
La liberté cherchant son peuple : Libéralisme populaire contre tentation populiste
Publication en mars 2025
290 pages
20,50 €
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Thème
Cet essai examine nos institutions à l'aune d'une « liberté libérale » ! Il voudrait guider la France avec une boussole libérale, mais à condition que l’État défende les plus pauvres et protège les plus faibles !
Ce livre n'est pas un traité de philosophie. C'est un essai politique, conçu et bâti pour guider l'action. Il plaide pour que notre vie civique et nos politiques publiques s'inspirent de ce que Madame Canto-Sperber appelle, avec une majuscule : un « État de droit » et un « libéralisme populaire » qui combinerait l’État tutélaire, qui octroie au peuple des libertés qu'il définit lui-même et dont il est seul juge, tradition de notre droit public renforcée par notre Conseil d’État, qui rappelle la maxime du R.P. Lacordaire : « c'est la loi qui libère et la liberté qui contraint », maxime éminemment contraire à celle des constituants américains : « le Congrès ne prendra aucune loi limitant la liberté d'expression ou de presse » (premier amendement constitutionnel des Etats-unis, ratifié en 1791) !
Les deux chapitres introductifs brassent des idées générales sur les libertés, leurs sources et leur propos. Ce texte insiste sur « un défi oublié » (sic p. 60 sq.) : la « liberté de conscience » est qualifiée « d'espèce en danger » (p. 43), des termes qui évoquent les XVIII° & XIX°siècle, plutôt que la période contemporaine ! Mais il occulte la pression qu'exerce actuellement la norme sociale islamique qu'aucun analyste lucide ne passe plus sous silence de nos jours (comme, parmi d'autres qu'elle cite : Pierre Manent : Situation de la France (2015) ; Rémi Brague : Sur l'Islam (2023) et, du roman de Michel Houellebecq : Soumission, 2015).
Le chapitre II évoque Locke, Benjamin Constant et la tolérance; discrètement cité, l'islamisme apparaît comme un détail, presque anecdotique, (p. 51) ; mais le « moralisme politique » qui nous vient d'Amérique, dont l'université et certains médias font les frais, perturbent Monique Canto-Sperber à raison (NRJ & C8 sont cités en note p. 63).
Le développement qui suit (chap. III à V) s'inscrit aux antipodes des politiques explicitement libérales appliquées en Occident, pendant les années Thatcher ou Reagan pour faire simple. L'auteur fait fi de la dérégulation, de la privatisation de quelques services publics et d'une révision du Code du travail qui paralyse pourtant l'initiative en France, ce qu'elle ne nie d'ailleurs pas car Monique Canto-Sperber veut construire et planifier « une politique des libertés … pacifier et ordonner la communauté politique (et) renouveler les sociétés » (p. 21). C'est donc un projet dirigiste que le lecteur découvre au fil du livre !
Pourrait-il s'agir d'une version soft de la lutte des classes ou d'une relance de l'Emmanuel Mounier des Années Trente, voire du retour à la social-démocratie d'Olaf Palme, propre à la Suède des années soixante ? Certes non, car l'auteur est consciente que le monde a changé depuis lors : elle illustre cette transformation dans trois des sept chapitres du livre qui traitent, respectivement : de la « liberté des plus pauvres » (ch. III), de notre éducation nationale dont elle décrit les faiblesses (ch. IV) et de la vie privée qu'elle dépeint comme une peau de chagrin qui se rétracte au fil des ans, ce que nous partageons (chapitre V).
Les deux derniers chapitres de cet essai abordent tour à tour: la renaissance de l'intolérance au sein de notre société qu'illustre le chapitre VI , due à la pression de réseaux sociaux mais pas seulement : l'effondrement du débat contradictoire, le regain des tensions et des conflits ouverts, tout près de chez nous, le prouvent. Précédant la courte conclusion circonstancielle de ce livre, le chapitre VII brosse un tableau rapide de nos libertés politiques et de nos institutions : nos mœurs politiques vacillent laisse entendre Monique Canto-Sperber qui regarde, à juste titre, les projets politiques rétrogrades avec circonspection : retour au scrutin proportionnel et foisonnement désordonné des normes, en France comme en Europe communautaire. Toutefois, quand elle parle de Tabula rasa, ce n'est pas celle dont rêvent les révolutionnaires qu'elle critique, mais celle d'Elon Musk et de son projet de comprimer le fatras administratif fédéral - un projet pourtant fragilisé, trois mois seulement après l'installation de l'équipe Trump (p. 279 sq.) !
Points forts
Sans pathos et sans jargon, cet ouvrage est bien édité ; il s'inscrit dans la collection Liberté de l'esprit que créa Raymond Aron au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : une longue série de livres dans laquelle nous avons puisé depuis trois-quart de siècle, plus souvent, il est vrai, pour nous instruire du socialisme que du libéralisme, tant en original qu'en traduction !
Certains diagnostic de cet ouvrage sont bienvenus : celui qui porte sur Parcoursup, cette machine bureaucratique et impersonnelle qui terrorise un demi-million d'étudiants potentiels chaque année depuis 2017 (p.116) : universitaire émérite, M. Canto-Sperber lui consacre une douzaine de pages, décrivant les travers de ce projet mal-né ; elle n'affiche guère d'illusion sur ce mammouth inefficace, cette administration sans maître, produisant des systèmes automatiques et coûteux qui pourraient fort bien provoquer une jacquerie estudiantine et suscitent, au surplus, des passe-droits : personne ne l'aime, même pas ceux qui en ont la charge ! Mais, comme l'armée soviétique sous Gorbatchev, l'enseignement français se maintient, en marge de la vraie vie et des besoins de formation…
Quelques réserves
Des termes bizarres émaillent ce livre: que signifie, par exemple, une « liberté libérale », à mi-chemin entre la liberté naturelle et la liberté civile? Pourquoi affirmer (p. 31) : « le libéralisme n'a pas le monopole des conceptions de la liberté » ? De telles expressions surprennent, venant d'une philosophe entraînée aux finesses de la langue et aux nuances avec lesquelles elle sait jouer, à propos de la vie privée par exemple (p. 191 sq.).
Ce livre parle un peu de la guerre, la vraie, de celle qui a toujours été : lutte à mort, aveugle et terrifiante, présente à Gaza et à Kiev, qui s'approche peut-être de nous. Mais elle élude ces menaces souterraines, quotidiennes et sanglantes, qui touchent aveuglément et marquent l'actualité : exploitations et tueries sauvages, tout autre chose qu'une guerre, une simple conquête du territoire par des truands que rien n'arrête et qui n'ont besoin d'autrui que pour en entretenir et en exploiter les faiblesses ou l'addiction : esclavagistes, en vrai !
Pourquoi, enfin, M. Canto-Sperber fait-elle autant crédit à l'initiative gouvernementale ? Je doute qu'elle soit l'une de ces « clercs » qui tiennent l’État en mains ! (cf. Julien Benda : La Trahison des clercs, 1927 & 1946).
Elle, dont la philosophie remonte à l'hellénisme, ne devrait-elle pas dire qu'hier, comme de nos jours, la subsidiarité politique garantit bien mieux les libertés civiles qu'un État omnipotent dont la duplicité et l'autorité ne cessent de grandir s'il n'est pas mis un frein solide à ses débordements ? Cette leçon scella la « Loi fondamentale » des Allemands d'après-guerre, inspirés par les Founding Fathers américains au lendemain des procès de Nüremberg ; elle guida aussi les Cantons suisses et l'empire autrichien, pendant des siècles ! Des principes que les constituants français n'ont, en revanche, jamais appréciés. Ce livre qui cite brièvement (p. 39) la Route de la servitude d'Hayek, n'en retient pas non plus l'esprit !
Encore un mot...
Un essai intéressant mais discutable !
Une phrase
(Précisons que dans ce qui suit, les parenthèses et les italiques sont de nous.)
P.70 (sur la liberté d'agir :) « Une politique libérale veut favoriser l'initiative économique et assurer un taux élevé d'activité. Elle est aussi animée par sa volonté de lutter contre la pauvreté. » (une parfaite sentence keynésienne!)
P.99 (constat cinglant mais sans suite :) « Huit ans après l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, le vote des jeunes diplômés en faveur du parti présidentiel … fut d'à peine 9%. L'enthousiasme … transformé en une franche hostilité » !
P.131 (à propos de la planification écologique, autre constat judicieux: ) « Les transformations planifiées par l’État n'ont d'effet que sur ce qui dépend de lui … l'action (des) entreprises et (des) particuliers, financée par eux ... (aurait) un impact au moins aussi grand que celle de l’État … et d'autant plus de chance de réussir qu'elles (sont) menées au plus près du réel ». (Décodage : revenir à la subsidiarité ? Rien de tel dans ce livre !)
P. 153 (sévère diagnostic sur l'éducation : « Est-il possible d'inverser le lent processus de dégradation amorcé depuis les années 1990 ? » Comme tant d'autres clercs, une trentaine de pages sur d'hypothétiques réformes …) puis :
P. 189 (une proposition déconcertante sur l'éducation nationale :) « La création, au sein de l'enseignement public, d'écoles libres ... gratuites et sans sélection … travaillant à armes égales avec le privé. » (On croit rêver !)
L'auteur
Monique Canto-Sperber est philosophe. Spécialiste de Platon, elle a écrit ou dirigé la publication d'une vingtaine d'ouvrages et des manuels de philosophie et de morale.
Elle assura d'importantes responsabilités administratives au cours de sa carrière, notamment à la tête de l’École normale supérieure (ENS Paris). Elle a enseigné dans plusieurs universités françaises et fut souvent invitée à l'étranger. Elle est désormais directrice de recherche émérite au CNRS.
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