
La Guerre de l'information. Les Etats à la conquête de nos esprits
9 janvier 2025
524 pages
11,50 €
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Thème
Parallèlement à la « vraie guerre » que l'armée russe poursuit en Ukraine depuis trois ans, d'autres conflits, menés par des trolls et par des forces de l'ombre, menacent aussi nos démocraties : une cyberguerre qui « continuerait la guerre militaire par d'autres moyens », imposerait une ferme réplique des pays libres. Ce livre décrit cette menace potentielle.
Revue et complétée, cette édition de poche reprend, pour l'essentiel, l'édition princeps parue en 2023 chez le même éditeur. David Colon décline un sujet qu'il traite depuis des années : les peuples, pense-t-il, sont sensibles aux propagandes - politiques, mais aussi commerciales - qui les “manipulent” : nos contemporains subissent de la propagande depuis des lustres ; ils seraient donc « menacés par une domination globale » instrumentée par les Etats-unis et par les grandes firmes de l'internet. Cette menace, serait ourdie par un complot global !
Ce livre laisse donc entendre que nos « foules » seraient « violées » par la propagande politique (titre de l'essai classique de Serge Tchakhotine, paru en 1939) ! C'est un sujet qui fâche car, s'il était avéré, absolu et incontournable que la propagande est aussi dominante et implacable qu'on le prétend, à quoi rimeraient notre démocratie représentative et le suffrage universel et toutes ces études de science politique qui décortiquent les comportements sociaux, la formation de l'opinion, leurs causes et leurs effets depuis un siècle au moins ?
Fortement inspiré par des auteurs américains qu'il cite largement, l'auteur soutient dans ce livre que la « guerre du net » - entendez : l'intoxication de nos opinions par la propagande en ligne - sévit depuis les années 1990 ; elle menacerait notre société !
Points forts
J'avais souligné, dès la parution de Propagande - La manipulation de masse dans le monde contemporain, son premier essai grand public en 2019, que David Colon compulse de très nombreux travaux ; et que son travail s'inscrit dans une vraie tradition académique. Cet ouvrage comprend en effet tout le dispositif nécessaire pour montrer ses sources : notes, bibliographie, index etc. L'édition Texto respecte cette tradition, j'ai plaisir à le confirmer. Je dois aussi insister sur l'expression et sur la langue d’un auteur qui écrit simplement, sans fioriture et en bon français, une qualité honorée par un prix de l'Institut qui l'a couronné l'an dernier, en 2024.
Quelques réserves
Ce livre me paraît accepter, sans débattre, une idée reçue qui est aussi répandue qu'inexacte : dans les démocraties modernes, la formation du vote et celle de l'opinion ne sont pas aussi automatiques que le soutient le behaviorisme : le vote n'est pas un réflexe de Pavlov ; il se prépare par des chemins complexes, parfois imprévus ; c'est pourquoi les sondeurs se trompent souvent, aucun politologue ne le nie à Science-Po !
Chaque alternance qui sort des urnes est donc un caillou dans la chaussure de ceux qui croient encore que, dans nos contrées, « la propagande fabrique l'opinion politique » ; ou que la publicité entraîne, par un réflexe bestial et pavlovien du consommateur, ses achats. Sinon, comment des marchés concurrentiels persisteraient-ils, même dans des secteurs aussi concentrés que l'électronique, le pétrole ou l'automobile ?
Dans les faits, la vie politique, l'économie et la société sont, heureusement, bien moins prévisibles que ne le croient les behavioristes, de plus, cette doctrine est parfaitement incompatible avec des régimes politiques représentatifs qui durent, comme le nôtre. Enfin, comment accorder à la personne humaine un quelconque libre-arbitre s'il était vrai qu'elle ne sait pas résister à la propagande ? L'esprit critique de l'auteur se serait-il émoussé ces temps-ci?
Encore un mot...
Déclenchée en janvier 1991, la Guerre du Golfe inaugura une nouvelle époque. L'opération Tempête du Désert fut non seulement militaire mais aussi une bataille de l'information entre Bagdad et l'alliance américaine qui contrôlait étroitement les médias et l'information mondiale. C'est alors, dit D. Colon, qu'apparut ce « nouvel art de la guerre » qui est le sujet de son livre (p. 41).
Une phrase
“A la différence de la guerre conventionnelle, la guerre de l’information n’a ni début ni fin, et brouille les distinctions traditionnelles entre l’état de guerre et l’état de paix, entre ce qui est officiel et ce qui est secret, entre opérations étatiques et opérations non étatiques, en raison du recours massif et quasi systématique à des sous-traitants, des mercenaires… Les guerriers de l’information annihilent toute distinction entre le front et l’arrière, et combinent actions létales et manipulations informationnelles non létales, de l’influence à la cyberguerre que l’on peut définir comme “l’utilisation des différentes composantes du cyberespace à des fins de contrôle” et qui a pour théâtre d’opérations les réseaux informatiques en passant par la guerre électronique…” (extrait de l’introduction dans la version Kindle).
L'auteur
Agrégé d'histoire, David Colon est un chercheur associé au Centre d'histoire de Science-Po à Paris. Largement inspiré à ses débuts par des auteurs du siècle dernier comme Jacques Ellul, le sociologue Gustave Le Bon et le criminologue Gabriel Tarde, il s'est récemment spécialisé sur la « désinformation » que propagent les réseaux sociaux et les médias diffusés par Internet (blogs, messageries cryptées, You Tube, Instagram etc.).
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