la cour à la cuisinière.
    - Toby-chien: … et toi à la chatte de la ferme... »

L'auteur

  • Sidonie Gabrielle Colette, dite Colette, est née le 28 janvier 1873 à Saint- Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne (région de Bourgogne-Franche-Comté). En 1893, elle épouse Henry Gauthier-Villars, dit Willy, écrivain et critique musical et littéraire, et s’installe à Paris avec lui. C’est sous le nom de Willy qu’elle commence à écrire, publiant en 1900 Claudine à l’École, qui connaît un grand succès, suivi de trois autres romans de la série Claudine, qui paraissent entre 1901 et 1903. 

  • Colette publie en 1904 aux éditions du Mercure de France quatre dialogues de bêtes, textes courts à l’écriture théâtrale et poétique, qu’elle signe “Colette Willy“.  C’est la première étape d’une émancipation qui va l’arracher à la tutelle de Willy, et qui est au cœur de la dernière scène, celle de Toby-Chien parle. Sur le plateau déserté par la présence masculine du dessinateur, la maitresse du chien clame : « Je vais faire ce que je veux (…) je veux écrire des livres (…), je danserai pour le seul plaisir de danser », ce que Colette fera presqu’immédiatement après la publication de l’ouvrage.

  • Réédités et augmentés à de nombreuses reprises, les dialogues retinrent l’attention de Francis James et connurent un succès durable jusqu’à nos jours. 

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