Un secret si bien gardé

Une vérité qui dérange ? Un témoignage qui interpelle !
De
Anne Lauvergeon
Grasset
Publication en avril 2025
201 pages
18,5 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Depuis quelques années, et singulièrement depuis 2022, le prix de l'électricité flambe. Est-ce une fatalité, la faute à la crise - Covid, Ukraine ou autre ? Dans cet essai, Anne Lauvergeon, ancienne dirigeante de l'ancien leader mondial de l'énergie atomique Areva, nous délivre une conviction toute autre. 

Le prix de l'électricité en France est la conséquence de choix politiques et plus encore idéologiques, qui ont, sous l'influence des verts Allemands et d'un parti anti-nucléaire de la Commission Européenne, imposé la mise en sous-capacité du parc nucléaire (en France en particulier), pour donner l'avantage au "Mix des EnR". Traduction : à la mise en œuvre à marche forcée de l'éolien et du photovoltaïque. Si cette intention est condamnable, souligne l'auteur, c'est parce que la France produit l'électricité la plus décarbonée d'Europe car d'origine nucléaire. Alors, pour financer le développement des "EnR", on bride la puissance des centrales, on impose une intermittence pour lesquelles elles n'ont pas été conçues, on charge le consommateur d'en assurer le subventionnement, et (pas) accessoirement, on menace des pans entiers de l'économie fragilisés par le prix actuel de l'énergie. Tout est dit. Un secret si bien gardé développe cette thèse, chiffres à l'appui. 

Points forts

Cet essai, en lecture au premier degré, est aussi facile à lire que consternant. 

Il développe une pédagogie assez rigoureuse et économe en développements collatéraux, pour expliquer à la fois la formidable intuition qu'a été le développement de la production d'électricité en France grâce à l'énergie nucléaire, et son sabordage progressif depuis une vingtaine d'année sous les partis pris idéologiques des Verts allemands, puis de Bruxelles, (malgré le soutien continu de la filière par les présidents français de Jacques Chirac à Emmanuel Macron…) qui ne voient aucune contradiction à maintenir ou développer le recours aux énergies fossiles - gaz, charbon, hydrocarbures - pour produire une énergie.. ultra carbonée dans les pays qui se sont désengagés du nucléaire civil. 

Il explique aussi, depuis la guerre en Ukraine, les pratiques hypocrites d'achats "dissimulés" de gaz russe par l'intermédiaire de la Turquie, de l'Inde ou de la Chine. Achats générateurs d'effet de serre destinés à la production d'énergie, pour compenser l'irrégularité de la production éolienne et photovoltaïque. 

Il témoigne aussi du silence assourdissant des associations protectrices de l'environnement européennes sur l'importation massive des Etats Unis, depuis 2022, des gaz issus de la fracturation hydraulique, pourtant objets de "révoltes militantes" contre le procédé, en Europe.

D'autres sujets collatéraux sont abordés, comme la reconversion des dirigeants européens aux conseils d'administration des géants gaziers russes, ou le fond de l'affaire racontée dans le film La syndicaliste (2022) sur Maureen Kearney, syndicaliste CFDT chez Areva, lanceuse d'alerte sur un possible transfert de technologies vers la Chine.

Il raconte - ce secret si bien gardé - l'obligation faite à EDF de brider les performances de ses centrales nucléaires, ce qui place la France dans les derniers rangs au monde en la matière. D'autres solutions sont aussi proposées, comme le relevage de l'eau pour maximiser l'usage des barrages - une technologie de production d'électricité également très "bas carbone", pour laquelle la France a de nombreux atouts. 

Quelques réserves

Dans sa post-face, Anne Lauvergeon dément toute volonté de règlement de compte. On ne demande qu'à la croire. Dans ces lignes intéressantes, elle raconte son parcours, succès, nids de poule et coups bas compris. D'autres dirigeants, ayant subi des disgrâces pour de probables autres mauvaises raisons, se sont aussi livrés à l'exercice. Il est laissé à chacun la liberté de mesurer l'éventuel écart entre leurs convictions et la réalité.

Encore un mot...

Un secret si bien gardé raconte comment des choix politiques, contestables selon Anne Lauvergeon, ont conduit à un prix (trop) élevé de l'électricité en France, dont elle accuse les parties prenantes de la production énergétique de vouloir faire supporter aux Français le développement du parc de production éolien et photovoltaïque. Le passage d'un rendement des centrales nucléaires (au sens du facteur de charge qui en donne la performance)  imposé à 70 % aujourd'hui, vers les 85/90% demain, permettrait d'économiser de milliards d'euros d'investissement dans des énergies "intermittentes". L'enjeu est de recomposer ce mix énergétique, qu'elle ne conteste pas dans son principe, en profitant des atouts d'une énergie nucléaire qui n'émet pas de gaz à effet de serre, et de faire baisser très rapidement le coût du Mégawattheure en France. 

Mais EDF et d'autres acteurs de la filière énergétique en France ne semblent pas vouloir l'entendre. Alors que l'arrivée de Donald Trump au pouvoir impose une nouvelle donne économique à l'Europe, alors que des solutions existent, demander publiquement pourquoi elles ne sont pas mises en œuvre, est l'intérêt majeur de cet essai.

Une phrase

  • [En Allemagne, en 2022 et 2023] " Annonce est faite d'utiliser « tous les instruments juridiques appropriés » pour s'opposer au maintien et au développement du nucléaire dans les pays voisins. Et qu'importe si le bilan CO, de l'Allemagne s'est structurellement dégradé. Le charbon, qui représentait 12 % de la génération électrique allemande en 2019, atteint 31 % en 2022 (contre 23 % pour les éoliennes). L'Allemagne émet quinze fois plus de CO [Carbone], par MWh électrique que la France. La lutte contre le changement climatique s'arrête au seuil du nucléaire." P. 67

  • « Les conséquences de ce girouettisme français face au dogmatisme européen sont lourdes. La France dispose d'une électricité décarbonée à 90 % grâce à ses choix historiques : nucléaire et hydraulique. Des vingt-sept pays de l'Union, vingt ont des émissions de CO, par habitant supérieures aux nôtres. Mais dix-neuf pays font des efforts de réduction de CO, inférieurs aux nôtres. Il nous a été demandé des évolutions plus fortes qu'à d'autres. Comment a-t-on pu accepter des objectifs d'investissement dans les renouvelables à des niveaux supérieurs à d'autres pays, beaucoup plus carbonés que nous? […]
    L'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) a pourtant garanti le droit pour chaque État membre de décider de ses choix énergétiques." P. 118

  • « Si EDF parvenait à une production sur son parc au niveau de la moyenne du reste du monde (facteur de charge de 85 %), il produirait 460 TWh, soit l'équivalent de huit EPR2 de plus. Oui ! Nous avons huit EPR2 en puissance dans le parc actuel qui sont mobilisables sans investissement significatif. À la clé, la baisse du prix de l'électricité, nos exportations boostées, nos entreprises décarbonées et plus compétitives, et de nouvelles activités sur les fuels synthétiques. En lieu et place, nous connaissons des conflits d'usage grandissants sur nos territoires, d'énormes investissements à financer, un recours massif à des technologies chinoises, une fragilisation potentielle du parc par une modulation en l'absence de toute référence et des factures d'électricité toujours plus lourdes.
    Pour les très optimistes, si EDF parvenait aux performances des électriciens américains (facteur de charge 92 %), ce seraient onze EPR2 équivalents de plus !" P. 181

L'auteur

Anne Lauvergeon est agrégée de sciences physiques et ingénieure en chef des Mines. Après une carrière dans l'industrie et la haute fonction publique, elle devient en 1991 la "Sherpa" du Président François Mitterrand, chargée par sa fonction de le représenter pour la préparation des grands sommets internationaux.  Nommée PDG de la Cogema (Compagnie Générale des Matières Nucléaires) en 1999, elle est appelée à fonder et diriger Areva qui deviendra le leader mondial de l'énergie nucléaire. En 2011, son mandat n'est pas renouvelé et elle fonde alors sa société, ALP, qui conseille entreprises, gouvernements et entrepreneurs sur leurs stratégies. Elle exerce depuis de très nombreux mandats sociaux dans des entreprises, des fonds, des associations. 

Elle écrit en 2012 La femme qui résiste (Plon) dans lequel elle donne sa version de la gestion d'Areva, en réponse aux motifs invoqués pour le non renouvèlement de ses fonctions à la tête de l'entreprise.  Elle publie en 2024 La Promesse (Grasset), un portrait personnel de François Mitterrand.

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