Ilaria ou la conquête de la désobéissance

Dans les années 1980 à travers l’Italie, la cavale insensée d’un père et de sa fille. Un roman superbe, subtil et angoissant.
De
Gabriella Zalapi
Editions Zoé
Parution en août 2024
175 pages
17 Euros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Tout commence un jour de mai 1980 lorsque le père Fulvio vient chercher Ilaria, 8 ans, à la sortie de son école à Genève. Sous prétexte d’un week-end, il l’emmène loin de sa mère et de sa sœur Ana. C’est le début d’un voyage sans but précis qui durera 2 ans. 

Nous sommes dans les années 1980 en Italie, des années de plomb. Les extrémistes, de droite comme de gauche, font régner l’insécurité et l’angoisse : rapts, attentats (comme celui de la gare de Bologne) se succèdent.

Le père et l’enfant partent ainsi : passer la frontière, Turin, Gênes, Rome, Naples et la Sicile. L’enfant découvre ces lieux en même temps que son père, tantôt gai et affectueux, tantôt taciturne et blessant. Ils vont d’aires d’autoroutes en hôtels plus ou moins bien.

Ce road-trip sera le théâtre de nombreuses découvertes pour Ilaria qui semble accepter cette vie errante, tiraillée entre l’absence de sa sœur et de sa mère (pourquoi celle-ci ne veut pas lui parler au téléphone ?) et l’amour de son père.

Points forts

  • Avec ses mots, Ilaria perçoit petit à petit que son père l’a enlevée (elle n’emploie jamais le mot) car il souffre d’avoir perdu l’amour de sa femme et de ses filles. Elle se souvient des moments violents entre ses parents.
  • La petite fille se sent prise en étau entre sa sœur Ana et sa mère qui lui manquent, et ce père qui ne la protège pas vraiment mais qui l’appelle « ma princesse ».
  • La relation père/fille au long de ces deux années d’errance. Ilaria apprend à connaître ce père paradoxal, charismatique. Oui, il est alcoolique, menteur, colérique, difficile à vivre, mais il peut être un super compagnon de jeux qu’elle aime.
  • Ilaria semble accepter cette vie chaotique ; avec son ours peluche Birillo, son confident, elle suit son père dans ses dérives. Il lui apprend à conduire la BMW, à fumer un peu ; il l’entraîne dans de louches combines d’escroqueries lors de ses difficultés financières… il lui apprend à mentir !
  • Dans une solitude certaine, Ilaria se retrouve bien ballottée ; placée par son père dans un internat, elle fugue. La voici dans le bel hôtel  de sa grand-mère paternelle qui ne s’en occupe pas, prise par son travail. Elle connaît des moments de bonheur lorsqu’elle est confiée dans une maison à la campagne chez Isabella « une vraie princesse » : elle peut enfin nouer des relations affectueuses avec le personnel et des enfants de son âge.
  • La fin de cette cavale : « aller avec Maman ou Papa ? ». Ilaria a basculé dans un autre monde, celui des adultes.

Quelques réserves

Aucune réserve pour ce très beau livre dont le texte est bouleversant, sobre et intense : des phrases bien ciselées et des chapitres courts au rythme des pensées d’Ilaria 

Encore un mot...

  • Une histoire banale en quelque sorte : des parents divorcés et un père qui veut faire pression sur la mère afin qu’elle revienne vers lui avec les deux filles !  Mais le talent de Gabriella Zalapi est de la raconter à travers le regard d’une enfant de 8 ans.

  • D’aires d’autoroutes en hôtels, en passant par un internat, le séjour chez la grand-mère paternelle, et celui chez l’amie affectueuse à la campagne, Ilaria porte un regard percutant et grave sur le monde qui l’entoure. Dans sa solitude, elle observe la bizarrerie de cette situation. Elle a compris que son père est insaisissable : elle le craint, le déteste, puis espère et doute parfois.  Elle l’aime avec ce sentiment ambivalent qu’est l’emprise. Alors, elle se crée en quelque sorte un monde intérieur avec son confident l’ours Birillo, un monde qui la rend intouchable (p.165)

  • Dans cette vie errante, éloignée de sa mère et de sa sœur (pensent-elles à elle ?) Ilaria trouve le moyen de jouer, de s’inventer car elle garde la légèreté de l’enfance avec ses mots sobres et sensibles. Elle cherche son espace dans cette « désobéissance », un apprentissage de la vie durant ces deux années. Lorsqu’elle retrouve sa maman et sa sœur, la petite fille a grandi mais se sent « partagée » entre les retrouver, reprendre sa vie d’avant, et laisser son père. Ilaria a mûri, grandi psychiquement mais elle reste confrontée au drame de la séparation.

Une phrase

  • « Tu te rends compte, Ilaria, du jour au lendemain… En rentrant à Florence, l’appartement était vide. Complètement vide. Plus de Maman, plus rien. » p. 43

  • « Qu’est-ce qui m’empêche de haïr Papa ? La honte que j’ai vue dans son regard, le jour où, exaspérée par ses whiskys, j’ai vidé sa bouteille de Ballantine’s dans le lavabo de la salle de bains. J’ai remplacé ce liquide jaunâtre par de l’eau. » p. 161

  • « J’ai mal à la tête. J’ai mal au ventre. Je refuse de manger. Depuis que je réussis à m’absenter, à me retirer de ma main, de mon bras, de mes orteils, à endormir chaque muscle de mon visage, à encastrer mes jambes dans mon torse, à devenir un tronc, à m’enfoncer dans le noir, je me sens en sécurité. Il me suffit de fermer les yeux, de me concentrer un peu et mes nerfs s'engourdissent, s’éteignent. Je ne sens plus rien. Plus de vue, plus de sons. Mon corps est derrière une vitre, imprenable. Le monde peut tourner, je n’existe plus. Je me suis annulée » p. 165

L'auteur

Gabriella Zalapi est née à Milan et vit à Paris. Elle est artiste plasticienne et auteur de 3 romans parus aux Editions Zoé : Antonia, Journal 1965-1966 (2019), Willibald (2022) et Ilaria ou la conquête de la désobéissance qui a reçu le Prix Femina des Lycéens 2024, le Prix Jean Freustié 2024 et le Prix Blù Jean-Marc Roberts 2024. 

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