L’Histoire de Manon

Entre corruption de la chair et des âmes, la fresque tragique de Mac Millan enivre le Palais Garnier
Chorégraphie : Kenneth MacMillan
Musique : Jules Massenet
Décors et costumes : Nicholas Georgiadis
Lumières : John B. Read
Avec les Étoiles, les Premières Danseuses, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra
jusqu’au 15 juillet 2023
Durée : 2h35 avec 2 entractes
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Palais Garnier – Opéra national de Paris
Place de l’Opéra
75009
Paris
Jusqu’au 15 juillet 2023

Thème

L’Histoire de Manon, c’est celle du personnage de l’Abbé Prévost, traduite en gestes par Kenneth MacMillan pour le Royal Ballet de Londres. Inspiré du roman de 1731, le chorégraphe britannique compose en 1974 une fresque centrée sur le destin tragique de Manon et de son amant le chevalier des Grieux. Alors que la bourgeoisie parisienne de la Régence vit de débauche et de corruption, la jeune fille, chaperonnée par son frère Lescaut, s’égare dans les plaisirs de la chair. Elle s’attache à Monsieur de G.M, un vieil aristocrate que des Grieux provoque au jeu, prêt à tout pour sauver Manon de ce monde dépravé.

Pris en flagrant délit de tricherie, le chevalier croise le fer avec son adversaire et le blesse. Des Gieux se voit exilé au Mississipi avec sa maîtresse, accusée de prostitution. Ce voyage sera le dernier de Manon, qui meurt exténuée dans les bras de son amant. Sur les partitions de Jules Massenet, Kenneth MacMillan compose un grand ballet narratif où l’exigence de la technique néoclassique se conjugue à l’intensité dramatique des personnages tragiques.

Points forts

Un MacMillan peut en cacher un autre : connu pour ses fresques historiques aux décors grandioses, le chorégraphe britannique accorde une seconde danse au Ballet de l’Opéra de Paris cette saison dans L’Histoire de Manon. Ce ballet aux airs de tragédie de mœurs s’ouvre sur l’effervescence d’une cour d’hôtellerie, aux murs couverts de draperies rapiécées. Mendiants, voleurs, courtisanes et prostituées y font commerce de charmes et de regards tendancieux. C’est dans ce « joyeux bordel » que la jeune Manon retrouve son frère Lescaut, qui doit la mener au couvent. Vêtue d’une robe bleu pâle, son air ingénu et ses lignes graciles éveillent l’avidité libidineuse des hommes qui l’entourent, ce dont Lescaut entend bien tirer profit. 

Si le corps de ballet peinait à s’échauffer dans cette première scène, où les ensembles manquaient d’harmonie et de relief, l’atmosphère de débauche prend des couleurs sulfureuses au second acte. Dans un hôtel particulier où règne la liesse et le libertinage, Roxane Stojanov se glisse habilement dans le rôle de la maîtresse de Lescaut, dont elle souligne l’insolence et la désinvolture par son regard vif et ses jambes ciselées. Pablo Legasa survole le rôle de Lescaut avec panache, grâce à l’amplitude de ses sauts et ses élans d’ivresse et de cupidité. Myriam Ould Braham rayonne dans le rôle de Manon, dont elle déploie les subtiles nuances de caractère. Dans le confort et la luxure, l’Étoile affiche de grands airs hautains qui sonnent justement faux, car Manon est prise au piège de son péché de jeunesse. Comme un ange tombé du ciel, elle est devenue objet de convoitise, passant d’une étreinte masculine à une autre dans des pas de deux et de trois contorsionnés. À ses côtés, Mathieu Ganio impressionne dans le rôle du chevalier éperdument amoureux, dont le tourment passionné se meut en folie violente et désespérée. 

Puissantes et périlleuses, les chorégraphies de MacMillan imposent l’excellence aux interprètes des rôles titres. Avec leurs pas de deux sensuels, ponctués de portés acrobatiques, le couple formé par Myriam Ould Braham et Mathieu Ganio séduit par la force de son lyrisme. De l’amour naissant et à la passion destructrice, les deux Étoiles cristallisent l’attirance irrésistible des deux personnages dans un entrelacs de bras et de jambes sublimes. Dans la chambre de des Grieux à la fin du premier et du second acte, ils expriment leur amour dans la finesse du langage néoclassique du chorégraphe britannique. Mais les immixtions de la société amorale et vénale compromettent leur idylle : la jeune fille ne peut se résoudre à rester dans les bras de son amant et le conduit à tous les excès. Tandis que le ballet s’achemine vers l’issue tragique de leur amour, les scènes théâtrales se font de plus en plus violentes, culminant avec la vision insoutenable du viol de Manon par son géôlier – sous les traits d’Arthus Raveau, brillant dans ce rôle abject.

Quelques réserves

Le dernier tableau traîne le ballet en langueur. Après avoir tué le geôlier, des Grieux s’enfuit dans les marécages avec Manon, ébouriffée et déguenillée. Le couple d’amants se livre à un ultime pas de deux qui frôle le pathétique. En arrière-plan défilent les souvenirs de leur vie parisienne, comme une vision lointaine et sans saveur. Mais ces instants superflus s’effacent devant la scène de l’expiration de Manon, où Mathieu Ganio, penché sur le corps inerte de Myriam Ould-Braham, atteint des sommets d’émotion.

Encore un mot...

Après l’entrée au répertoire de Mayerling, le Ballet de l’Opéra de Paris replonge dans l’œuvre prodigieuse de Kenneth MacMillan avec L’Histoire de Manon. Portées par des couples étoilés, les amours tragiques de Manon et des Grieux résonnent singulièrement en cette fin de saison tourmentée.

Une phrase

« Je voulais faire des ballets où le public serait véritablement saisi par le destin des personnages que je montrerais » Kenneth MacMillan, dans Clement Crisp, MacMillan, un dramaturge né, livret de L’Histoire de Manon, Opéra de Paris, 2023.

L'auteur

Prolifique et novateur, Sir Kenneth MacMillan est l’un des grands noms de chorégraphes de ballet du siècle dernier. Né en 1929 dans une modeste famille écossaise, il commence la danse classique à l’âge de 11 ans et ne tarde pas à en faire une passion. En 1944, il obtient une bourse d’études à la Sadler’s Wells Ballet School de Londres, dirigée par la célèbre danseuse et chorégraphe Ninette de Valois, et intègre rapidement la Sadler’s Wells Company. Si l’élégance de son style lui vaut de nombreux éloges, MacMillan est pourtant rongé par le trac lorsqu’il se produit sur scène. Inspiré par son ami John Cranko, il se détourne progressivement de sa carrière de danseur pour explorer le monde de la chorégraphie. Ses premières créations, Somnambulism (1953) et Danses concertantes (1955), sont saluées par la critique. Fort de ce succès, il consacre les décennies suivantes à une intense production d’œuvres chorégraphiques, notamment pour la Sadler’s Wells Company (désormais le Royal Ballet), l’American Ballet Theatre et le Stuttgart Ballet. Il dirige le ballet du Deutsche Oper de Berlin (1966-1969) puis le Royal Ballet (1970-1977), où il reprend finalement le poste de chorégraphe principal jusqu’à sa disparition en 1992. Au total, il crée dix grands ballets dont Roméo et Juliette (1965), Le Lac des Cygnes (1969), Manon (1974) et Mayerling (1978). 

Commentaires

Anonyme
dim 09/07/2023 - 22:20

Spectacle genial

Marie V Aix en…
ven 14/07/2023 - 10:17

Spectacle étourdissant porté par la grâce et la virtuosité des danseurs. Après Mayerling le génie de Mac Millan s’exprime de façon encore plus intense.. Standing ovation à l’opéra garnier pour un spectacle qui mérite largement le déplacement .

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