Couleurs de l'incendie

Lemaître s'installe dans la cour des grands
De
Pierre Lemaître
Editions Albin Michel
Notre recommandation
5/5

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Thème

"Couleurs de l'incendie" prend la suite de "Au revoir là-haut"  ; nous sommes au tout  début de 1927, 2 ans avant la grande crise.

Une femme, Madeleine, grande bourgeoise respectable, tenant le haut du pavé, encore bourrée de charme et attachante par sa bonté naïve, mais peu au fait des affaires, est la fille du très riche et admiré banquier Marcel Péricourt dont l'enterrement fait l'ouverture de ce deuxième tome de la saga Péricourt, grande fresque balzacienne du monde capitalistique naissant. Plusieurs drames vont mettre à bas la belle harmonie de cette famille à la tête d'un empire financier considérable.                                                                                                             

Premier drame : le petit Paul, 7 ans,  le fils adulé de Madeleine, se jette par la fenêtre de l'hôtel particulier familial pour se fracasser sur le catafalque du feu grand père. Mais pourquoi ? Cette question taraudera Madeleine pendant les 10 années couvertes par le livre.  Il en sortira  lourdement handicapé à vie et atteint d'un bégaiement éprouvant pour son entourage.

Deuxième drame : l'effondrement soudain de la fortune des Péricourt, tombée sous les coups de boutoirs conjugués d'un fondé de pouvoirs peu scrupuleux, charmeur et cynique, d'une dame de compagnie véreuse et de moyenne vertu et de membres de la famille frustrés, jaloux, encore détenteurs de parcelles de pouvoir, politiques notamment, et d'une presse  complice et corrompue

Madeleine est au bord du gouffre, mais ne tombe pas tout à fait ; saura- t -elle se relever ? Un lecteur, s'arrêtant à mi- chemin du roman ne donnerait pas cher de sa peau....tant les requins sont gourmands dans ce marigot.

Points forts

1/ La verve de l'écrivain mêlant, d'une plume légère, études de mœurs,  humour noir, suspense d'un polar d'époque, l'habileté de la dramaturgie avec ses fréquents retournements de situations, le coup de pinceau (de griffe?) du peintre brossant caractères et personnages cruels ou lâches qui peuplent cette comédie humaine assez terrifiante heureusement égayée par une féminité rafraîchissante et machiavélique. On l'aura compris, La Femme, les femmes même, Madeleine la pure et Léonce la rouée, son ex-dame de compagnie, sont au cœur de l'action, tour à tour défaites et triomphantes.

2/ De grands moments d'émotion entrecoupés de scènes de la plus haute drôlerie. On est sans cesse saisi par ces intermittents et surprenants comiques de situation.

Ainsi petit Paul, désarmé et désarmant, est-il subjugué par une diva exubérante qui lui donne son cœur et illumine sa pauvre vie. Une grande parenthèse artistique, de Berlin à Rome, de la Scala à l'Opéra de Paris, de Mozart à Wagner et à Richard Strauss... en compagnie d'une Castafiore proche de l'hystérie mais géniale, égérie provisoire du 3ème Reich

3/ Un style époustouflant, un cocktail de véritables scènes  de théâtre, d'enquêtes  policières, de références littéraires et artistiques, une succession de figures de styles, oxymores et anacoluthes. Lemaitre est un remarquable conteur, façon Dumas, son modèle littéraire ou de Hitchcock, son maître en suspense.

Quelques réserves

Franchement, il faut le vouloir pour en trouver ne serait ce qu'un. Pourtant, vers le dernier tiers de " Couleurs de l'incendie", une des métaphores de ce roman qui en est truffée, au fur et à mesure que l'on s'approche de la fin de ce Sodome et Gomorrhe, la comédie humaine tourne à la farce, Guitry devient Feydeau ou Courteline, Hercule Poirot se change  en commissaire Maigret, les aimables marivaudages mutent en partie de jambes en l'air pour petites bourgeoises encanaillées, Alfred passe le relais à Fred (Vargas), bref l'élégance prend de la lourdeur... et retombe peu à peu dans les artifices feuilletonesques. Dommage !

Encore un mot...

"Couleurs de l'incendie" : le roman de la vengeance au féminin, la plus cruelle ! Lemaitre met le feu aux beaux atours de la bourgeoisie de la Plaine Monceau sur fond de crise de 29, de décomposition morale à l'aube des bouleversements sociaux de 36, et de la montée du nazisme et de fascisme naissant. Tout le monde se brûle, mais, fait remarquable pour l'époque, c'est une femme qui tire les marrons du feu. C'est réjouissant.

Une phrase

"SOLANGE GALLINATO NOUVELLE EGERIE DU REICH"

Le Chancelier Hitler recevra la Gallinato comme un chef d'Etat... titre la presse de Berlin un matin de septembre 193...

Solange écrit à Paul : "Mon petit poulet, ça y est, je suis heureuse comme tout. Mon programme est arêté, je l'ai envoyé aux gens de là bas. Je suis certaine que sa va leur faire beaucoup d'effet. Viendras-tu enfin ?"- "Est ce bien le moment ?"-"Mon petit asticot, bien sur que s'est maintenant qu'il faut aller en Allemagne. Cette grande nation musiciene a plus que jamais besoin que des artistes vienne s'y produire" (f. orthographe dans le texte) ;  le 11 septembre, au lendemain du récital, la Gallinato mourut dans le train d'Amsterdam. Sabotage ?

L'auteur

Pierre Lemaitre, 66 ans, est un écrivain atypique ; autodidacte, d'abord enseignant formateur pour adultes, il accumule les lectures tous azimuts. Ses parents, très simples, qui sacralisaient la littérature, lui en ont communiqué la passion en achetant les 400 premiers ouvrages publiés au Livre de Poche. P.Lemaitre peut réciter par cœur les 100 premiers titres!  Son premier livre : un polar, "Travail soigné" , dans la tradition des James Ellroy et Bret Easton Ellis, suivi de beaucoup d'autres. Stephen King écrit de lui: "a really suspense novelist". 

En 2013, changement de genre avec "Au revoir là-haut", Prix Goncourt, le premier tome de la saga Péricourt, porté magistralement à l'écran. Un troisième est sur le feu.

Commentaires

jocelyne LEGRIFFON
ven 21/12/2018 - 10:34

pour moi, ce fut un régal,du début à la fin. Je n'ai pas lu "au revoir là-haut", mais je n'ai qu"une envie, me le procurer.
Merci,Monsieur Lemaître.

catherine sandifer
sam 19/01/2019 - 15:06

J'ai lu les deux premiers tomes et attend le troisième avec impatience.Le premier nous entraîne dans l'univers très sombre de l'après guerre de 1914 et dans le cynisme d'ex- soldats bien décidés à tirer "les marrons du feu" de cette tragédie nationale. Le deuxième est davantage centré sur les femmes sur leur faiblesse due à leur manque d'éducation mais aussi sur leur force ,fut elle celle du sexe.Le début du capitalisme, le journalisme, la montée de l'antisémitisme forment un arrière plan historique intéressant. Avant tout, les personnages attirant ou repoussant nous révèlent l'immense talent qu'ils ont tour a tour dans leur duplicité et leur sincérité.

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