Réparer les vivants

Un pari délicat, globalement gagné
De
Katell Quillevere
D'après le roman de Maylis de Kerangal
Avec
Emmanuelle Seigner, Kool Shen, Anne Dorval
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

C’est le récit, poignant, d’une transplantation cardiaque, du périple du cœur, palpitant encore, d’un jeune homme accidenté,  déclaré en « mort cérébrale », jusqu’à sa greffe dans la poitrine d’une  femme à bout de souffle.

Le film s’ouvre sur le visage d’un jeune surfeur de 17ans, Simon, qui enfourche son vélo pour aller surfer avec deux amis sur une plage de Normandie. La mer est démontée, à la fois menaçante pour tout étranger, mais bienfaisante (sensations, ivresse) pour qui  veut et aime l’affronter. Le drame, que l’on pressent, ne viendra donc pas d‘elle. Il surgira quelques minutes plus tard. La camionnette qui ramène les trois copains à leur point de rencontre, sort de la route. Le choc est effroyable. Plongé dans le coma, Simon, est transporté à l’hôpital. Son encéphalogramme tombe à plat. On demande aux parents du garçon, dont le cœur bat encore, s’ils acceptent, ou non, que ce cœur soit donné à un malade en attente de greffe…

Une course commence… pour « réparer » un vivant… Restaurer la vie, avant qu’il ne soit trop tard…

Points forts

- C’était une gageure un peu folle de transposer au cinéma ce récit implacable, de mort, de solidarité  et de retour à la vie. Mais le pari est, ici, globalement, gagné. Le scénario du film  respecte le principe de construction du livre, tout en allers et retours, composé comme un puzzle. Ses dialogues en restituent le style polyphonique, à la fois précis et poétique, prosaïque et lyrique. Quant à la mise en scène, elle donne à « saisir », visuellement,  les comportements et réactions des différents protagonistes, si bien décrits dans le roman.

- De Gabin Verdet, le jeune interprète de Simon, à Emmanuelle Seigner, qui joue sa mère suffoquée par le  chagrin, en passant par Kool Shen, qui est son père, lui aussi, éperdu de douleur, Tahar Rahim, en coordinateur de la transplantation, ou encore les comédiens chargés des rôles des médecins et infirmiers (remarquable Bouli Lanners)… La distribution est plus que parfaite.

- Les séquences d’ouverture du film sont éblouissantes, de beauté et de virtuosité. On se souviendra longtemps des plans du jeune Simon dévalant en vélo, dans la pénombre d’une aube naissante, les rues du Havre (une belle métaphore  de la vitalité). Resteront gravées aussi les images de la séance de surf de Simon et de ses deux copains, dans une mer sombre, aux vagues déferlantes; et encore, ces  images, inventées par la réalisatrice, qui donnent à « voir », littéralement, les sensations d’un endormissement au volant d’un véhicule.

- L’alternance entre le côté fiction du film (l’accident du jeune garçon, le chagrin de ses proches, le portrait de la « receveuse »), et son aspect documentaire est très bien équilibrée.

 -Katell Quillévéré dit qu’elle a passé beaucoup de temps à l’hôpital avec son coscénariste Gille Taurand. On veut bien la croire, tant toutes les scènes de bloc opératoire de son film semblent cousues au fil de la réalité.

- La musique d’Alexandre Desplats, qui participe à l’émotion générée par ce film.

Quelques réserves

- C’est le cœur, qui est au centre de cette histoire, de cette course folle contre l’arrêt d’une vie. Dans son livre, l‘écrivain Maylis de Kerangal, lui accorde donc une place primordiale,  le décrivant, au fil de son récit, dans tous ses états  et tous ses paradoxes. Car si cet organe, même fonctionnant à plein régime,  n’a pas le pouvoir d’empêcher la mort d’un être en état de « coma dépassé »,  il a  quand même, dans d’autres cas, celui de ré-insuffler de la vie.

Les mots, aussi réalistes  et évocateurs soient-ils, ne donnent pas à « voir ». Le cinéma, si, à moins que le réalisateur ne pratique l’art de la suggestion. Ce n’est pas le cas ici. Tout ce qui concerne le cœur, ce muscle palpitant, est montré. Son exérèse, comme sa greffe. Pour les spectateurs sensibles, la crudité des séquences opératoires est assez difficile à supporter. D’autant qu’elle n’ajoute rien au récit, l’enjeu du film étant ailleurs.

- La bascule du film dans le mélo. Fallait-il  autant développer l’histoire d’amour qui lia la femme en attente de greffe, avec une autre femme, pianiste de son état? Cette « incise » scénaristique, d’un sentimentalisme un peu trop exacerbé, distrait de l’un des objectifs du film, qui est de faire réfléchir sur la nécessité des dons d’organes, malgré la somme d’abnégation  et de courage qu’il faut pour y consentir.

Encore un mot...

Un être meurt, qui anéantit ses proches, mais peut, pourtant,ailleurs, sauver une vie … grâce à une chaîne de solidarité et une addition de compétences.

Quand il sortit, en janvier 2014, le livre de Maylis de Kerrangal déclencha l’enthousiasme. Sujet, construction, il paraissait impossible à adapter. Pourtant, après avoir inspiré, un homme de théâtre, Emmanuel Noblet, qui en tira un spectacle « solo », d’une force et d’une pudeur rares (voir, sur Culture-tops, la critique de Philippe Jousserand),il est aujourd’hui l’objet de ce film signé Katell Killévéré. Très émouvante, très belle, très ambitieuse, c’est,  en plus, une œuvre rare, car malgré son côté volontairement « documentaire » et de ce fait,  ultra-réaliste, elle  parvient à traduire l’« insaisissable », à montrer l’ « irreprésentable », à savoir la douleur et la force de la vie. Et cela, avec le rythme d’un thriller. Dommage que vers la fin, elle perde de sa force et de son magnétisme en s’embourbant (un peu) dans une inutile péripétie amoureuse.

Une phrase

"« Réparer les vivants » était la promesse d’une aventure cinématographique très forte. A travers le voyage de cet organe, il y avait la possibilité de filmer le corps, de manière à la fois anatomique, poétique, métaphysique". Katell Quillévéré.

L'auteur

Née le 30 janvier 1980 à Abidjan, d’un père informaticien et d’une mère professeur, Katell Quillévéré grandit jusqu’à l’âge de cinq ans en Côte d’Ivoire, avant de revenir, avec ses parents, s’installer en région parisienne.

Attirée par le cinéma, et ayant raté de peu la Fémis, elle fait un DEA de cinéma et, parallèlement, une licence de philosophie.

En 2004, elle crée, à Brive, avec Sébastien Bailly, un festival consacré à un genre assez délaissé, le court métrage, et s’essaie à la  réalisation. En 2005, son premier « court », « A Bras le corps », est sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et pour les César du cinéma.

Suivent deux autres, avant qu’elle ne se lance, en 2010, dans le « long », avec « Un Poison violent ». Ce film, d’une très grande maîtrise, sur la rupture d’une jeune catholique française avec sa religion, lui vaut de recevoir le prix Jean Vigo. Deux ans plus tard, « Suzanne » (l’histoire d’une jeune indomptable qui tombe amoureuse d’un délinquant) lui offre d’être sélectionnée au festival de Cannes 2013.

Adapté du roman éponyme (à succès) de Maylis de Kerangal, paru en 2014, « Réparer les vivants » est donc le troisième long-métrage de Katell Quillevéré. La cinéaste de 36 ans en a co-signé le scénario avec Gilles Taurand. Avant de sortir le 2 novembre sur les écrans, «  Réparer les vivants » avait été sélectionné pour la Mostra de Venise et présenté au Festival de Toronto.

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